Bloc-Notes 2018
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L'affaire

l'affaire revoici la morale revoici l'Eglise Mea culpa  

 

La presse s'en nourrit avec une délectation pas même coupable : il faut dire qu'elle était en train de s'endormir paisiblement après l'excitation hystérique de la Coupe du monde, impuissante à dénicher quelque intérêt au soporifique Tour de France. Affaire avec un a minuscule, il ne faut quand même pas exagérer mais capable nonobstant de ressusciter les tirages juste avant la trêve estivale.! Drôle d'histoire néanmoins qui peut se lire de diverses manières : peu sont réjouissantes.Mais toutes sont édifiantes.

Essayons quand même !

 

Lecture I : l'optimisme invétéré

On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, dit l'adage : il est impossible d'exercer le pouvoir sans commettre des erreurs ; sans que ici ou là, aux étages inférieurs, des bévues soient commises voire des exactions. L'essentiel - l'honneur comme la République - réside dans la manière dont les puissants du moments règlent l'affaire : piteusement, en la camouflant , ou démocratiquement en la révélant et en sanctionnant. Après tout, ici réside l'espoir : le fait que la presse ait pu dénicher cette affaire, montre assez que rien de ce que peut faire le pouvoir ne reste longtemps caché ; qu'il est sous surveillance permanente - les réseaux sociaux amplifient encore le phénomène - et qu'ainsi le 4e pouvoir remplissant à merveille son rôle tout va bien ! Circulez, il n'y a plus rien à voir. Les caméras de surveillance aux quatre coins de la rue sont tournées dans les deux sens. A Comte l'avait senti : le pouvoir serait d'autant plus efficace que le corps social serait transparent, immédiatement cisible et repérable. Soit ! Mais celui-ci s'est bien vengé : c'est la caste politique qui désormais évolue devant nous comme dans un bocal, que dis-je tel un petit aquarium ! Elle évolue devant nous : le spectacle n'est pas amusant, il est même plutôt terrifiant. Tout ce petit monde tourne en rond tant est petit le bocal ! Ridicule ! Minable.

Lecture II : le dandy jupitérien et la petite frappe

Qu'un président ait besoin d'être protégé, et donc qu'il y ait un service de sécurité composé de ce que l'on nommait autre fois des gorilles quoi de plus normal ! Que des partis politiques, pour les manifestations qu'ils organisent, les meetings qu'ils tiennent ou leurs campagnes électorales, aient besoin d'un Service d'Ordre, on s'en doute bien. Que leurs membres, parfois militants, parfois non, fassent partie de ce milieu interlope de la sécurité privée et brillent plus par leurs muscles que par les saillies d'une pensée brillante, on le devine. En revanche, première anicroche, que l'on confie à de tels personnages, la sécurité officielle d'un Président, cela laisse pantois. Il y a des services spécialisés pour cela. Ceci s'appelle la Police, non ?

Que l'on découvre en outre, dans la foulée, que le personnage, déjà repéré pour ses gestes brusques, apparaisse sur une vidéo lors des manifestations du 1e mai et y malmène deux manifestants, usurpant ainsi insignes et autorité des services d'ordre, bafouant de surcroît les règles élémentaires … et le scandale éclate. Double, triple : que faisait-il là et qui lui en avait donné l'autorisation ? A-t-il été sanctionné ? Pourquoi malgré les allégations de l’Élysée n'a-t-il pas été cantonné à des tâches administratives et le voit-on aux cérémonies du 14 juillet et le lendemain à l'occasion de la réception de l'équipe de France de foot ? Qu'a donc cet hargneux traban de si sulfureux qu'il faille ainsi le protéger ? Pourquoi surtout le président se tait-il avec une telle affectation méprisante ?

Tout homme a sa part d'ombre mais quand on voit le triste sire être présent jusque dans les moindres activités privées de Macron on ne peut que se dire qu'il n'est plus tout à fait question de sécurité fût-elle assurée de manière inappropriée. Pour un président qui hauteur voulait prendre et olympien paraître nous voici plongés dans les dessous ordinaires d'un couple cossu, qui exhibe son reste de jeunesse à vélo, au tennis et s'en va même promener son chien comme tout banlieusard fatigué. Dans les films réalistes des années 50, les femmes aimaient mieux les mauvais garçons que les gigolos et déclenchaient règlements de compte en boucle …

Ici ?

Que le président ou son entourage se soient trompés sur l'individu, on peut le comprendre mais pourquoi ne pas le sanctionner après ses méfaits alors même qu'il en fut sitôt prévenu ? pourquoi ainsi le protéger ? Les monarques d'antan avaient leur fou chargé de les amuser et parfois de les critiquer - ô juste un peu. Mais la force de frappe de ce maussade barbouze semble ailleurs. Jupiter, lui, avait les amours plutôt turbulentes - on ne prête qu'aux riches - ce qui était loin de faciliter les relations avec Junon. Ne détestant pas se métamorphoser (cygne, serpent, satyre, taureau…) il échappait ainsi, mais pas toujours avec efficacité, à la surveillance de son ombrageuse épouse. J'imagine mal ici quelque secret intime qui liât dans un triolisme sordide le couple présidentiel à cet argousin mal dégrossi mais le résultat est le même. Comme l'arroseur, le surveillant ici a été surveillé et pris à son propre piège. Jupiter, comme dans le mythe, demeure le grand silencieux, habile à se métamorphoser - mais que cache-t-il donc ? - délicieux trompeur mais à la fin trompé lui-même. Dans l'histoire Jupiter fait donner Mercure (Hermès) qui jouant de la flûte, émeut à ce point Panoptès que ce dernier pleure et ne voyant plus rien, se fait tuer. Le surveillant ne surveille plus, Jupiter a gagné qui échappe provisoirement au courroux de son épouse laquelle de rage ramasse les ocelles et les répand sur le monde où ils orneront les plumes du paon. Junon a sa vengeance : tout se voit. Et le vilain petit garnement à la tête de petite frappe est pris la main dans le pot de confiture. Et Jupiter paraît ce qu'il est : un habile illusionniste. Mais un illusionniste, Platon autrefois nous en donna leçon, n'arrive à ses fins qu'avec la complicité joyeuse de son public ! Sans elle, ne reste que le mensonge. Nul n'a donné son consentement à ces palinodies de cour de récréation !

Définition ! vertical : mot du nouveau monde pour dire ce que l'ancien nommait mensonge d’État !

Car telle est bien la leçon à tirer : si puissant soit le prince, si dominateur soit le dieu, toujours il demeure sous le regard de quelqu'un. Toujours une voix qui susurre qui t'a fait roi ? toujours un regard qui rappelle le danger de la démesure. Qu'a-t-il à cacher ? Plus grave encore que quelque sordide secret, peut-être simplement qu'il n'y a rien à cacher. Que derrière le profil lisse de gendre idéal … il n'y a rien qu'un ambitieux un peu habile et surtout chanceux, un batracien qui se voulut plus gros que le bœuf ; un Rastignac portant beau et jeune nanti d'une Madame Bovary un tantinet habile. Mais à la fin, on le sait les baudruches éclatent ; les secrets jamais ne le restent.

Lecture politique III : Deus ergo naturarum omnium sapientissimus conditor et justissimus ordinator

C'est sans doute ce qu'il y a de plus incroyable dans cette histoire qui en elle-même n'en est même pas une : la suffisance, le mépris, l'assurance boursouflée de vanité, le silence abyssal d'un président trop sûr de lui et sans doute aussi trop lisse auront réussi à la transformer en une affaire d’État - ce qu'elle n'aurait jamais du être.

Pouvoir vertical euphémisent joliment la presse, les experts et les conseillers de l’Élysée ! Rodomontade : autocratie, simplement !

Effet indirect de cette décentralisation des décisions et de la communication : personne ne sait quoi dire ; tout le monde se contredit et la communication maîtrisée et minimale, acquise en on ne sait quelle école spécialisée ou officine logomachique de technolâtres, tourne au grand guignol, au capharnaüm : au désastre qui bloque jusqu'au travaux de la Chambre - un projet de réforme constitutionnelle pourtant. On peut, oui, se prendre pour un dieu ordonnateur, maître des horloges ; on peut même tenter de réinventer le dieu calculateur de Leibniz : que celui-ci vienne à manquer ou défaillir, ne restent plus que de misérables monades, sans porte ni fenêtre ; autistes.

Mais le modèle de Leibniz était métaphysique, pas politique. Il en appelait au système, à la combinatoire. Pas aux combines.

Tocqueville avait bien démontré, dans l'Ancien Régime et la Révolution, que la monarchie s'était elle-même paralysée d'avoir trop concentré le pouvoirs dans les seules mains du monarque. Nous y voici ! La pente dévalée est vertigineuse depuis de Gaulle, Sarkozy surtout et son hyperprésidence sans compter la réforme du quinquennat.

Macron, lui, n'invente rien : il est comme tous les petits, il porte talonnettes pour se hisser ; il est comme tous les jeunes technocrates à qui tout réussit et qui ne connurent pas encore l'échec : il imagine que ses prédécesseurs étaient médiocres et qu'il lui suffirait de paraître pour que le réel s'inclinât sur son passage. Hollande sans doute se trompa en voulant l'ordinaire : trop peu. Macron d'avoir voulu le trop. Le politique n'est pas affaire de recettes fussent-elles savantes ; l'autorité vire vite à l'imposture quand elle ne présume que d'elle-même et bafoue ses seules assistes.

On ne dit pas assez que ce régime n'a plus rien de républicain et tient uniquement sur l'excellence supposée du prince. Que celui-ci vienne à défaillir et tout s'effondre. Le régime, après un agité et un apathique, a cru se donner de l'air en s'offrant un bambin, un tantinet prétentieux, mais compétent : il se sera seulement offert les rodomontades d'un orgueil démesuré quitte à ruiner tout le paysage politique.

Regardons bien : le débat n'est plus entre exécutif et parlementaire ; il n'est même plus à l'intérieur de l’exécutif entre équipes du Président et du Premier Ministre : il se joue entre petites frappes sur le pavé parisien et conseillers divers aux origines indécises. Macron s'en sortira : il a quatre ans devant lui encore ; hélas ! Mais ici est le tournant de son quinquennat. Il s'est révélé indécis, faillible ; hautain et passablement trouble lui qui promettait la lumière. Plus rien désormais ne passera sans chicane et sa majorité paraît pour ce qu'elle est : une horde d'amateurs un peu niais et imbus de leurs statuts professionnels, vite désemparés sitôt que la voix de son maître vient à se faire inaudible.

Du temps de de Gaulle, on appelait cela les godillots ! Et si les choses ont changé depuis cela tient plus au président qui, parfois, semble n'être plus que le godillot de lui-même.

On a finalement les crises qu'on mérite : de Gaulle en connut plusieurs - la guerre d'Algérie avec ses multiples péripéties et à l'autre bout, mai 68 - qui manquèrent parfois de peu de bloquer le système mais fichtre ! ceci avait une autre ampleur que cette médiocre petite affaire de petite frappe qui cogne plus vite qu'elle ne pense.

Quelle médiocrité !

Pourquoi cette détestable impression d'un théâtre d'ombres ? de marionnettes, plutôt, où Gnafron, Guignol et Madelon se donneraient moins la réplique que des coups pas même bas !!

 

 

 


1) La Fontaine bien sûr

Une Grenouille vit un Boeuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un oeuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur,
Disant : "Regardez bien, ma soeur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?
- Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. - M'y voilà ?
- Vous n'en approchez point. "La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.

2) « Dieu donc, créateur très sage et ordonnateur très juste de toutes les natures »
St Augustin, Cité de Dieu, XIX, 13