Bloc-Notes 2017
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Gauche

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En ce jour du premier tour des élections législatives (Dimanche 11-Jui-2017) où l'on risque bien de voir disparaître des radars parlementaires non seulement les députés communistes mais aussi - et la chose est encore plus tonitruante si l'on se souvient qu'il y a cinq ans à peine le PS concentra non seulement l’Élysée, l'Assemblée, mais même le Sénat, la quasi-totalité des régions … - les députés socialistes qui feront vraisemblablement encore moins bien qu'en 1993 - 57 députés - il vaut sans doute la peine de revenir sur cette antienne curieuse qui veut que le vieux clivage droite/gauche aurait disparu !

On se trouve sans doute dans une configuration plus proche de 58 que de toute autre date : l'arrivée au pouvoir de de Gaulle, l'instauration de la Ve, avait en son temps, mais pour un temps seulement, donné l'illusion d'un dépassement des querelles stériles des partis, voire d'un dépassement des partis tout court au profit d'une logique de mouvement telle que la légende gaullienne aimait à faire prévaloir. Macron, surgi de - presque - nulle part, bouscule effectivement tout … mais pour combien de temps ? Il n'avait pas fallu tant de temps que cela - dès 67 - pour que la majorité gaullienne sente le vent du boulet et les années 70 verront très vite la logique partisane se reconstituer autour d'un PS renaissant et bientôt triomphant. Il faut dire que tout dans cette constitution pousse à une logique binaire et à un affrontement clan contre clan qui aura caractérisé la vie politique depuis 81, conduisant à des alternances quasi-systématiques.

Macron, non sans talent, ni sans culot, retente le coup fondateur de 58 mais risque bien d'incarner surtout une triple illusion :

Le mirage du centre

Aussi raisonnable que se veuille l'idée du centre - cette aimable galéjade qu'on pût se placer sur l'échiquier en évitant les excès des deux autres bords - le mode de scrutin voulu par la Ve pousse inévitablement le centre à rejoindre la majorité en place. Ce fut le cas dès l'accès de Pompidou à la présidence et si Giscard aura été le seul président élu sur le slogan de la France veut être gouvernée au centre, son mandat aura été la preuve que se trouvera toujours en face, une droite dure visant à l'hégémonie et une gauche refusant de trahir ses idéaux. Certes, pour le moment, Macron semble avoir trouvé la martingale tant et si bien que dans tous les cas de figure les candidats d'En marche devraient bénéficier de bons reports de voix. Pour autant, invariablement se trouveront dans cette majorité nécessairement composite des éléments - le Modem notamment - qui aux premiers coups de vent, retrouveront leur tropisme naturel. A la recomposition du paysage politique, je gage que répondra inévitablement un redécoupage de cette majorité pléthorique.

 

La permanence gauche / droite

 

De Gaulle avait raison, même si sa manière de l'exprimer était un peu baroque : invariablement les sensibilités politiques se départagent entre progressistes et conservateurs et il n'est pas besoin de regarder loin pour observer que tous les pays qui connaissent le bipartisme, en reproduisent le partage. Qu'il appartienne à un président de rassembler parce qu'il l'est de tous les français est évident ; que les français puissent être à la fois en attente de progrès et soucieux d'ordre est vraisemblable. Pour autant, ce serait un contre-sens que d'imaginer que le centre puisse être un mélange, fût-il habile, de ces tensions contraires ; une erreur que de croire que cette ambivalence puisse déboucher sur un dépassement dialectique : si l'acte politique est affaire de choix et donc de compromis, il laisse intactes les tensions contraires qu'il est supposé satisfaire. L'électorat de gauche n'a pas disparu ; non plus que celui de droite d'ailleurs : ils se sont simplement - et provisoirement - portés sur la seule solution apparemment novatrice qui ne semblait pas répéter les choix du passé.

Il suffit de regarder les scores additionnés de France Insoumise et des socialistes (27%) pour réaliser que même à la baisse, la gauche n'est pas morte, d'autant que doivent bien s'y ajouter des électeurs ayant rejoint LRM. Idem pour les Républicains, déchirés, certes, mais qui continuent à peser eux aussi autour du quart.

Ce fut l'habileté de Macron, même si je ne vois pas vraiment ce que cela peut signifier à long terme, que de proclamer non pas qu'il n'était ni de droite ni de gauche mais qu'il était et de droite et de gauche. A la permanence de ce clivage, répond une situation provisoire, nécessairement éphémère : celle d'une collaboration entre ces différentes forces ; une fois passé l'engouement initial et l'urgence d'une crise grave éteinte, comment faire tenir ce qui n'est sans doute que le mariage de la carpe et du lapin ? Il y a dans le programme de Macron un certain nombre de dispositions qu'il veut urgentes et qui peuvent effectivement recueillir l'assentiment d'un large éventail. Mais ces dernières une fois prises, que se passera-t-il ? La véritable cassure, entamée depuis longtemps, divise une gauche de gouvernement avec une gauche plus radicale, plus contestataire, qui vise, consciemment ou non, plus à a candidature de témoignage qu'à l'exercice du pouvoir. Ce qui n'est assurément pas un problème pour la droite, l'a toujours été pour la gauche. Du soutien sans participation de la SFIO au Cartel des gauches en 24, à celui du PC au gouvernement de Front Populaire en 36, on mesure les hésitations. La Ve aura offert à la gauche socialiste l'opportunité d'exercer durablement le pouvoir [1] - 4 fois 5 ans depuis 1981. Elle ne s'en est jamais remise faute d'avoir véritablement théorisé son passage au gouvernement ni suffisamment pensé son programme : les plus radicaux se firent frondeurs ; les plus modérés finirent par plier arme et bagage pour filer à la concurrence.

La doxa bien-pensante finit par faire accroire qu'être de gauche est un idéal voire une utopie et que ce serait être moderne que de simplement renoncer à tout ce qui ne serait pas seulement sédatif social.

Vieille question : peut-on être révolutionnaire et au pouvoir en même temps ? Est-il alternative aux inégalités criantes suscitées par le capitalisme moderne ? Si non, la gauche effectivement serait caduque. Mais incite d'autant plus à se poser et reposer sans cesse la question : qu'est-ce que la gauche ? qu'est-ce qu'être de gauche ?

 

 

Le conatus des partis

Bref, si l'on veut bien être honnête ce n'est ni la gauche ni la droite qui auraient disparu mais seulement leur représentation partisane. La droite n'a jamais eu de mal à changer de dénomination (UNR puis UDR, puis RPR puis UMP avant de s'appeler les Républicains) ; la gauche un peu plus : la vieille SFIO de 1905 qui survécut plutôt bien au Congrès de Tours, et même à sa pleutrerie de Juin 40, ne mourut exsangue après, déjà, le désastre électoral de Defferre aux présidentielles de 69, qu'en 1971, à Epinay, avec la fondation du PS et le hold-up politique de Mitterrand.

Les méchantes langues dirent de lui, alors, qu'il n'était pas devenu marxiste mais avait seulement appris à le parler : je me demande parfois si la crise que traverse aujourd'hui ne trouve pas sa source dans ce florentinisme achevé : sans doute plus ivre de pouvoir que de rigueur doctrinale, devenu sans doute de gauche avec quelque sincérité mais sans en avoir ni l'histoire ni même la culture - lui qui pourtant en avait beaucoup - Mitterrand aura été, à sa manière, à la fois créateur et fossoyeur du PS - et si on n'y prenait garde du socialisme lui-même.

Il lui aura fallu dix ans à peine pour accéder au pouvoir, mais, en y regardant de plus près, on réalise que le chemin avait commencé très tôt après la débâcle de 58, par la constitution de petits groupes, de clubs de réflexion etc. Je n'imagine pas l'opposition socialiste se recomposer autrement : d'ailleurs, déjà, Hamon mais aussi Hidalgo, lancent leurs propres mouvements de réflexion. Il y faudra du temps, assurément, car la pente idéologique sera dure et lente à remonter, mais au bout, nécessairement, renaîtra une organisation forte.

J'ai longtemps pensé que la victoire de Jospin en 97, pour inespérée qu'elle fut, survint trop tôt pour ce que le PS n'eut pas le temps de faire un bilan honnête des années Mitterrand non plus que de se donner un programme qui en tînt compte. L'habileté de Jospin le camoufla mais à la fin il perdit ; le manque cruel de clarté et de charisme de Hollande y jeta une lumière crue et cruelle.

Je pense toujours que la grande erreur, surtout sous une constitution qui se voulait en réduire l'importance et placer la présidence au-dessus d'eux, aura été pour les partis, mais singulièrement pour le PS de se dépouiller de leurs attributs. L'utilisation de plus en plus fréquence d'officines spécialisées - les think tank - telles Terra Nova ou la Fondation Jaurès finirent par ôter au parti le monopole du programme, désormais pensé, discuté en dehors de lui. Si on rajoute à ceci, l'instauration des Primaires - fausse bonne idée - le parti se voit en sus privé d'une autre prérogative essentielle : la désignation des candidats et ce d'autant plus qu'immédiatement le candidat élu s'empresse de substituer son propre programme à celui du parti ! Que reste-t-il alors au parti sinon de n'être qu'une vaste machine électorale, vide de sens, et, depuis la loi sur le financement de la vie politique, une machine à engranger les subventions.

L'histoire de la Ve montre qu'à défaut de l'appui d'un pouvoir fort et structuré, on ne peut se faire élire - le score confidentiel de M Debré en 1981 le montre cruellement ; on ne peut en tout cas efficacement exercer le pouvoir - les difficultés que Giscard éprouva tout au long de son mandat avec un RPR plus puissant que la maigrelette UDF qu'il contrôlait, sont là pour l'attester ! Certes, l'expérience Macron semble prouver le contraire, mais en apparence seulement. Il ne pourra pas ne pas constituer son mouvement en organisation structurée faute qu'il explose à la première difficulté. C'est d'ailleurs tout l'enjeu de la période qui s'ouvre. Ce fut, au reste, la même erreur que commit la droite qui crut se donner une arme anti-FN efficace en se dotant d'un parti (UMP) rassemblant toutes les tendances éparses et en intégrant UDF, autres centristes et divers droite en son sein mais en tuant presque aussitôt dans l'œuf, tout débat.

Recomposition du paysage politique, dit-on en ce moment ? oui, assurément ! mais au delà même c'est le rôle même des partis politiques qu'il faudra repenser dans un régime trop spontanément monarchique pour ne pas étouffer ce que le parlementarisme a de meilleur : le débat, la confrontation, l'amendement etc.

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1) de 81 à 86 ; de 88 à 93 avec Mitterrand ; de 97 à 2002 avec Jospin sous Chirac ; de 2012 à 2017 avec Hollande