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Internet sort ses armes anti-intox
Pauline Moullot


24 janvier 2017 à 20:16


Le 9 novembre, au lendemain de l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche, Facebook et Google étaient déjà pointés du doigt, accusés d’avoir laissé les fausses informations prospérer sur le réseau social, et de les avoir même parfois fait remonter sur le moteur de recherche. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé quelques jours après l’élection : un article publié sur un site de fake news explique que Trump a remporté le vote populaire (qu’il a en réalité perdu de 2,9 millions de voix). Factuellement faux, l’article se retrouve placé en deuxième position dans les résultats des recherches Google actualités. Dans la semaine qui suit l’élection, Facebook et Google finissent par admettre que le problème des fake news est réel. Sommés d’agir, ils prennent des mesures : les sites de fausses infos sont bannis de leurs systèmes publicitaires.


Label Quatre mois plus tard, la lutte contre les fausses infos va un peu plus loin. Sur Google, certains articles de la rubrique «actualités» sont désormais labellisés «vérification des faits», aux côtés de catégories déjà existantes telles que «opinion», «blog» ou «source locale». Ce projet, initié par la Duke University en Caroline du Nord, auquel s’est associé Google, était déjà dans les tuyaux depuis plus d’un an. «Nous nous sommes lancés à l’été dernier», confirme Bill Adair de la Duke University, qui a mis au point le code nécessaire pour être référencé comme vérifié par Google. Aujourd’hui, le projet s’étend. Les Décodeurs du Monde et Désintox de Libération en font eux aussi partie. Dans les faits, le label apparaît encore très rarement.


Facebook de son côté, qui permet déjà dans sa version en langue anglaise de signaler un article comme «hoax», veut désormais monter un partenariat avec plusieurs organisations de fact-checking. L’idée ? Faire remonter les articles signalés par plusieurs internautes à des fact-checkeurs, qui se chargent alors de vérifier l’information. Dans les fils Facebook, un bandeau apparaîtra au-dessus de l’article pour informer les utilisateurs du réseau social que des vérificateurs remettent en cause sa véracité.


Mais la bataille contre les fake news est surtout menée par d’autres acteurs. Des médias et des internautes ont développé des «extensions» de navigateur web. Slate.com a lancé la sienne mi-décembre, le Monde est en train d’en mettre une au point. Ces plug-in reposent sur une liste de sites classés selon leur degré de véracité : quand un lien vers un site douteux apparaît, un bandeau remettant en question l’authenticité de l’article apparaît. C’est donc l’origine même qui est visée, et non le contenu. Ainsi, une vraie info publiée sur un site habitué à diffuser des intox peut être signalée comme fausse par une telle extension. Problème, cela risque de prêcher des convaincus. «Si vous êtes suffisamment consciencieux pour télécharger une extension, vous n’êtes probablement pas la première victime de fake news», explique à Libération Alexios Mantzarlis, en charge du réseau de fact-checking international de l’institut Poynter.


En réalité, ce débat ne date pas de l’élection de Trump. Pendant toute la campagne américaine, de nombreux journalistes avaient dénoncé l’importance des sites de fake news sur les réseaux sociaux. Rassemblant des médias, des fact-checkeurs et des acteurs du Web (Google News Lab est l’un des membres fondateurs), la coalition First Draft a vu le jour en 2015 : elle vise à promouvoir la compréhension et la vérification des infos sur les réseaux sociaux et à lancer une plateforme où plusieurs participants pourront vérifier en commun des infos douteuses. Elle a été rejointe par Facebook et Twitter en septembre. Deux mois avant l’élection américaine. Pour l’instant, la coalition consiste avant tout à partager des techniques de vérification.


Outils Cela fait pourtant longtemps, bien avant que «post-vérité» ne soit sacré mot de l’année, qu’une réflexion sur le contrôle des fake news est en cours et que des universitaires planchent sur le sujet en tentant de mettre au point des outils automatiques de vérification au service des journalistes. En Europe, le projet Pheme, financé par la Commission européenne, a été créé en janvier 2014. Plusieurs universités européennes se sont alliées pour mettre au point un outil de vérification automatique. Un algorithme qui permet de déceler les vraies infos des fausses sur les réseaux sociaux et de les classer selon leur degré de véracité. L’idée est née après les émeutes de 2011 à Londres, où de nombreuses rumeurs avaient couru. Les premiers résultats des tests seront rendus publics en mars. Aux Etats-Unis, Claim Buster, un nouvel outil signale aux journalistes quelles citations d’un discours peuvent être soumises à vérification. Et on pourrait citer des dizaines de projets de «robots fact-checkeurs» à travers le monde.


Confier la question du fact-checking à un algorithme pose plus largement la question (outre celle de son efficacité) de la censure. Dès l’annonce du lancement de Pheme, il a été qualifié d’outil de propagande par ses détracteurs. Le même procès avait d’ailleurs été intenté à Facebook pendant la campagne américaine : le réseau social a fini par renvoyer cet été ses journalistes chargés de la rubrique «trending» (pas encore disponible en France) accusés d’être pro-démocrates. Résultat, sans éditeurs humains, l’algorithme a mis en avant de fausses infos. Un risque d’accusation de propagande ou de censure que les différents acteurs luttant contre le fake news assurent avoir toujours en tête.