Bloc-Notes
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R Girard

Je crois bien l'avoir découvert avec Des choses cachées depuis la fondation du monde en 1978. J'avais été frappé alors par la simplicité mais la puissance aussi de son approche de la question de la violence. Il ne m'avait plus quitté depuis.

On lui avait à peu près tout reproché, notamment d'inclure son engagement chrétien dans sa recherche et en conséquence d'être plutôt dans la glose biblique, dans la théologie que dans l'anthropologie - ce qui était plutôt absurde ; de faire de son approche du désir mimétique un prêt à tout expliquer - et il est vrai que de tel ou tel passage d'une tragédie grecque au 11 Septembre, Girard ne cessa d'appliquer la même grille de lecture, non sans pertinence d'ailleurs.

Ce qui au fond nous aura mis en face de nos propres grilles théoriques : qu'est-ce qui est vrai ? Que l'idée d'une science unifiée aux résultats certains soit un leurre, nous le savons depuis longtemps. Que l'idée d'un déterminisme universel soit empreinte de métaphysique, Bachelard nous l'avait appris ; qu'une théorie scientifique ne puisse produire que des connaissances provisoires et locales, nous nous y sommes résignés et la leçon de Popper a été retenue selon qui une théorie exige non seulement d'être vérifiable, explicative mais aussi falsifiable pour pouvoir être acceptée. Les moues dubitatives souvent, méprisantes parfois à l'endroit de Girard s'en suivirent.

Mais quoi ? une théorie serait-elle précisément douteuse de correctement fonctionner ?

Qu'il gêne, agace parfois en son entêtement, oui, assurément. J'avoue néanmoins ne pas avoir pu, et ne le pouvoir encore, me dispenser de sa lecture pour ces deux raisons :

Je veux finir par ce que sans doute peu de gens peuvent ouïr de leur vivant ; que je n’ai encore prononcé devant personne : Monsieur, ce que vous dites dans vos livres est vrai ; ce que vous dites fait vivre.
Le sacrifice épuisé, nous ne nous battrons plus que contre un ennemi : l’état où nous désirions réduire l’ennemi lorsque, jadis, nous nous battions. Alors, seul adversaire en ce nouveau combat, la mort, vaincue, laisse place à la résurrection ; à l’immortalité.
Madame la Secrétaire perpétuelle, permettez-moi maintenant, comme entorse au règlement, de quitter, sur le mot terminal, le vouvoiement cérémoniel. En notre compagnie, fière de te compter parmi nous, entre, maintenant, mon frère.
M Serres Discours de réception

Je n'oublie pas non plus les dernières lignes du discours que M Serres prononça lors de la réception de Girard à l'Académie en 2005 : quelque chose alors, qui dépassait de loin le cousinage théorique ou la simple confraternité professionnelle. Ces deux là enseignèrent de conserve à Stanford - c'est d'ailleurs Girard qui y fit venir Serres - mais c'est bien une commune humanité qui les y rassembla.

Je me suis longtemps demandé ce que ces deux-là trouvèrent d'intérêt ou d'agrément à se faire élire à l'Académie : peut-être, simplement, une réponse, discrète, mais un rien provocatrice, au déni qu'ils essuyèrent chacun à son tour, de la part de l'université française. Le cénacle des experts reconnaît mal les siens - c'est une vieille histoire - et l'université en son mode de fonctionnement, en ses procédures de recrutement comme dans les honneurs qu'elle distribue, reste plus souvent un champ de bataille aux rancœurs recuites et aux vengeances ourdies que cette aimable librairie où un Montaigne aima à se retirer !

Oui ce que Girard aura écrit fait vivre, aide à trouver son chemin. S'y niche quelque chose de la sagesse antique ! Qui vaut largement les palmes qu'ici ou là on refusa de lui distribuer.

Pour cette raison, ce soir, une vraie tristesse qui va bien au delà de la nostalgie ressentie à l'occasion de la disparition de tel ou tel maître de ma génération. Lui, avec Serres notamment et quelques autres, m'accompagna depuis si longtemps ; presque toujours.

Un compagnon de route.