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Du Monde

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Nom d'un migrant
M le magazine du Monde 04.09.2015
Lucien Jedwab

 

 

Exilé, immigré, réfugié… Que de termes pour désigner des personnes déplacées, pour toutes sortes de raisons.
« Apatride » : sans nationalité légale. Boat people : réfugiés ayant fui leur pays sur des bateaux, principalement originaires du Vietnam. Exilé : banni, expulsé, proscrit ; qui est en exil ; exemple : exilés fiscaux. Emigrant : personne qui émigre ; exemple : Charlot Emigrant. Emigré : qui s'est réfugié hors de France sous la Révolution pour garder toute sa tête ; qui s'est expatrié. Exode (avec une majuscule) : émigration des Hébreux hors d'Egypte (avec Yul Brynner dans le rôle de Pharaon) ; exode (avec une minuscule) : fuite des populations civiles devant l'avance allemande en mai-juin 1940. Expatrié : qui a quitté sa patrie ; diminutif : expat. Grandes Invasions : « migrations de peuples », souvent violentes et dévastatrices, en Occident, aux IVe et Ve siècles, entre autres de Wisigoths et d'Alamans. Immigrant : qui immigre ou a immigré récemment. Immigré : qui est venu de l'étranger pour s'installer, afin de construire nos routes. Indésirables étrangers : républicains espagnols réfugiés en France après la victoire de Franco. Pas rancuniers, rentreront dans Paris par la porte d'Orléans, le 25 août 1944. Migrant : travailleur qui s'expatrie pour des raisons économiques ; personne qui participe à une migration. Concerne aussi les canards. Personnes déplacées (1945, de l'angl. displaced persons, DP) : qui ont dû quitter leur pays lors d'une guerre, d'un changement de régime politique. Rapatrié : qui rentre dans son pays, quelquefois après avoir cru que le pays d'autrui était à lui. Réfugié : personne qui fuit son pays d'origine afin d'échapper à un danger.

Migrants, donc, aux frontières de l'Europe ? Réfugiés, plutôt, au sortir de Syrie ? Assurément. Mais qui suis-je pour en parler ? Mes parents, personnes déplacées dans des conditions dramatiques, se sont établis en France après la guerre. La faute à Voltaire ? Quant à mon fils, professeur d'économie dans une (forcément) prestigieuse université américaine, il s'est... expatrié. Nobody's perfect.



 

Migrant, exilé, réfugié : les mots pour le dire
Lucien Jedwab
Le Monde du 04.09.2015

Les images insoutenables du corps sans vie d’un enfant syrien sur une plage turque, après celles de processions de familles exténuées stoppées aux frontières de l’Europe, ont été reproduites dans le monde entier. Le Monde lui-même a pris la décision, mûrement réfléchie, d’en faire sa « une ». Non pas pour choquer, mais pour éveiller les consciences. En mettant des mots sur des maux.

« Réfugiés », donc. Et non plus simplement « migrants ». Non pas que ce terme soit péjoratif, comme le soutenait récemment un journaliste d’Al-Jazira sur son blog, mais parce qu’il recouvre une réalité complexe, pas toujours simple à décrire. Les réfugiés ont droit, selon les conventions internationales, à une protection toute particulière. Et si tous se trouvent être des migrants, tous les migrants ne sont pas des réfugiés, même s’ils ont le droit imprescriptible d’être traités avec respect et humanité.

Hésitations

Les reportages montrant ou décrivant les parcours de ces personnes ont recouru conjointement ou alternativement aux termes « migrants » ou « réfugiés ». Parce que la distinction n’est pas toujours aisée à faire entre ceux qui participent à une migration, quelles qu’en soient les raisons (et celles-ci ne sont pas toujours mauvaises), et ceux qui fuient leur pays d’origine afin d’échapper à un danger mortel. D’où les hésitations, dans la presse en général et dans Le Monde en particulier, quant à l’emploi des mots. Par exemple : « “Migrant”, “exilé”, “réfugié” : le poids des mots », dans La Tribune de Genève, ou bien encore : « “Migrant” ou “réfugié” : quelles différences ? », sur Lemonde.fr. A fortiori quand la place manque, dans un titre par exemple.
Amnesty International utilise la formulation générale « migrants et réfugiés » (comme l’a fait Le Monde dans son éditorial du 24 août). Sauf, bien évidemment, quand la situation des personnes ou des populations est sans équivoque. Ainsi, dans les pays frontaliers de la Syrie, ce sont bien des « réfugiés » fuyant le régime de Bachar Al-Assad ou les exactions de l’Etat islamique qui ont été accueillis par centaines de milliers.


 

 

« Flüchtlinge », « migranti »… Bataille de mots en Europe
LE MONDE du 26.08.2015
Par Frédéric Lemaître (à Berlin), Salvatore Aloïse (à Rome) et Eric Albert (à Londres)

 


Les débats sur l’afflux de migrants butent sur les mêmes problèmes de sémantique, un peu partout en Europe. Avec les mutations des phénomènes migratoires, les mots changent. En Allemagne, les deux expressions les plus utilisées sont « Flüchtlinge » – les réfugiés – et « Asylbewerber » – les demandeurs d’asile –, qui parlent de ces étrangers qui fuient un danger.


Les années précédentes, c’était le terme d’« Einwanderer », les immigrés, qui était au centre des débats. Un mot qui avait succédé au sinistre « Gastarbeiter », ces « travailleurs invités » grâce auxquels l’Allemagne a assuré sa prospérité de 1955 à la fin des années soixante. L’expression reconnaissait cyniquement que ces hommes issus de Turquie et du bassin méditerranéen n’étaient perçus que comme une main-d’œuvre invitée… à repartir. Mais ces hommes sont restés, posant la question de l’intégration des Allemands avec « Migrationshintergrund » - « issu de l’immigration ». Un terme qui fait aussi débat.

« Immigré » forcément « illégal »

Au Royaume-Uni, le mot « migrant » a longtemps été le plus neutre de tous pour parler des gens qui migrent vers l’Europe. Mais avec ce qui est appelé la « crise des migrants », le ton général des médias et de la classe politique britannique a pris une connotation très négative. Une étude du vocabulaire utilisé dans les journaux britanniques entre 2010 et 2012, réalisée par l’université d’Oxford, montre que le mot « immigré » est quatorze fois plus souvent associé à « illégal » que celui de « migrant ».

C’est en train de changer. La réflexion sur les mots employés et leur caractère négatif a été lancée par la chaîne Al-Jazira qui a annoncé qu’elle n’utiliserait plus le mot de « migrant », trop péjoratif, et lui préférerait celui de « réfugié ». Lindsey Hilsum, journaliste à Channel 4, a fait de même. Selon elle, « migrant » même s’il a l’avantage de la neutralité, le terme a progressivement été dévoyé. Elle aussi va désormais choisir « réfugié » de façon plus systématique.

En Italie, le terme généralement employé est celui de « migrants » qui permet de ne pas devoir spécifier s’il s’agit de réfugié ou pas. Le changement sémantique plutôt récent : le sociologue Ilvo Diamanti le fait remonter à la période qui a suivi la visite du Pape à Lampedusa en juillet 2013. C’est à ce moment-là, dit-il, que la presse cesse de parler de « clandestins » – ce que continue à faire, pratiquement seule, la xénophobe Ligue du Nord. À la fin des années 1980, l’Italie avait pris douloureusement conscience de n’être plus terre de migration mais d’accueil, désignant ses étrangers comme des « extra-communautaires » et des « vucumpra » – c’est-à-dire la formule « vuoi comprare? » (« tu veux acheter ? »), mal prononcée par les vendeurs à la sauvette étrangers. Ces termes sont devenus aujourd’hui imprononçables.


 

« Migrant » ou « réfugié » : quelles différences ?
Le Monde du 25.08.2015
Alexandre Pouchard

Migrants ou réfugiés ? Le débat sémantique s’installe en Europe pour savoir comment qualifier les milliers de personnes qui arrivent quotidiennement sur les côtes méditerranéennes. Le premier terme est fustigé pour ne pas refléter la détresse de ceux qui, le plus souvent, fuient un conflit.

Le média qatari Al-Jazira a ainsi annoncé le 20 août qu’il n’utilisera plus que le mot « réfugié » dans le contexte méditerranéen :

« Le terme parapluie “migrant” ne suffit désormais plus pour décrire l’horreur qui se déroule en mer Méditerranée. Il a évolué depuis ses définitions de dictionnaire, pour devenir un outil péjoratif qui déshumanise et distance. (…) C’est un mot qui ôte la voix aux personnes qui souffrent. »

Al-Jazira rappelle que la plupart de ces personnes viennent de Syrie − où une terrible guerre civile se déroule depuis quatre ans −, d’Afghanistan, d’Irak, de Libye, d’Erythrée ou de Somalie, « autant de pays dont les ressortissants obtiennent généralement l’asile ».

Alors que d’autres médias s’interrogent, à l’image du Guardian, et que le débat prête le flanc aux interprétations politiques, quelles réalités recouvrent les définitions des termes « migrant » et « réfugié » ?
Lire aussi : Le « migrant », nouveau visage de l’imaginaire français


Tout réfugié est un migrant…

En droit international, le « réfugié » est le statut officiel d’une personne qui a obtenu l’asile d’un Etat tiers. Il est défini par une des conventions de Genève (« relative au statut des réfugiés »), signée en 1951 et ratifiée par 145 Etats membres des Nations unies :

« Le terme “réfugié” s’appliquera à toute personne (…) qui, craignant d’être persécutée du fait de sa race [son origine], de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »

Ce statut peut être « perdu » si la situation dans son pays a changé, si la personne y est retournée volontairement ou encore si elle a changé de nationalité.

Une demande d’asile est normalement individuelle. Est donc réfugiée toute personne qui a demandé l’asile et est reconnue par un Etat comme ayant fui son pays en raison de menaces sérieuses pour sa vie. Cette condition doit normalement être argumentée : le réfugié doit apporter à son Etat d’accueil la preuve de ces menaces.
Le cas spécifique des conflits généralisés. Ces dernières années, les réfugiés en Europe ou au Moyen-Orient sont principalement des Syriens, Afghans, Irakiens ou encore des Libyens. Autant de pays en proie à des guerres civiles largement reconnues sur le plan international. Dans le cas d’afflux massifs d’habitants fuyant des combats, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) reconnaît que « la capacité de mener un entretien personnel d’asile avec chaque personne ayant traversé la frontière n’est pas suffisante – et ne le sera jamais. Cela ne s’avère d’ailleurs pas nécessaire dans la mesure où, dans de telles circonstances, la raison de leur fuite est généralement évidente ». Ces groupes sont alors dits réfugiés prima facie, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas besoin d’apporter la preuve de persécutions.

Dans une note d’octobre 2013 consacrée à la Syrie, le HCR déclare donc qu’il reconnaît comme « réfugié » toute personne fuyant le pays et correspondant à des profils parfois très spécifiques (opposants, journalistes) mais aussi très larges : enfants pouvant être menacés par des actes de violence, femmes risquant d’être violées ou mariées de force, personnes appartenant à un groupe religieux ou un groupe ethnique… ce qui recoupe toute la population. Les soutiens du gouvernement, traqués par les rebelles, sont également inclus. Seuls les individus reconnus comme ayant commis des actes de violence sont exclus de cette disposition.

… mais tous les migrants ne sont pas des réfugiés

Le dictionnaire Larousse définit un « migrant » comme toute personne qui effectue une migration, c’est-à-dire qui se déplace volontairement dans un autre pays ou une autre région « pour des raisons économiques, politiques ou culturelles ». Le Petit Robert restreint la raison de ces déplacements au fait de « s’établir ».

Dans les faits, les milliers de personnes ayant traversé la mer Méditerranée sont bien des migrants, car ils se sont déplacés d’un pays à un autre, même d’un continent à un autre. Parmi eux se trouvaient des personnes considérées comme réfugiés par le HCR (comme les Syriens). Les autres, de nationalités diverses, quittant un pays en développement pour chercher une vie meilleure en Europe, sont dits « migrants économiques » car « ils font le choix du déplacement pour de meilleures perspectives pour eux et pour leurs familles », explique le HCR. Les réfugiés, quant à eux, sont « dans l’obligation de se déplacer s’ils veulent sauver leur vie ou préserver leur liberté ».

Ce sont les migrants économiques qui sont généralement ciblés par les politiques dures en matière d’immigration. Le HCR regrette depuis plusieurs années que des mesures soient « appliquées de manière indiscriminée et rendent très difficile, sinon impossible, l’entrée des réfugiés dans un pays où ils pourraient trouver la sécurité et le soutien dont ils ont besoin, et auxquels ils ont droit en vertu du droit international ».
Malgré tout, considérant que la majorité des migrants traversant la Méditerranée « viennent de pays en guerre ou en proie à des violences et des persécutions (Syrie, Afghanistan, Irak, Erythrée) », le HCR, contacté par Le Monde, décrit le mouvement massif vers l’Europe comme « une crise de réfugiés ». Il utilise toutefois les deux termes, réfugiés et migrants, pour décrire la population dans son ensemble, assurant par exemple que, « jusqu’à aujourd’hui, 292 000 réfugiés et migrants sont arrivés par la mer en Europe en 2015 ».

L’utilisation des deux termes est également le parti pris des organisations telles qu’Amnesty International, Human Rights Watch ou encore la Cimade en France. Cette dernière fournit un accompagnement juridique aux migrants et tient, sauf exception, à privilégier le vocabulaire précis : des demandeurs d’asile peuvent être déclarés réfugiés en cas de réponse positive. « Le terme de “réfugié” est très précis dans le droit international, alors nous ne l’utilisons que dans ce contexte, explique Louise Carr, du programme des personnes déracinées à Amnesty International. Mais il est vrai que le terme “migrant” est de plus en plus connoté péjorativement et recoupe beaucoup de situations très diverses. »


L’asile constitutionnel et la « protection subsidiaire » comme alternatives

Le statut de réfugié n’est pas le seul possible pour des demandeurs d’asile. La France, par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 – à laquelle le préambule de la Constitution de 1958 fait référence –, reconnaît l’asile constitutionnel. Il peut être octroyé « à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ».

Par transposition de règles européennes, la France peut aussi accorder une « protection subsidiaire » à toute personne ne remplissant pas les conditions d’octroi du statut de réfugiés mais étant menacée de peine de mort, de traitements inhumains ou dégradants ou de « violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne ou international ».

 


 

Le « migrant », nouveau visage de l’imaginaire français
LE MONDE du 26.08.2015
Sylvia Zappi

 

Les mots sont importants. Particulièrement dans les périodes de crise et de doute. C’est la conviction du journaliste en ligne Barry Malone, de la chaîne Al-Jazira, quand il lance son appel intitulé « Ne les appelez plus migrants », le 20 août, sur son blog. Ce jour-là, il demande aux médias de ne plus utiliser ce terme pour désigner les milliers de personnes qui fuient les frontières syriennes ou érythréennes, expliquant que le mot avait une connotation « dépréciative » et « péjorative ». En l’employant, les médias « participent à la création d’une ambiance délétère », écrit-il, ajoutant : « Parler de migrants, c’est refuser d’écouter la voix de ceux souffrent. » Le directeur des informations de la chaîne qatarie annonce le même jour qu’il remplacera le qualificatif par le mot « réfugié » (refugee).

Le texte a eu un écho inattendu dans les médias, notamment anglo-saxons, et sur les réseaux sociaux, ajoutant une dimension sémantique aux débats en cours sur la question migratoire. Lundi 24 août, la journaliste Lindsey Hilsum, spécialiste des questions internationales sur la chaîne britannique Channel 4, prend à son tour position et annonce qu’elle s’emploiera désormais à parler de « réfugiés » ou de « gens » (people). Dans la foulée, la BBC et le Washington Post s’emparent de la question. La page Facebook d’Al-Jazira reçoit en quelques jours plus de 50 000 encouragements.

Pourquoi un tel emballement sur un terme a priori neutre ? « Migrant », selon Le Larousse, est employé pour parler d’une personne qui effectue un « déplacement volontaire d’un pays dans un autre (…), pour des raisons économiques, politiques ou culturelles ». Pour l’historien de l’immigration, Gérard Noiriel, c’est un terme « neutre », utilisé depuis le XVIe siècle. « Il a été remplacé par le couple “émigrant-immigrant” au XIXe lorsque les Etats nations ont commencé à contrôler réellement leurs frontières. Puis le mot “clandestin” a surgi dans le contexte de xénophobie des années 1930, pour stigmatiser les immigrants. » Le mot « migrant », qui n’était plus guère utilisé, s’est imposé beaucoup plus récemment dans le vocabulaire des politiques comme des militants.
« Processus de déplacement »

Cette réapparition remonte au début des années 2000. C’est lors du Forum social européen, à Florence, en novembre 2002, que des chercheurs et des militants associatifs décident de lancer un réseau d’échanges – Migreurop – sur les migrations. Sangatte, dans le Pas-de-Calais, est déjà un lieu où des centaines d’étrangers stationnent, en attendant un passage vers l’Angleterre. Sur les côtes françaises de la Méditerranée, les premiers bateaux remplis de Kurdes en fuite s’échouent. Et tous sentent que les mots doivent changer : on ne peut plus parler de « sans-papiers » quand il s’agit de personnes aux statuts divers, qui ne veulent pas rester en France. On ne peut pas davantage employer une locution au passé, « immigré », pour évoquer une action qui n’est pas achevée. « Le terme “migrant” s’est imposé car il ne hiérarchise pas entre exilés et n’enferme pas les gens dans des cases. C’est juste une catégorisation générale pour parler des processus de déplacement », explique Claire Rodier, juriste au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).

Des réseaux militants, le qualificatif s’est diffusé dans les cercles universitaires puis dans les médias, sans connotation péjorative. Si beaucoup saluent l’effort de réflexion des journalistes sur le sens des mots, les chercheurs et les militants associatifs insistent sur la nécessité de précision au regard de la diversité des parcours migratoires. « Il faut faire attention à ne pas reprendre la distinction des dirigeants européens qui, dans la répartition des migrants, cherchent à distinguer les bons réfugiés des autres. Or, plus de la moitié de ceux qui fuient en Méditerranée relèvent de la Convention de Genève », plaide Jean-François Dubost, d’Amnesty International France. « Ce débat surfe sur une émotion. Cela noie le politique », critique Isabelle Saint-Saëns, membre de Migreurop. Certains estiment aussi que parler de « réfugié » est trop restrictif car cela exclut d’autres personnes qui ont besoin d’être accueillies et protégées. « La migration inclut aussi bien ceux qui partent pour fuir les persécutions et les guerres que ceux qui le font pour des raisons économiques ou climatiques. Nous avons toujours refusé de les distinguer », souligne Danièle Lochak, professeure émérite à l’université de Paris-Ouest-Nanterre.

La donne semble changer avec la succession des naufrages en Méditerranée. L’occurrence du mot « migrant » a en effet explosé depuis un an, tant dans les discours politiques que dans les médias, mais il est souvent accolé aux adjectifs « illégal » et « clandestin », ce qui lui donne une valeur péjorative qu’il n’a pas à l’origine. Pour la chercheuse Hélène Thiollet, une « symbiose » fâcheuse s’est opérée : « On a eu une agglomération progressive d’un champ sémantique qui devient négatif et menaçant », explique la politiste du Centre de recherches internationales de Sciences Po. François Gemenne, chercheur en sciences politiques à l’université de Liège, appelle à la vigilance : « Les termes utilisés – immigré, réfugié, clandestin – sont interchangeables comme si c’était la même chose. Or, les mots façonnent le regard du public », rappelle-t-il. Avant d’ajouter : « Le débat a au moins un atout : faire réfléchir les médias sur les termes qu’ils utilisent. »