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Gauche ? Qu'est-ce qu'être de gauche ?
Cette réflexion que j'avais entamée, mais non achevée, il y a presque dix ans, je voudrais la reprendre ici
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3) Clivage donc qui demeure mais entre quoi et quoi ?
Se poser la question revient effectivement à se demander ce que gauche signifie - et donc droite. On peut bien admettre que ce clivage qui a structuré depuis si longtemps la vie politique française a changé de sens - tout en admettant qu'il persiste.
depuis les années 1980, d’autres clivages structurants sont venus bousculer, ou déborder, la traditionnelle opposition droite-gauche. Le premier se joue autour de l’idée de la souveraineté et de la question nationale (…) A partir des années 1980, en effet, s’installe face au mouvement en profondeur de la mondialisation le clivage entre France ouverte et France fermée
Rosanvallon
C'est en tout cas la thèse de Rosanvallon dans cet ITV accordée au Monde :
- il est exact qu'en 89, ce clivage ne pouvait avoir le sens d'un conflit de classe tant ce Tiers-Etat rassemble des réalités très diverses. Il faudra attendre l'émancipation de la bourgeoisie - résultat principal de la période révolutionnaire - et l'apparition, à côté de la paysannerie longtemps dominante encore, d'une classe ouvrière de plus en plus nombreuse pour que ce clivage devienne l'expression d'une réalité sociale.
Il n'est pas faux que ce soit à partir des élections de 1849 qu’apparaisse une bi-polarisation de la vie politique : ces dernières révèlent, à côté du parti de l'Ordre, une mouvance progressiste dont l'affrontement se poursuivra longtemps et dont l'implantation locale est encore visible aujourd'hui.
- il est encore exact que l'Affaire Dreyfus marquera, en France tout au moins, un tournant qu'il ne faut jamais négliger : certains items quittent définitivement la gauche comme l’antisémitisme ou le nationalisme
Mais c'est trop peu dire ! et omettre, notamment, de grands événements comme la Commune de Paris qui entre de plain pied dans la légende de la gauche ou, plus décisif encore, la longue hégémonie de la théorie marxiste sur la gauche française jusque dans les années 80.
Mais c'est assez dire que dans tout ceci se rejoignent à la fois des facteurs économiques et sociaux - classe sociale à quoi l'on s'estime appartenir - et un facteur idéologique. C'est-à-dire à la fois une représentation du présent - comment on voit sa place dans la société - et le futur - comment on la voudrait voir évoluer.
Bouleversements
Or, sur chacun de ces deux points, il serait stupide de ne pas constater que toutes les lignes ont bougé :
la paysannerie a quasiment disparu et ne représente plus qu'une part négligeable de la population active
- la classe ouvrière, elle aussi, subit une rapide érosion due à un vaste mouvement de désindustrialisation
- la mondialisation s'accompagne d'un vaste mouvement de dérégulation et de la main-mise d'un capitalisme financier
- toutes les approches du libre-échange ont gagné du terrain dans une bonne logique libérale au point que toute idée d'un interventionnisme apparaisse désormais comme une incongruité
- la victoire idéologique du libéralisme économique - à partir de Reagan et Thatcher - qui se présente comme modèle incontournable et seul résolument adapté à la modernité
- la défaite idéologique de l'approche marxiste qui a pratiquement disparu des radars et ne se retrouve plus revendiquée qu'à l'extrême-gauche
- la social-démocratie, en quête de repères, se remet mal de ses multiples passages au pouvoir au point d'hésiter entre social-libéralisme et libéralisme social
- les menaces climatiques bouleversent progressivement toutes les approches et remettent en tout cas en cause les modèles productivistes et le tabou de la croissance à tout prix
Dans la mesure où gauche et droite se définissent finalement l'une par rapport à l'autre, il n'est pas étonnant qu'elles soient affectées, chacune pour leur part, par ces bouleversements - ce que traduit assez bien la campagne présidentielle de cette année :
- la droite a abandonné depuis la fin des années gaulliennes le mythe de la 3e voie et épousé sans ambages les dogmes du libéralisme le plus dur. Le programme de Fillon allait incontestablement dans ce sens. Le tout sécuritaire adopté et le rigorisme moral revendiqué pour rassurants qu'ils se voulussent en jouant sur la peur, se sont finalement révélés anxiogènes. Entre-temps - et depuis - la droite a abandonné les couches populaires que de Gaulle avait su se rallier au moins en partie et les a abandonnées au FN
- la gauche - en réalité le PS seul depuis que le PC fait des scores à un chiffre - tente enfin une synthèse avec les préoccupations écologiques sans s'apercevoir que le bilan et les frondes successives du quinquennat Hollande la rendent inaudible ; une gauche, d'ailleurs, divisée comme souvent, par la montée de France Insoumise qui, à bien y regarder, prend la place que le PC ne peut plus occuper.
- une extrême-droite qui a joué une campagne putassière jouant à la fois sur les réflexes identitaires les plus glauques et sur une prétendue proximité avec les préoccupations des couches populaires
Une constante pourtant
Sous des formes certes diverses, cette confrontation de deux tendances se perpétue parfois même jusque dans ses ancrages régionaux ou territoriaux. De Gaulle, on l'a vu, y voyait une expression du binôme ordre/progrès qui résumait à lui seul les courants divers traversant le peuple. D'où la nécessité d'une culture du compromis, du débat et d'une présidence qui fût au dessus des partis pour exercer son rôle à la fois d'arbitre et de guide. Dans la logique républicaine, le compromis et le débat sont assurés par le parlement ; la fonction arbitrale par l'exécutif. C'est assez dire que le débat soulevé par le veto royal en 89 se poursuivra tout au long de notre histoire républicaine sous la forme de l'équilibre sans cesse à trouver et, sans doute, à réinventer, entre l'exécutif et le législatif où s'opposent invariablement une culture de l'efficacité, du pragmatisme, d'un côté, et, de l'autre, goût des idées, nécessité de la réflexion.
Car il est assez clair que la permanence de ce clivage peut être entendue par deux côtés :
autant l’élection parlementaire permet l’expression d’un pluralisme et d’une extension des formes partisanes, autant l’élection présidentielle conduit, au contraire, à une polarisation des forces. Rosanvallon
- par le haut, c'est-à-dire du côté du pouvoir : alors c'est effectivement l'antagonisme des deux pouvoirs - exécutif et législatif - qui en forme l'ossature. Rosanvallon le souligne, la présidentialisation à l'œuvre sous la Ve, qui s'est accentuée depuis, mais le mode de scrutin évidemment aussi, favorise la polarisation en deux camps nettement tranchés, alors même que le parlementarisme favorise plutôt l'expression multiple et donc la diversité des formes partisanes. Ce n'est pas tout à fait par hasard que les partis, comme institutions organisées, naquissent sous la IIIe - 1905 pour le parti radical et la SFIO, 1920 pour le PC - ni qu'à l'inverse le gaullisme en fustigeât les fragilités et l'impuissance, ce qui d'ailleurs n'était pas très difficile après l'impuissance signalée de la IVe. Parce qu'il relève de l'acte, de la décision, l'exécutif tranche [1] ; il est choix, après délibération peut-être, mais il est décision et donc élimination parmi tous les éléments de l'alternative, de tout ce qui ne semble pas opportun, utile ou bénéfique. Qu'il dispose par ailleurs de la force armée et de police ne fait qu'accentuer le fait mais essentiellement, par nature, l'exécutif [2] suscite le clivage.
A l'inverse le Parlement : on oublie souvent que le terme dérive tout simplement de parler, et désigne ces assemblées où l'on se réunit pour délibérer. Lieu d'abord d'échange, de dialogue, et donc de compromis et d'amendement, avant même d'être - et pour que ce soit possible - le lieu où se forge la loi et le contrôle de l'exécutif. Par définition, c'est un lieu mêlé, disparate, contradictoire où donc émergent des figures, des talents, des verbes hauts. Par son histoire même, surtout en France, il est l'antagoniste toujours possible de l'exécutif qui ne peut agir sans au moins se l'être sinon assujetti, au moins allié. Et ce même en régime présidentiel : on l'aura observé lors des trois cohabitations qui, même si elles laissèrent à l'exécutif sa prééminence, la mesura et ne l'accorda qu'à l'un issu de ses rangs. En 89, le législatif s'est érigé en face et contre le Roi : il ne peut l'oublier. Chacun de ses affaissements - 18 Brumaire, 1852, 1940, 1958 - il les paye de ses lâchetés ou des coups d'audace de l'exécutif. C'est bien pour cela que l'équilibre des pouvoirs - sont on discutera sans fin - l'indépendance des pouvoirs - dont on peut disputer si finement - sont loin d'être des questions anodines - en tout cas ne se réduisent pas à leur seule dimension constitutionnelle.
Reprendre l'histoire suffit à le comprendre : ce que nous dit le débat sur le veto royal c'est combien, dès le départ, l'essence de la République est parlementaire. Combien elle réside dans l'intrusion bientôt organisée du peuple dans la chose politique, dans le débat, le pluralisme. On pourrait reprendre mot à mot l'analyse que fit en son temps Mendès France des excès de la IVe - il parle d'un parlementarisme dévoyé - mais de ceux inverse de la Ve - il évoque un autoritarisme mais surtout la concentration des pouvoirs dans les mains d(un seul - pour comprendre que la Ve - tout en assurant une incroyable instabilité institutionnelle - avait échoué, mais se pouvait-il autrement, à renforcer l'exécutif sans en faire l'unique centre du pouvoir. Il est faut de croire qu'il soit possible qu'un président pût être à la fois arbitre et acteur : le ver était dans le fruit dès le départ.
- par le bas, c'est-à-dire du côté du peuple, de ce qui constitue la Nation. Deux lectures, finalement, sont possibles et qui hantent toutes nos théories politiques.
Première lecture : celle de Hegel, puis surtout de Marx, qui fit de la marche de l'histoire la résultante toujours conflictuelle de tensions contradictoires. Dans son versant le plus radical, l'appareil d’État demeure nécessairement l'ennemi et le progrès social ne peut émerger que, concrètement, dans les luttes sociales. C'est le sens de la lutte des classes comme moteur de l'histoire. Dans son versant plus modéré, cette tension doit s'exprimer dans la lutte politique et trouver un écho dans la représentation. Gauche et droite alors revêtent une réalité incontestable et incontournable d'être les représentations politiques de la classe ouvrière et de la bourgeoisie, des exploités et des possédants ivres de conserver leurs privilèges. Ce clivage peut se déplacer, prendre des formes nouvelles à la mesure des développements et transformations du capitalismes international, mais, parce qu'expression radicale d'un clivage économique et social, demeure indépassable.
Que pour les uns le pouvoir demeure l'ennemi absolu et que pour les autres on puisse s'en servir au moins dans un premier temps pour faire avancer la lutte et atténuer les inégalités, ne change rien à l'hostilité foncière de la gauche pour l’État et ce tout au long du XIXe - ce que l'histoire même de la Commune de Paris confirme. Le grand rêve demeure celui d'un peuple suffisamment alerte et soucieux pour savoir se gérer lui-même sans avoir nul besoin d'un appareil d’État qui de toute manière finirait par se retourner contre lui. Cette idée se retrouve jusque dans le discours admirable que Blum fait à Tours en décembre 1920 pour refuser les 21 conditions émises par Lénine à l'adhésion à la IIIe Internationale.
Cette rupture avec le capitalisme qui résonne encore au congrès d'Epinay - même si c'est dans la rouerie du discours mitterrandien - va lentement s'effilocher au gré de la présence du PS au pouvoir pour mourir dans cet introuvable social-libéralisme et c'est ce qui peut donner l'impression à certains que le clivage irait lui-même s'estompant. Néanmoins, les inégalités persistant, s'accroissant même, on voit mal comment il pourrait disparaître, même s'il va parfois s'égarer dans ce que faussement on nomme populisme.
La seconde lecture - que l'on retrouve chez de Gaulle - est au fond celle d'A Comte : celle de la concomitance de deux courants moins contradictoires d'ailleurs que seulement ambivalents qu'il appartient au système politique d'orchestrer harmonieusement pour que la Nation puisse avancer sans jamais se dissoudre. Conception organique de ce clivage qui veut que les deux bords ne soient pas les représentants distincts et opposés d'aspirations contradictoires mais au contraire l'expression confuse, chez les mêmes, de tensions moins contradictoires que complémentaires. Dans une telle perspective, résoudre les problèmes, faire la synthèse de ces ambivalences est évidemment affaire d'exécutif. D'où ce discours étrange, contre les partis - qui sans pour autant en reprendre les excès reproduit néanmoins les pires accents du pétainisme. Ce qui, en tout cas, domine dans une telle perspective, c'est bien la représentation nationale qui menace toujours de trahir ou de mal réverbérer le réel, toujours suspecte bientôt ennemie. D'où cette tentation de l'incarnation, le souhait de passer par dessus les corps intermédiaires, d'établir un lien direct entre le chef et le peuple. Cette lecture peut bien vite être dangereuse car celle du chef qui protège et apaise même si elle explique assez bien comment ce peuple si conservateur d'ordinaire parvient à des colères si redoutables.
Logique de conflit contre logique de conciliation, passion contre raison peut-être même : ce clivage tient ici beaucoup de la représentation qu'on se fait du peuple, qu'il se fait de lui-même. Mais l'opposition droite/gauche s'en empare vite : celle-là vantant avec insistance, par exemple, le modèle syndical allemand de la concertation et de la cogestion en opposition au nôtre plus spontanément revendicatif. Alors oui, cette lecture qui n'est pas nécessairement fasciste mais qui peut y conduire, conduit, à l'opposé de l'autre, à une culture du chef, dans le pire des cas, à la prééminence de l’État seul à même de réconcilier les pulsions contradictoires du peuple. Ce n'est rien de dire que la première est plutôt de gauche quand la seconde est de droite même s'il convient de préciser qu'au moins depuis 58, elle a fini par devenir celle d'une frange, plutôt technocrate, du centre gauche.
Le traumatisme du 21 janvier
1) comment oublier que décider vient de de-caedere - caedo signifiant précisément couper, trancher - ni que d'ailleurs fort logiquement trancher signifie prendre une décision.
2) exécuter, d'ailleurs, qui signifie passer du virtuel au réel, mettre en œuvre une décision de justice, mais donc aussi mettre à mort vient de exsequi « suivre jusqu'au bout, d'où accomplir, achever et poursuivre en justice ; punir