Bloc-Notes 2017
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Gauche ? Qu'est-ce qu'être de gauche ?

Cette réflexion que j'avais entamée, mais non achevée, il y a presque dix ans, je voudrais la reprendre ici

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2) Les trois leçons de Mai-Juin 2017

Ce n'est assurément pas pour rien si l'on peut tracer un parallèle entre la période qui va de Mai à Septembre 89 et celle qui va de l'élection de Macron à celle de l'Assemblée. Pour des raisons évidentes, de constitutionnalité, le président nouvellement élu ne peut rien faire, ou pas grand chose, tant qu'il ne dispose pas d'une Chambre qui puisse voter les lois qu'il proposera. Cette période est ainsi celle du virtuel, du symbolique - et force est de constater que Macron en aura joué non sans habileté.

De cette période dont on sort désormais et que marquent l'installation de la nouvelle Chambre et la nomination, plus tempétueuse qu'il n'était prévu initialement du fait des déboires du MODEM, du gouvernement Philippe II, on peut évidemment faire le parallèle avec la période qui sépare le retour de de Gaulle en mai 58 de la nomination du 1e gouvernement Debré : la même sensation chamboule-tout - pour reprendre l'expression désormais consacrée prononcée par Fabius lors de la passation de pouvoir ; un gouvernement composé essentiellement de la garde rapprochée du Président plus quelques centristes ; issus d'un parti nouvellement créé pour lui offrir une assise parlementaire - l'UNR avait été créé en Octobre 58 sur les décombres du RPF - tout comme REM ; la même certitude d'un présidentialisme sinon accru en tout cas revendiqué comme antidote des échecs du passé - ceux de l'instabilité de la IVe pour l'un ; des quinquennats désastreux de Sarkozy et Hollande, pour l'autre.

Première leçon : j'y observe le même unanimisme, parfois poussé jusqu'à l'absurde - cette macronmania où la presse patauge sans vraiment de retenue - et bientôt cristallisé dans une assemblée où l'on promet une majorité écrasante, pléthorique. Qui relève plus des préliminaires d'un pouvoir que de sa caractéristique réelle.

J'y vois la même dimension révolutionnaire si l'on donne à ce terme le sens de balayage radical du passé : après des présidentielles où aucun des deux partis de gouvernement ne passe le cap du second tour, et des législatives qui les ramèneront à la portion congrue, le paysage politique sera totalement nouveau - au moins en apparence, celle que le nouveau pouvoir veut donner et sur quoi il veut jouer.

Cette apparence c'est celle du dépassement du clivage droite/gauche que cet insolite gouvernement veut donner où des bonnes volontés venues de toute part viendraient harmonieusement collaborer. Et chacun en profite pour entonner le refrain du dépassement du clivage gauche/droite, qui, pour beaucoup, signifie d'ailleurs le dépassement surtout de la gauche qui ne serait ni assez moderne, ni assez ouverte sur le monde etc…

Je tiens pourtant le clivage pour consubstantiel de l'action politique et gage qu'il réapparaîtra, sous des formes peut-être insolites, dès les premières décisions adoptées. On ne saurait oublier qu'au sein du gigantesque groupe parlementaire En Marche se trouvent des parlementaires venus d'horizons divers et qui finiront bien par retrouver leurs réflexes sitôt les premières épreuves à affronter. L'insolite serait alors effectivement que le débat se fixe à l'intérieur du groupe.

Si l'on veut bien être honnête, c'est le système bi-partisan qui est en crise ou peut-être même seulement les deux grands partis de gouvernement qui sont en voie de disparition : moins par dépassement du clivage que faute d'avoir fait leur travail - de réflexion et de programme, de désignation de leur candidat sottement déléguée aux primaires, et de lien avec la base que leur progressive absence de militants leur interdisait encore de faire - ils ont cessé d'avoir leur raison d'être et se sont étiolés d'eux-mêmes.

La seconde leçon, que de Gaulle avait déjà assénée en 58, est que, contrairement à l'idée communément partagée, on peut effectivement gagner des élections sans avoir un parti organisé derrière soi. Mitterrand, en 1965, avait prétendu qu'on pouvait mener campagne avec seulement une petite équipe : certes, mais il ne l'emporta , 16 ans plus tard, qu'après s'être forgé le PS ! Si l'on voulait être cruel, on pourrait même ajouter que Macron l'emporta presque sans programme tant, mises à part sa réforme du code du travail et ses orientations libérales en économie, ses projets restent très généraux … pour ne pas dire vides *. Pour autant, entre conquérir et exercer le pouvoir, il y a une différence abyssale. La suite seule montrera si un pouvoir peut être durablement efficace et solide, hors période de crise, en s'appuyant sur un attelage à ce point baroque.

La troisième leçon touche à l'intelligence collective du corps électoral. Il faut prendre les résultats pour ce qu'ils disent et dans la durée. Qu'après 23 ans d'hégémonie -qui s'expliquent à la fois par la figure hors normes de de Gaulle et par l'instabilité chronique de la IVe - la droite cédât la place à la gauche était au fond logique et prévisible - au moins depuis la courte victoire de Giscard en 1974. La constitution marqua alors sa solidité en supportant pour la première fois une alternance - alors qu'il était de coutume d'affirmer que cette constitution était faite pour de Gaulle et pour empêcher la gauche de parvenir jamais au pouvoir - et à trois reprises des cohabitations, 86, 93 et 97, permises par la lettre mais qui ne sont pas vraiment dans l'esprit de la Constitution. Bi-polarité voulue et accentuée par les textes, il était fatal que le corps électoral finisse par vouloir essayer la gauche. Il le fit, à deux reprises, mais assez finement, en 88, sans donner au PS la majorité absolue - ce qui était une manière de ne pas concéder de blanc-seing. Tout au long de la période qui sépare 1981 de 2017, le corps électoral aura systématiquement sorti les sortants - à l'unique exception de 2007 mais la figure même de Sarkozy qui affirmant avoir changé et désirant tant marquer une posture exactement inverse à Chirac était elle-même une rupture - semblant vouloir donner sa chance à toutes les options qu'offraient le système bi-partisan et ce jusqu'à envoyer un coup de semonce FN en 2002 pour marquer l'exaspération ou voter non au référendum de 2005. A ce titre, 2017 est une suite logique et intelligente - assez cartésienne finalement : plutôt que le doute sceptique que marquerait une dépolitisation franche voire une dérive extrémiste vers des réponses anti-républicaines, le corps électoral aura, cette année, pratiqué le doute méthodique en adoptant le on efface tout et on recommence ; en redistribuant toutes les cartes tout en demeurant dans la logique présidentialiste des institutions. Et il le fait quatre fois, à chacun des scrutins de la présidentielle et des législatives :

Intelligence collective ? Pourquoi pas, même si je n'aime pas le terme. C'est en tout cas ce que dit Courtois dans le Monde ! Le corps électoral agit comme s'il savait ce qu'il faisait et s'était saisi à la fois de l'opportunité et de l'esprit de la Constitution - notamment le présidentialisme à quoi il semble attaché et le fait majoritaire. Bien sûr, à courte vue, on repérera la désaffection étonnante que marque cette abstention record ; évidemment on soulignera le vote FN mais en même temps … ce pays qui a une longue expérience démocratique sait sous les apparences contradictoires et parfois brutales, se faire entendre. J’aime assez ceci, qui rejoint une remarque faite par Rousseau laissant entendre que les votes extrêmes, ou sots, ou encore mus uniquement par l'intérêt particulier, se répartissaient harmonieusement sur l'échiquier et donc s'annulaient ; j'aime assez cette lecture à double niveau qui, des apparences, laisse entrevoir une lecture plus fine, d'un électorat exaspéré, prêt à tout essayer et, d'abord, à balayer.

Oui, de tels moments sont rares où tout semble possible mais qui relèvent toujours de la rencontre de circonstances et d'un homme habile à les saisir et constituent sous la forme pacifique d'une élection démocratique, une véritable révolution. A l'instar de 68, qui produira quelques années plus tard la naissance du PS, balayant les vieilles badernes et combinaisons de la SFIO et en moins de 15 ans l'accès de la gauche au pouvoir il s'agit à la fois d'un coup de balai et de jeune. Soubresaut ou ultime tressaillement d'un corps à bout de souffle ? Comment savoir ? Mais, si elle est suivie d'effet, ce sera une de ces révolutions tranquilles dont le pays a le secret !

 


1) Rien n'est d'ailleurs plus révélateur que les photos de ces deux gouvernements à presque 60 années de distance. Bien sûr, qui ne compte pas pour peu, la parité, mais l'âge aussi qui balaye brutalement dans le désuet, cette cohorte grise