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Charbon

 

Vrai que l'Europe fit sa fortune et sa révolution industrielle à partir du charbon. Vrai, comme le suggère cet article du Monde de ce soir que cette histoire fut marquée de longues grèves : voici énergie puisée et consommée sur place, autour de quoi les industries s'installèrent et prospérèrent. Vrai surtout qu'était ici énergie sur quoi l'homme avait prise encore et qui marqua de grandes heures de l'histoire du mouvement ouvrier, de gloire et de défaites, de renoncements et de catastrophes.

Avec le pétrole qui prit le relais

ressource moins gourmande en main-d’œuvre, transportée à travers la planète et éloignée des lieux de consommation, l’or noir est l’énergie de la mondialisation, qui a permis d’affaiblir la capacité des hommes à perturber l’activité économique.

Vraie enfin cette mythologie faite d'honneur, de courage et d’héroïsme où la classe ouvrière puisa sa dignité et fonda ses lettres de noblesse. Cette si belle façon de rendre aimable mais douloureusement nostalgique une réalité qui, pourtant, fut pétrie de brutalités, de mépris et de souffrance que revêtirent parfois littérature et cinéma.

Que ce temps est loin désormais ! il aura fallu presque un siècle et demi pour que nous tournions définitivement la page du charbon ; il faudra moins d'un siècle pour que nous devions demain tourner celle du pétrole. Avec lui, nous aurons tourné en même temps celle de la classe ouvrière.

On dit vrai que les révolutions dévorent leurs propres enfants : ce n'est pas exact seulement des révolutions politiques ; mais économiques aussi ! Après la paysannerie, elle aura englouti le peuple ouvrier avant demain d'anémier les employés - cette armée de cols gris, stressés, soumis, agités et englués dans une précarité sans espérance.

Ce temps-ci fut aussi celui de mon enfance, à l'ombre des houillères lorraines. Je ne puis effacer de ma mémoire ni ces corons où s'entassaient les familles de mes camarades de classe, en ces maisons qui se voulaient proprettes engoncées qu'elle demeuraient autour de ces maigres parcelles de jardin qui fut la seule concession colorée que ces espaces voués au noir accorda à la vie ; ni ces terrils qui me effrayèrent tellement l'enfant que je fus, d'y déverser des torrents de braises, les mineurs enflammaient le ciel nocturne qui espérait enfin se faire oublier ; ni ces façades dévorées par la suie, la crasse et l'ombre que même l'orgueil bourgeois des notables ne parvinrent à effacer ; ni ces veules menaces d'instituteurs maladroits tançant leurs mauvais élèves d'un continue comme ça et tu iras à la mine ... ni pourtant ces jours heureux qui furent ceux de mes jeunes années.

De manière très ambiguë finalement, mes parents nous inculquèrent à la fois le respect du à ces ouvriers héroïques au milieu desquels nous vivions, mais avec qui nous partagions si peu.

Le respect décidément y fut aussi affaire de distance. J'ai toujours su que la mine ne me concernait pas ni ne me menaçait mais en ces temps lointains où la fosse dévorait mes camarades dès l'âge de quatorze ans elle dut bien me sembler l'injuste marâtre qui décimait dans ma classe le rang de mes copains de jeux et de rêveries.

De temps en temps des sirènes, en plein jour, déchirant d'angoisse l'ennui ordinaire ... je les entends encore.

Ces images qui se succèdent, ces cris que j'entends encore, ces rougeoiements qui m'obsèdent, je ne suis pas certain qu’il y ait encore place pour eux en ce siècle qui enterre si vite ce qui l'a nourri ; ils en ont dans ces limbes qui même pour moi s'effacent lentement .

Est-ce ceci vieillir que de regarder les ultimes traces s'effacer, les voix autour de soi s'éteindre pour n'être bientôt qu'anachronique surgeon d'un continent oublié ?

Mais alors, décidément, que ce siècle est vieux déjà qui pourtant débute à peine.