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Idéologie ou inculture ?

à propos du Apocalypse Staline diffusé la semaine dernière

En regardant ce documentaire, plutôt bien fait, avec en tant cas les mêmes qualités et les mêmes défauts - pourquoi diable cet entêtement à coloriser les images ? - que les précédents (sur la Ie et IIe guerre mondiale) quand même l'ombre d'un agacement.

Je n'ignore pas que ce soit ici la loi du genre mais bigre fallait-il à ce point que l'on réduise l'histoire à celle de quelques monstres assoiffés de pouvoir, de vengeance et de sang ? Fallait-il, constamment imbriquer la biographie de Staline, l'histoire de la Révolution, la 2e guerre mondiale, dans un constant jeu de va-et-vient qui n'aura eu d'autre but de de suggérer, sans le dire vraiment, que Staline et Hitler, décidément, c'était du pareil au même et, pour faire bonne mesure, d'y rajouter Lénine.

Oserais-je que je dirais que cette lecture de la révolution russe est terriblement petite bourgeoise et, au passage, fâcheusement négligente : tous les événements y sont rapportés aux caractères des protagonistes - à l’exaltation de Lénine par exemple - à leurs soifs de pouvoir - c'est ainsi qu'est expliquée la dictature du prolétariat et l'annulation des élections ; à leurs antagonismes personnels - Trotsky vs Staline - à leurs appétits sanguinaires ou à leurs perversité - origine de la Tchéka par exemple ... j'en passe ! Il n'est, évoquant la lecture que Staline fit de Bismarck, l'obligation où se sent le commentateur de préciser que chancelier est équivalent à notre Premier Ministre !

Oui, j'avoue j'hésite devant cette indigence : ou bien, purement et simplement, on nous prend pour des cons et, décidément la TV suinte le mépris des classes bourgeoises pour le petit peuple qu'elle consent sur certains canaux, mais certains seulement, à cultiver - mais surtout pas trop ! ou bien il s'agit - mais l'un n'est pas incompatible avec l'autre, surtout pas - d'une de ces offensives idéologiques que l'absence de pensée et le pragmatisme libéral nous assènent avec tant d'obstination. Serait ce enfin, victoire définitive de l'idéologie technicienne dominante, que nous ayons perdu à ce point toute référence historique et culturelle pour ne même plus nous apercevoir de l'indigence de ce qui nous est présenté ici ?

Approximations, amalgames, narration sans jamais d'explication et sous-entendu constamment, sous le refus légitime du totalitarisme, l'identification de Lénine à Staline et, les deux ensemble, à Hitler. Quoi ? depuis quand deux phénomènes seraient-ils identiques d'avoir le même genre de conséquences ?

On n'était quand même pas obligé pour faire populaire de faire dans le vulgaire et méprisant !

Que chaque époque s'attache à relire son passé, nous le savons tous ; qu'il fallut bien, après des années d'aveuglements plus ou moins volontaires, dire combien derrière la patrie du socialisme il n'y avait pas seulement un état ouvrier dégénéré comme certains se complurent un moment à l'espérer, mais un véritable totalitarisme, ne prête pas à discussion ; que derrière l'image romantique du soir du grand soir que véhicule toute révolution, demeurent des réalités honteuses, brutales, injustes qu'on eût préféré cacher, certes. Et c'est le rôle de l'historien de le faire. Mais fallait-il pour autant ramener la grande espérance qui fut pourtant vivante, à ce peuple berné et abruti, manipulé par une horde sanguinaire de pervers paranoïaques ?

Je retiendrai seulement, ne voulant ici ni pointer les approximations qui font se méprendre sur les relations Lénine/Staline par exemple, ni pointer le parti-pris idéologique qui fait de communisme le pléonasme de terreur et de dictature ; ne désirant pas plus gloser sur la complexité irrémédiable de cet objet étrange qu'est une Révolution - et celle de 89 n'y fait évidemment pas exception ; ayant déjà ici et là exploré ce que le rapport au pouvoir pouvait comporter à la fois de fascinant et de terrifiant ; de sacré et d'infernal en même temps - pas assez pour n'y pas revenir demain, mais trop pour l'évacuer ce soir en quelques lignes ; je veux juste souligner avec une certaine mélancolie combien cet étrange XXe siècle qui fut le fossoyeur d'à peu près tous les espoirs, avait su débuter avec le progrès et montée lente d'un socialisme qu'un Jaurès enluminait de sa puissance et de son accent généreux pour s'achever, après deux guerres mondiales, quelques génocides, une arme totale, deux totalitarismes et quelques tyrannies adjacentes, dans la crainte d'un lendemain que même la planète désormais rendait périlleux.

Eluard
Ode à Staline (1950)
Staline dans le coeur des hommes
Sous sa forme mortelle avec des cheveux gris
Brûlant d'un feu sanguin dans la vigne des hommes
Staline récompense les meilleurs des hommes
Et rend à leurs travaux la vertu du plaisir
Car travailler pour vivre est agir sur la vie
Car la vie et les hommes ont élu Staline
Pour figurer sur terre leurs espoirs sans bornes.
Et Staline pour nous est présent pour demain
Et Staline dissipe aujourd'hui le malheur
La confiance est le fruit de son cerveau d'amour
La grappe raisonnable tant elle est parfaite
Ce siècle a décidément tout dévoré - jusqu'à l'idée. L'idéologie dominante désormais prétend qu'il n'y en eût point - et c'est sans doute la pire de toutes qui autorise les raccourcis les plus vertigineux, les simplifications les plus mensongères ; les manipulations les plus outrancières.

Sans doute certains se prirent-ils au piège de leurs propres espérances - qui crurent longtemps, trop longtemps ! Il n'est, si l'on voulait être féroce, qu'à relire cette ode d'Eluard ! D'autres, dès les années trente, revinrent de Moscou avec des goûts de cendre dans la bouche. Certains s'attardèrent jusqu'à Budapest ; d'autres, plus tard encore ! Faut-il leur jeter la pierre pour autant ?

L'espérance était si forte ; si nécessaire ? Et la lutte contre les nazis avait donné une telle légitimité !

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L'aveuglement est souvent la règle. H Arendt, à propos des intellectuels pris au piège de leurs propres théories en donna une explication assez éclairante ...

J'ai grandi dans ces années 60, appris à penser dans ces années 70, où la classe ouvrière existait encore, où le peuple ne se disait pas people et ne désignait pas ces élites de chiffons ménagers que le cirque médiatique nous offre ; mais au contraire celles et ceux qui autour de nous, avec nous, vivaient, mal souvent, mais non sans dignité ni honneur. J'ai cru - et crois toujours - que ce régime que l'on nommait alors capitalisme et que pudiquement, puisque la bien-pensance bourgeoise en est même venue à estimer que les mots étaient trop crus, trop violents, l'on désigne désormais du terme de société industrielle, et même post-industrielle quand on n'essaye pas post-moderne, mais tout ceci pour camoufler la même exploitation du grand nombre et l'incroyable inégalité travestie en compétitivité, je crois, oui, toujours que ce système est le pire et qu'il ne mérite pas de se survivre.

J'ai cru, je crois toujours, que le socialisme peut mais doit surtout en être une alternative. Las ! c'est le socialisme qui ne croit plus en nous ! Le plus odieux de la situation présente est bien que les socialistes ont abdiqué en rase campagne et se contentent de parler gauche, quand avec armes et bagages, ils chantent le même refrain que la droite sur la même route infernale. Macron n'y est pas le pire ; tout juste le plus bête de ne même pas savoir le camoufler.

Écrire ceci n'est pas jeter un voile pudique sur Staline : il fait partie du paquet que lègue l'histoire et qu'il faut bien tenter de comprendre ! mais qu'au moins on ne nous prenne pas pour des sots.

Les auteurs de ce documentaire auraient peut-être mieux fait de lire de Gaulle : le récit qu'il fait de sa rencontre avec Staline, tout de parti pris qu'il soit, ne déroge ni à l'intelligence, ni à la lucidité et nous honore au moins d'une langue qui respecte son lecteur.

Il y a des leçons que ces soutiers télévisuels feraient bien de prendre ; des baffes qui se perdent.