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Idéologie quand tu nous tenailles

Un article plutôt bien troussé dans le Monde de ce soir, avec un titre un rien ramenard Contre le chômage, on a tout essayé, sauf ce qui marche. Une introduction, assassine, qui rappelle l'impuissance ancienne de la gauche (1993) à lutter contre le chômage avec ce rappel - classique - du contre-exemple allemand ou britannique où se serait tenté ce qui réussit et que précisément nous n'aurions ni le courage ni la lucidité de faire. L'auteur A Leparmentier n'est pas tout à fait n'importe qui et la lecture de ses articles dans le Monde peut donner une idée assez précise de la démarche du quidam.

La lecture attentive suscite pourtant dépit assez vite, puis agacement ; colère à la fin.

Car enfin qu'ont-ils fait ces bons élèves de la classe que nous aurions du imiter et que seule notre paresse intellectuelle crasse et notre lâcheté politique nous empêchèrent de réaliser ?

Et ce ministricule de la pensée droite de nous asséner :

abandonner, sous prétexte d'efficacité et de réalisme, toute idée de droit du travail en laissant libre cours aux négociations c'est-à-dire au rapport de force. La loi ne prime plus sur le contrat ! Et voici un siècle de progrès sociaux balayé en un tournemain
réduction des salaires avec au passage cette remarque fine sur un SMIC élevé néfaste pour l'emploi. A tout le moins baisse des charges pour les entreprises sur les bas salaires
en finir avec le CDI et lui préférer pour des raisons de souplesse, de flexibilité sinon le CDD en tout cas un contrat plus aisément résiliable et à moindre frais.

J'aime la cuistrerie des nantis, décidément et leur indécrottable suffisance. Si je comprends bien, le chômage persiste du fait des travailleurs ! Pauvres entreprises qui doivent leur payer des salaires - c'est vrai on pourrait réinventer l'esclavage ! qui doivent payer des charges - c'est vrai on pourrait supprimer retraites et assurance maladie ! qui doivent respecter les lois - c'est vrai, décidément l'Etat se mêle de tout, un bon vieux rapport de force n'est-il pas préférable ?

Il fut un temps - si lointain - où un Jaurès pouvait s'agacer que même l'Allemagne de Bismarck fût en avance sur la République et espérer que même involontairement la bourgeoisie eût

rompu la vieille chanson qui berçait la misère humaine... et la misère humaine s'est réveillée avec des cris, elle s'est dressée devant vous et elle réclame aujourd'hui sa place, sa large place au soleil du monde naturel, le seul que vous n'ayez point pâli.(1893)

C'est tout cela que la bonne conscience réaliste, pragmatique est en train de bafouer avec un cynisme incroyable. Oh ce serait bien petit de douter que ce pisse-copies des certitudes mondaines se satisfasse d'un SMIC si élevé ou qu'il fût disposé à renoncer aux avantages et droits que sa digne profession lui réserve. J'aime décidément l'habileté avec laquelle le pharisaïsme libéral parvient à convaincre les victimes elles-mêmes d'être responsables des maux qui la tourmentent.

« Il se servait de la méditation comme on se sert d'une tenaille »
Victor Hugo. « Quatrevingt-Treize. »

Cette morgue idéologique, pourquoi, subitement me fait-elle penser à Hugo ? Oui ce thuriféraire des basses œuvres dogmatiques a l'entêtement arrogant et si sa phrase demeure policée, son dogmatisme a la vigueur des grandes terreurs antiques.

Que dire de cette phrase ultime qui se veut sarcasme qui n'est qu'insultante ?

Le chemin est long, qui mettra fin à la préférence française pour le chômage.

Serait ce à dire que nous serions à ce point masochistes de patauger ainsi dans la crise ? que cette dernière ne tînt qu'à notre sottise ou à notre sordide et avaricieuse tendance à récuser tout effort ou tout sacrifice ? Cette époque est curieuse, décidément que l'on aimerait caractériser du simple mot d'entropie ! mais ce serait tellement peu dire ...

En à peine trente ans nous avons dévalé à rebours la pente qui nous fit croire en un avenir meilleur, qui nous fit réinventer les Lumières et la République.

Les arguments sont toujours les mêmes - de ce côté-là on ne pense pas, on se soumet à la dictature des faits !

Alors plein de contrition, de culpabilité et de honte, mortifions-nous camarades ad majorem gloriam sestertii !