Bloc-Notes 2017
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Trop forts, ces électeurs français !
G Courtois Le Monde du 19/06

 



CHRONIQUE
. C’était une autre époque, un autre monde. Le 20 septembre 1990, à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire), Michel Rocard planchait devant la direction du Parti socialiste, réunie en séminaire pour réfléchir à son projet. Que disait à ses camarades celui qui était alors premier ministre ? « Notre démocratie devient un système dans lequel le peuple existe et ne laisse à personne d’autre que lui-même le soin de l’exprimer. » Et il ajoutait : « Il n’y a lieu que de s’en féliciter. Nous avons affaire à des citoyens qui sont collectivement d’une intelligence que je trouve confondante. »

Le diagnostic n’a rien perdu de sa pertinence. Bien au contraire. Depuis quelques mois, la campagne électorale a chamboulé toutes les lois de la vie politique nationale. Au point que, au fil des quatre tours de scrutin, présidentiel puis législatif, les Français ont pu paraître déroutés, incertains, hésitants, votant, ne votant pas ou votant blanc, sautant d’un candidat à l’autre, hamonistes un jour, macronistes le lendemain, « insoumis » le surlendemain, emballés ou méfiants, mobilisés ou grincheux.

Mais, au bout du compte, ils ont fait preuve, collectivement, d’une « intelligence confondante » et délivré trois messages d’une grande netteté. Trop fort, ces Français !

Spectaculaire coup de balai

On les disait lassés de l’éternel retour aux commandes du pays des mêmes hommes et des mêmes partis. Ils l’étaient et l’ont signifié sans aucun ménagement. Lors de la présidentielle, d’abord, ils ont blackboulé tous les caciques patentés, éliminé socialistes et Républicains qui se partageaient jalousement le pouvoir depuis des décennies et élu en la personne d’Emmanuel Macron un homme qui a défié toutes les règles habituelles d’âge, de parcours et d’expérience supposées requises pour entrer à l’Elysée.

Ce n’était que le premier acte. Les 11 et 18 juin, ils ont achevé ce spectaculaire coup de balai en renouvelant de fond en comble l’Assemblée nationale. Soit qu’ils aient anticipé le mouvement en ne se représentant pas – poids des ans pour les uns, découragement pour les autres, respect obligé de la loi limitant le cumul des mandats pour de nombreux autres –, soit qu’ils aient été battus, ce sont au total 434 députés sortants qui ont été renvoyés dans leurs foyers et remplacés par une armée de novices, pour la plupart inconnus au bataillon politique.

Parmi ces derniers, des profils professionnels plus diversifiés, des jeunes voire des très jeunes qui ont fait baisser de plus de cinq ans (à 48 ans) la moyenne d’âge des députés, enfin des femmes en nombre comme jamais auparavant puisqu’elles seront 224 (soit 38 % du total) contre 155 durant la dernière législature. Même en 1958, lors du retour au pouvoir du général de Gaulle, l’Assemblée n’avait été renouvelée que pour moitié ; elle l’est aujourd’hui aux trois quarts. Emmanuel Macron annonçait, il y a un an, son intention de « changer notre système politique ». Les Français lui ont répondu banco !

Pas de chèque en blanc

Le deuxième message est tout aussi clair et, si l’on peut dire, très macronien. D’un côté, les Français ont accordé au chef de l’Etat et au premier ministre la majorité absolue dont ils ont besoin pour mener à bien leur action. Avec 308 députés de La République en marche, le pouvoir exécutif ne sera même pas dépendant du bon vouloir des troupes centristes de François Bayrou.

Mais « dans le même temps », les électeurs ont, de fait, soigneusement dosé le rapport des forces parlementaires et évité d’accorder au président la majorité écrasante que les augures lui promettaient ces derniers jours. Sensibles aux critiques qui, de tous côtés, dénonçaient par avance un tel raz-de-marée, ils ont corrigé au second tour la tendance du premier. S’ils ont donné au président le pouvoir d’agir, ils ne lui ont pas signé un chèque en blanc.

Au passage, ils ont également effectué une démonstration inédite. Le scrutin majoritaire en vigueur pour les législatives était réputé confier l’essentiel de la représentation nationale au camp victorieux et à son opposition. Au gré des alternances de ces trente dernières années, la gauche (les socialistes et leurs alliés) et les droites ne laissaient que des miettes aux autres partis.

Or, les électeurs ont trouvé le moyen de donner une place significative à toutes les forces politiques du moment : le mouvement présidentiel (en force), les socialistes (étrillés), Les Républicains (laminés), les deux familles centristes (MoDem et UDI), mais aussi La France insoumise qui pourra constituer un groupe parlementaire et même le Front national qui, avec huit élus dont sa présidente Marine Le Pen, aura voix au chapitre. Jamais la représentativité politique de l’Assemblée n’avait été aussi complète.

L’intelligence des gouvernants

Le troisième message, enfin, est plus sombre. En s’abstenant comme jamais dimanche 18 juin (à près de 58 %) ou en glissant dans les urnes près de 10 % de bulletins blancs ou nuls, les Français – notamment les plus jeunes et ceux issus des milieux populaires – ont confirmé leur indifférence, leur déception ou leur défiance à l’égard des responsables et des jeux politiques. L’avertissement aux nouveaux députés (élus par 38 % seulement des électeurs inscrits) comme au nouveau pouvoir est on ne peut plus clair : tous sont condamnés à sortir de l’immobilisme ou de l’impuissance s’ils veulent reconquérir la confiance des Français.

Cela suppose, en premier lieu, qu’à l’intelligence des citoyens réponde celle des gouvernants. Dans sa courte préface au livre de Jean-Paul Huchon qui paraît cette semaine (C’était Rocard, L’Archipel, 320 pages, 20 euros), Emmanuel Macron se présente en fidèle héritier de Michel Rocard, de son « exigence intellectuelle », de son impératif d’« efficacité » et de sa conviction que « l’énergie de la société » est le levier de sa transformation. Reste à passer à l’acte. C’est maintenant.