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Et alii …

 

Introduction Perséphone et Déméter Héloïse et Abélard Latone Orphée et Eurydice et alii  

 

Parce que je songe aussi bien à Orphée qu'à Philémon et Baucis

Ne chantez pas la mort écrivit JR Caussimon et pourtant il est peu de ces histoires qui n'en appellent à la mort, à l'abandon … aux enfers

J'aime assez que par deux fois l'amour fasse se chercher son objet aux Enfers (Perséphone et Eurydice ) mais au fond en vain.

Dans nos rêves d'enfants, ou nos préjugés recuits, ne vaut que ce qui dure et nous tenons cette idée de si loin qu'elle sonne presque comme une évidence. Pourtant la plus belle des mélodies finit par s'éteindre et celles qui s'attardent parfois en nos mémoires ont plus souvent l'allure des rengaines entêtantes que des invites au sublime. Mais il ne servirait de rien d'opposer la passion embrasée ravageant tout sur son passage et consumant jusqu'à ses protagonistes à la tendresse paisible, presque trop sage, de vieux amants. C'est que nos amours nous ressemblent : turbulentes, elles nous épuisent ; sages, elles nous lassent ! Nous errons entre nos désirs d'ailleurs, de nouveauté, de liberté ou de progrès qui, avant d'être horizon d'espérances, sont d'abord tempêtes de désordres ou d'incertitudes et nos lâches fatigues qui nous font nous repaître, un peu honteux, des mornes répétitions. Entre réalité et plaisir, dirait Freud, Eros et Thanatos sans doute, entre ce que Nietzsche nommait Wille zur Macht et cette Wille zur Nichts dont il redoutait la corrosion du pire.

D'entre deux, nous ne sommes plus tout à fait du monde mais impropres à nous hisser aux cîmes.

Il y a bien sûr des échecs - ou des semi-échecs. Orphée échoue à ramener son aimée des Enfers mais comment oublier que de ses vers il parvint à attendrir Cerbère et Hadèset même le maussade Charon sans compter Perséphone ?

Alors, pour la première fois, des larmes, ô triomphe de l’harmonie ! mouillèrent, dit-on, les joues des Euménides. Ni la souveraine des morts, ni celui qui règne sur les mânes ne peuvent repousser sa prière. Ils appellent Eurydice. Elle était là parmi les ombres nouvelles, et d’un pas ralenti par sa blessure, elle s’avance. Il l’a retrouvée, mais c’est à une condition. Le chantre du Rhodope ne doit jeter les yeux derrière lui qu’au sortir des vallées de l’Averne : sinon la grâce est révoquée.
Ils suivent, au milieu d’un morne silence, un sentier raide, escarpé, ténébreux, noyé d’épaisses vapeurs. Ils n’étaient pas éloignés du but ; ils touchaient à la surface de la terre, lorsque, tremblant qu’elle n’échappe, inquiet, impatient de voir, Orphée tourne la tête. Soudain elle est rentraînée dans l’abîme. Il lui tend les bras, il cherche son étreinte, il veut la saisir ; elle s’évanouit, et l’infortuné n’embrasse que son ombre. C’en est fait ! elle meurt pour la seconde fois : mais elle ne se plaint pas de son époux. Et de quoi se plaindrait-elle ? Il l’aimait. Adieu ! ce fut le dernier adieu, et à peine parvint-il aux oreilles d’Orphée : déjà l’Enfer a reconquis sa proie.
Ovide

Celui-là dont on dit que sa musique attendrissait jusqu'aux bêtes féroces et que rochers comme arbres se déplaçaient pour le suivre et écouter ; celui-là dont les chants faisaient fuir toutes les sirènes avait véritablement poursuivi l'œuvre d'Hermès : il avait inventé la musique et le sens. Plus jamais bruit, vacarme et fracas ne l'emporteraient : à qui veut entendre et le saisir, s'avançant discret comme sur les pattes de colombe, éclot le sens. Bien sûr il ne parvint pas à ses fins et Eurydice restera en Enfer mais, après tout, n'a-t-il pas à s'en prendre à sa propre présomption d'avoir cru pouvoir défier la seule admonestation divine ? Il n'inventa pas la musique -, certes, mais le pouvoir qu'elle avait sur les choses et même les dieux - cette étonnante vertu de savoir traverser jusqu'aux rocs les plus épais et traverser jusqu'aux étoiles les horizons les plus improbables.

Son amour perdu à jamais Orphée demeura inconsolable. Et cessa la musique en même temps que sa vivacité à embellir le monde. Bientôt il disparaîtra : les Bacchantes jalouses de sa fidélité à Eurydice, le déchiquetèrent. Mais les Muses recueillirent les membres épars et les enterrèrent au pied de l'Olympe. Parfois, raconte la légende, des tréfonds de sa tombe, s'élève un chant.

Amour infini, irrésistible, éternel mais décidément amour malheureux ici encore.

J'aime néanmoins que par deux fois des amours accomplies autorisent cet exhaussement auquel j'ai fait référence voire cette élection.

Ψυχή - Psyché - est une jeune femme tellement belle que les foules la vénérant en vinrent à oublier de rendre culte à Aphrodite qui en nourrit évidemment cruelle jalousie. Elle ordonna ainsi à son fils Eros - Cupidon - de lui jeter un sort afin qu'elle tombe amoureuse de l'homme le plus hideux qui soit. Mais ce dernier s'emmêlant de ses propres flèches est la seule victime du sort jeté. Dans l'entremise, le père de Psyché, désespéré de voir sa fille restée sans époux s'en remit à l'oracle d'Apollon qui lui intima l'ordre de laisser sa fille au sommet d'une colline, sur rocher où viendrait la chercher son époux - un monstre. On le sait, en lieu et place de monstre ce fut Eros qui vint la quérir et l'installer dans un somptueux palais non loin de là. S'en suivirent de longues nuits de félicité. Mais l'époux demeure caché par l'obscurité et demande à son épousée de ne pas chercher à percer le mystère de son identité.

Le mauvais coup viendra des sœurs, folles de jalousie -encore - devant la félicité de Psyché qui finirent par la persuader qu'il lui fallait dévoiler l'identité du visiteur nocture qui sans doute devait être un monstre mettant sa vie en danger. Psyché commit l'erreur de les écouter et dans l'affaire perdit tout puisque, non content de blesser Eros elle le fit partir définitivement.

Pan lui conseille de ne pas désespérer et de tenter de reconquérir son époux lequel blessé est de surcroît séquestré dans le palais d'Aphrodite sa mère qui n'avait ni décoléré contre la trahison de son fils ni cessé de vouer à Psyché une haine farouche. Errant de temple en temple, se voyant refuser toute aide, elle finit néanmoins par être confrontée à sa démoniaque belle-mère qui lui infligea une série d'épreuves toutes impossibles qu'elle réussira néanmoins car, chose remarquable, elle est toujours aidée.

La fin est favorable puisque, évadé, Eros parvint à rejoindre l'Olympe, où il demanda grâce pour Psyché. Zeus l'accorda qui lui faisant boire de l'ambroisie l'accueillit dans le cercle étroit des dieux.

Voici donc, à l'instar de celle de Philémon et Baucis, une histoire plutôt heureuse - il n'en est pas tant.

Tout ici joue la réalité contre les apparences et c'est assurément le prix du récit d'Apulée : Psyché est belle mais ne trouve pas d'époux ; Eros chargé des basses œuvres de sa mère s'en retrouve victime, charmée d'ailleurs. Tout comme dans le récit d'Orphée, il s'agit ici d'un regard à ne pas porter. Ni le soleil, ni la mort … dit l'adage. Il faut y rajouter l'amour. Il n'est assurément pas aveugle au sens trivial où on l'entend ; il cristallise sur lui toutes les jalousies, haines ou envies au moins autant que les compassions. Il ne voit rien parce qu'il ne le veut ni sans doute ne le doit. Il glisse entre nous et le réel ce que je sais quoi qui l'éclaire, lui donne sens, poids parce que valeur. Il n'est pas seulement élection de l'autre mais simplement ce qui distingue et permet de s'extirper de l'ombre confuse.

Telle est la leçon à tirer que nous n'oserions souligner tant elle paraît évidente : n'y jamais rechercher quelque vérité tant il dessine le paysage de la partialité, du fragmentaire. Il est cette part de subjectivité, mais c'est trop peu dire ; cette nichée de poésie où le faire s'emmêle à l'être ; cet écran qui à la fois protège et sépare entre soi et le monde ; ce minuscule pas de côté qui subitement nous fait découvrir ce qui était caché et ensevelir ce qui devient insensé ; cet écart qui nous autorise à mieux regarder sans nécessairement mieux voir ; cet interstice immense creusé par le désir qui fait se reprendre la route et -non tant - tourner la page que reprendre la lecture.

Il est le temps de l'être mais l'espace aussi de la pensée : il est au commencement ce qui fait qu'il y a un commencement.

Il est l'essence de la métamorphose. La forme que revêt l'hospitalité ou la générosité (Philémon ou Baucis) mais alors amour et service se conjuguent qui se disent à la portée et devoir de tout un chacun ; la forme que revêt la liberté que l'on n'aurait sans doute pas osé revendiquer autrement (Héloïse) ; la forme que revêt l'aventure qui vous entraîne si loin au-delà de ce qu'on se serait cru capable …

A-t-on remarqué que le commandement est presque immédiatement contemporain de l'acte créateur ? J'y vois le signe le plus éminent de l'amour : de celui qui vous fait reprendre le chemin parce qu'on se craint encore et toujours tellement en-dessous de l'image que l'autre se fait de vous et aimerait tant s'y hausser ; de celui qui, d'entre tous, vous élit et parle en montrant l'horizon et le chemin qui y mène …

Essence de la métamorphose, oui, parce qu'il vous transfigure en même temps que le monde.

Auteur parce qu'il vous augmente et ce qui vous approche

 


 Gluck : danse des esprits bénis

Ne chantez pas la mort