Bloc-Notes 2018
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Et revoici l'Eglise …

l'affaire revoici la morale revoici l'Eglise Mea culpa  

 

En même temps que la morale, invariablement donc, le retour de l'Eglise. Ce que je suggérais.

Février 18 : on voit Clemenceau sortir de l'église de Masevaux (Haut-Rhin) récemment libéré. La petite histoire veut que le vieux laïcard ne se soit pas découvert quand il se trouva à l'intérieur de l'église - manière discrète mais claire de rappeler que la France vivait depuis 1905 sous le régime de la séparation de l’Église et de l’État ; symbolique cette attitude mais pas nécessairement inutile pour une région qui, rattachée à l'Empire Allemand en 1871, n'a pas connu cette évolution. Et ne la connaît d'ailleurs toujours pas. Les trois départements étant toujours régis par le Concordat de 1801.

Un siècle plus tard, le président Macron s'invite à la conférence des évêques de France et déclare vouloir réparer le « lien abîmé » entre l’Eglise et l’Etat ! Il n'est pas le premier ; non plus qu'il ne sera le dernier mais force est de constater que depuis Sarkozy on n'avait pas osé aussi loin. Ce n'est sans doute pas un hasard ! Regardons-y de plus près !

Petit Rappel

Dix ans entre les deux interventions présidentielles : le contexte n'est pas le même.

Rappelons-nous : depuis qu'il fut question de rédiger une constitution pour l'Europe et que la mission fut confiée à Giscard d'Estaing de présider la Convention chargée de la rédiger, les pressions furent vives pour que figure dans le texte la mention des racines chrétiennes de l'Europe - ce à quoi, du reste, le président Giscard était favorable. Un peu plus tard, en 2007, la campagne présidentielle fit apparaître à la fois la question de la laïcité, celle de l'immigration et de l'identité nationale. Une fois élu, mais l'intitulé du ministère ne saurait être anodin, il nomma Brice Hortefeux au Ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire. On était bien ici engagé dans ce qui en 2012 s'aggravera et ressemblera à s'y méprendre à ce nationalisme fermé que nous évoquions où l'évocation pour ne pas écrire l'invocation des racines chrétiennes étaient à la fois un appel à l'église et un refus - surtout de tout le monde islamique. Les racines chrétiennes apparaissent quatre fois dans le discours, la référence à la Méditerranée autre racine à quoi nous aurions tourné le dos, une seule fois. L'église but du petit lait - on peut l'imaginer. A ce prix, l'appel à une laïcité enfin parvenue à maturité, positive dont on attend encore la définition.

L'écho de cette revendication, cette propension à penser la cité en terme de racines et d'identité se retrouvera jusque et y compris dans l'actuel débat sur la réforme constitutionnelle puisque Ciotti a tenté de faire figurer ces racines dans le texte de la Constitution. (voir la réplique de Mélenchon)

 

Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance.
Sarkozy

On comprend bien le prix à payer qui n'est pas que symbolique. Phrase étonnante que celle-ci qui ne met pas même l'instituteur au niveau du prêtre pour ce qui concerne la transmission des valeurs !

On ne le dira jamais assez : ce que les dix années qui suivirent faites notamment de la crise financière, de la crise des migrants, de la crise syrienne et de l'emprise de Daech, puis d'une série cruelle d'attentats, ce que ces dix années traduisent, sous les discours souvent byzantins, c'est l'incapacité de l'Europe - et notamment de la France - d'entretenir des rapports clairs avec le monde musulman ; mais en réalité aussi avec le monde juif. Avec ses racines, précisément ! La montée du nationalisme, des votes pour l'extrême-droite traduit cette réalité où même le racisme cesse de se cacher et se montre avec une odieuse ostentation.

 

Cela étant, la laïcité ne saurait être la négation du passé. La laïcité n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n’aurait pas dû. Comme Benoît XVI, je considère qu’une nation qui ignore l’héritage éthique, spirituel, religieux de son histoire commet un crime contre sa culture, contre ce mélange d’histoire, de patrimoine, d’art et de traditions populaires, qui imprègne si profondément notre manière de vivre et de penser. Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale, c’est dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles de mémoire.
C’est pourquoi nous devons tenir ensemble les deux bouts de la chaîne : assumer les racines chrétiennes de la France, et même les valoriser, tout en défendant la laïcité, enfin parvenue à maturité. Voilà le sens de la démarche que j’ai voulu accomplir ce soir à Saint-Jean de Latran.
id

Tout le discours sarkozyste de l'époque tourne autour de cette idée que sans renier pour autant son histoire, la République serait allé trop loin et qu'il était temps désormais de redonner sa place à l’Église. Seul moyen de renouer avec son passé … et avec elle-même.

On ne peut pas dire que ce discours fût véritablement suivi d'effet mais en revanche que certains aspects de sa politique hérissèrent une partie de l'électorat chrétien. En revanche, ce qui est certain c'est combien, notamment à l'occasion du vote de la loi Mariage pour tous, les manifestations alors organisées par Manif pour tous révélèrent si ce n'est un électorat en tout cas un regroupement désormais visible de catholiques traditionalistes dont les mots d'ordre, investies et attitudes étaient très proches de ceux de l'extrême-droite. C'est cette mouvance que l'on allait retrouver autour de F Fillon sous l'égide de Sens Commun qui n'est sans doute pas pour rien dans la victoire de ce dernier aux primaires de la droite non plus que dans certains des points du programme de ce dernier.

Réparer le lien abîmé

Pour nous retrouver ici ce soir, Monseigneur, nous avons, vous et moi bravé, les sceptiques de chaque bord.Et si nous l’avons fait, c’est sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer. (…)
L’Eglise n’est pas tout à fait du monde et n’a pas à l’être. Nous qui sommes aux prises avec le temporel le savons et ne devons pas essayer de l’y entraîner intégralement, pas plus que nous ne devons le faire avec aucune religion. Ce n’est ni notre rôle ni leur place. Mais cela n’exclut pas la confiance et cela n’exclut pas le dialogue. Surtout, cela n’exclut pas la reconnaissance mutuelle de nos forces et de nos faiblesses, de nos imperfections institutionnelles et humaines. (…)
Certes, les institutions politiques n’ont pas les promesses de l’éternité ; mais l’Eglise elle-même ne peut risquer avant le temps de faucher à la fois le bon grain et l’ivraie. Et dans cet entre-deux où nous sommes, où nous avons reçu la charge de l’héritage de l’homme et du monde, oui, si nous savons juger les choses avec exactitude, nous pourrons accomplir de grandes choses ensemble. C’est peut-être assigner là à l’Eglise de France une responsabilité exorbitante, mais elle est à la mesure de notre histoire, et notre rencontre ce soir atteste, je crois, que vous y êtes prêts.
Macron


Comme souvent chez Macron, le propos de veut d'une grande teneur intellectuelle : il l'est assurément pour les implicites à peine repérables, en tout cas pas par le technocrate lambda, mais il a aussi toutes les caractéristiques du discours politique de circonstance : général ; flou et parfois franchement creux.

En réalité, si l'on devait être cru mais rapide et exact, il faudrait rappeler qu'il n'y a pas lieu de réparer ici un lien qui n'existe pas ; qui a été rompu en 1905.

Plusieurs lectures sont possibles dont certaines sont politiques : il est certain - et je ne doute pas que Macron en soit conscient - que dans le paysage politique bouleversé, mais soyons honnête, qu'il a lui-même bouleversé, il ne peut se permettre ni de laisser se constituer un électorat de droite, si tant est qu'il existe, ni surtout le laisser filer à l'extrême droite. Personne n'a oublié - et je gage que la droite républicaine ne se laissera plus prendre au piège - comment la frange la plus droitière réunie sous le drapeau de Sens Commun a pu peser sur le résultat de Fillon aux primaires, comment, en dépit de tout, cette frange aura soutenu Fillon jusqu'au bout ; comment enfin certains de ses membres lorgnent ouvertement vers l'extrême-droite. Le seul hic en l'affaire est que l'électorat catholique n'existe pas puisqu'on les retrouve, à l'instar de l'électorat en général, répartis sur tout l'échiquier même si apparemment les catholiques auraient voté un peu plus que la moyenne nationale pour MLP - signe de la radicalisation de sa frange la plus droitière.

L'essentiel ne me semble pas ici : on remarquera néanmoins, si on suit indications sondagières mais aussi statuts des différentes associations, qu'on se retrouve, avec les catholiques, loin derrière la question posée par Mauriac sur la nécessaire compatibilité entre les choix politiques et l'engagement spirituel ( cf : les frères ennemis et notre commentaire ). Sensibles aux grandes questions dites sociétales - en réalité tout ce qui touche à la famille, l'enfant, la procréation, l'avortement, mariage pour tous etc - les catholiques le sont également au sort des migrants. Selon que leur sensibilité porte plutôt sur ceci ou cela, ils semblent incliner ou non vers l'extrême ou se distribuer harmonieusement sur l'échiquier politique classique.

Mais plutôt là :

« On m’a fait dire que le XXIe siècle sera religieux. Je n’ai jamais dit cela, bien entendu, car je n’en sais rien.Ce que je dis est plus incertain. Je n’exclus pas la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire ».
Le Point, 10 dec 75

Tout le monde connaît la phrase attribuée à Malraux qu'il a d'ailleurs récusée et qui, selon A Frossard, aurait été sera mystique. Formule séduisante, assurément, mais à laquelle il est malaisé de donner un sens précis. On trouve ici et là ce genre de prémonitions absconses : la plus célèbre demeure celle de Heidegger :

Il nous reste pour seule possibilité de préparer dans la pensée et la poésie une disponibilité pour l’apparition du dieu ou pour l’absence du dieu dans notre déclin ; que nous déclinions à la face du dieu absent.
ITV Spiegel 1966

Mais précisément, il ne s'agit pas de ceci. Que la sortie de la période insouciante des Trente Glorieuses, la montée des périls environnementaux soit l'occasion de révolutions idéologiques voire de retour au religieux, pourquoi pas encore que j'aie tendance à penser que sous sa forme technocratique ou scientiste la croyance n'ait lamais vraiment quitté nos sociétés.

Ce dont il est question ici c'est de redonner un rôle social - i.e de cohésion sociale - à l'institution Eglise. La loi de 1905 avait fait de la croyance une affaire privée voire intime au point de considérer d'un œil sourcilleux toute manifestation trop ostentatoire de celle-ci ; nos présidents en viennent désormais à faire de la spiritualité une affaire sociale.

Comme si la République était incapable de susciter du sacré et de créer du lien social ou que, finalement, le culte de l’Être Suprême de Robespierre et la religion de l'Humanité d'A Comte ne fussent pas si incongrues que cela ! Vieille rengaine à quoi Durkheim avait réglé son compte ( lire Bouveresse )

Tous utilisent la métaphore textile d'un tissu social qui s'effilocherait ; tous rêvent d'un individu sinon moins autonome en tout cas moins proéminent qui assumerait mieux son appartenance au groupe ; ferait moins passer ses exigences avant celle du groupe. Ce qui se profile, que nous voyons percer depuis longtemps, non seulement sous la montée de l'extrême-droite mais sous la manière insidieuse de poser les questions sociales et politiques en terme d'identité et de racines, c'est bien un retour en force de ce qui avait été le plus détestable dans le pétainisme : il n'est qu'à lire le programme de la Révolution Nationale pour le comprendre.

L’Église., gardien du temple, bras armée de la moralisation des âmes ; soucieuse du spirituel pendant que l’État s'occuperait su temporal ? Rien de nouveau : c'est la société féodale. Décidément leur nouveau monde ressemble furieusement à l'ancien mais d'un modèle frelaté et rassis !