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Emotion

Une photo ! il aura suffi d'une photo, celle de cet enfant échoué sur la grève. Cela faisait un moment déjà que la presse s'était emparée de la question des migrants, lui consacrant ici et là, des unes, des numéros spéciaux. De s'interroger sur l'impuissance de l'Europe à y porter réponse concertée et généreuse, voire de s'interroger sur l'usage même du mot migrant et de sa distinction avec réfugié, immigré ... Voire encore, et je ne sais pas si ce n'est pas ici le pire, de s'offrir les agréments d'une analyse de la photo ... de la puissance toute relative d'une photographie à changer quoique ce soit !

Et les uns et les autres de s'interroger sur les raisons qui les firent publier cette photo voire s'excuser de ne pas l'avoir fait ... (Libération)

Tout me gêne dans cette affaire qui me fit d'abord renoncer à écrire quoique ce soit sur le sujet. L'Europe d'abord qui se révèle décidément pour ce qu'elle n'a cessé d'être : un syndicat de copropriétaires avaricieux. La presse, bien sûr, qui fait, certes son travail, mais paraît quand même bien un peu en faire son miel et se jeter goulûment sur l'enfant comme la vérole sur le bas clergé breton. Les politiques - faut-il les évoquer seulement ? - qui se disputèrent le sordide avec une gourmandise même pas feinte ...

Nous-mêmes sans doute, qui réagissons plus que nous n'agissons ; n'offrons que de l'émotion - respectable évidemment - pour toute réponse. C'est cela sans doute qui me turlupine le plus et m'inquiéta déjà en janvier lors de l'attentat contre Charlie ! Je suis Charlie était sans doute une levée en masse, spontanée, et belle à plus d'un égard, mais une charge d'émotion, une poussée d'adrénaline, une réponse de type identitaire. Et, puis, depuis, rien ! Il en ira de même ici. Incontestablement. Nous ne sommes même pas à hauteur de nos propres sentiments : Pascal a écrit, on le sait, sur nos divertissements, des pages incontournables.

Sans doute sommes-nous passés d'une civilisation de l'écrit à une culture de l'image et l'on aurait pu croire que la violence souvent abrupte de celles qui défilent devant nous enclenche plus immédiatement ou efficacement que les mots une réaction qui fût à la hauteur ! Nous nous indignons, oui, souvent. Seulement !

Migrants : « La France marche à l’émotion, mais il faut une prise de conscience » titre le Monde. Oui c'est cela. Point vraiment d'action, mais une simple réaction. Point non plus de véritable réflexion ou analyse : l'expression - honorable - d'une solidarité tout juste payée d'une marche sur le pavé parisien ... peut-être aussi fugace que ces images martelées sans vergogne ni pudeur par la presse.

Je ne sais si les mots nous éloignent des choses - ils les disent très imparfaitement en tout cas, on le sait - mais, assurément, les images ne nous en rapprochent pas. On trouvera, à foison, photos épouvantables sur les horreurs de la guerre, sur les victimes innocentes, les enfants soldats etc ... Je ne suis pas certain qu'elles pèsent mieux ou bouleversent plus que certaines lignes du Céline de Voyage au bout de la Nuit, par exemple.

Ces images, oui, nous regardent, comme le monde nous regarde, mais nous en fîmes un écran qui nous protège, enferme ou paralyse. Au fond, nous ne cessons jamais de regarder ailleurs ; très vite.

Nous ne touchons jamais au réel et si, d'aventure, ce dernier vient à nous toucher nonobstant par le truchement de ces images, il ne parvient pas à nous ressusciter jamais.

A nous réveiller, si peu ...

 

 


Libération du 28 Août Migrants et réfugiés : des mots aux frontières bien définies

Libération du 3 Sept Une image, un tournant

Libération du 3 Sept Les photos «qui changent le monde» changent-elles vraiment le monde ?

réunis ici

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