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Contre le chômage, on a tout essayé, sauf ce qui marche
LE MONDE du 04.11.2015
Arnaud Leparmentier

 

On n’ose rappeler la phrase déplorable de François Mitterrand, en 1993  : « Dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé. » Las, François Hollande ne nous fredonnerait-il pas le même air ? Bien sûr, le président de la République assure tout faire pour réduire le chômage, mais à une condition  : « Garder un socle de droits  : contrat de travail, smic, durée légale du travail », a-t-il prévenu, alors que sa ministre du travail, Myriam El Khomri, devait présenter, mercredi 4 novembre, la réforme du code du travail. Bref, comme Mitterrand, Hollande essaie tout. Tout, sauf ce qui marche. Car il ne faut pas offenser les totems français à dix-huit mois de l’élection présidentielle.

Nos voisins européens ont fait l’inverse. Ils se sont attaqués aux sujets qui faisaient mal. Et cela paie. La fameuse courbe s’est inversée en Allemagne dès 2008, au Royaume-Uni depuis 2012. Même les pays du Sud se redressent  : en Espagne, Mariano Rajoy affiche plus de 500 000 emplois créés en un an, tandis qu’en Italie Matteo Renzi en annonce 320  000 depuis le début de l’année. La France, elle, a vu le nombre de chômeurs progresser de 625  000 depuis l’élection de François Hollande, et la baisse enregistrée en septembre (–23  800 demandeurs d’emploi) ne change pas la donne.

En fait, la bataille de l’emploi se joue sur trois fronts  : syndicats, salaires et licenciements.

C’est en Allemagne que s’est jouée la bataille des syndicats. Au pays de la cogestion, ils bloquaient toute libéralisation sérieuse du marché du travail. Au début des années 2000, l’ex-chancelier so­cia­l-démocrate Gerhard Schröder a choisi de passer en force. Contre les syndicats. Bref, Schröder a détruit l’ancien modèle allemand… que la France tente aujourd’hui d’imiter en confiant les pouvoirs aux partenaires sociaux. Bienvenue dans le XXe siècle.

Pression sur les salaires

Ce basculement fait peser sur les épaules de la seule CFDT le poids des réformes sociales. Cela conduit à des accords souvent très insuffisants – les lois du début de quinquennat sur la formation professionnelle et les licenciements –, mais réserve aussi de bonnes surprises  : l’accord sur les retraites complémentaires, qui fait passer de facto la retraite à 63  ans. L’affaire pose un premier problème, politique  : pourquoi le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, doit-il prendre les décisions que Manuel Valls et François Hollande n’ont pas le courage d’assumer ?

A l’avenir, pour être plus efficace et éviter les guerres de religion sociales, le gouvernement veut que les décisions se prennent au niveau des branches professionnelles, voire des entreprises. Soyons lucides  : sans impulsion politique, les partenaires sociaux ne vont pas bien loin. Le statu quo prévaut comme on le voit sur les 35 heures et autres sujets. Les 30 000 accords d’entreprise signés chaque année, notamment par la CGT, sont un leurre. « Ce sont souvent des accords formels qui se contentent de reprendre des nouvelles lois ou des accords de branche. Ils ont un contenu insuffisamment innovant », confie Raymond Soubie, éternel conseiller social de la droite.

Deuxième bataille, le coût du travail. L’exemple espagnol est radical  : les salaires ont été réduits, et l’industrie repart. Les Allemands, eux, ont créé un système dual très inégalitaire  : ils ont imposé des salaires très faibles dans les services pour aider l’industrie, qui paie cher sa main-d’œuvre qualifiée, à être compétitive. La France suit cet exemple en cherchant à réduire les coûts des services avec la loi Macron sur les professions réglementées.

Cette pression sur les salaires ravive dans toute l’Europe le débat sur le revenu minimum. Deux modèles existent  : un smic élevé – c’est le cas de la France –, néfaste pour l’emploi, et un salaire minimum faible compensé par des aides d’Etat (modèle britannique et allemand). Mais dans ces deux pays, les lignes bougent. Sous la pression du Parti social-démocrate et des inégalités devenues criantes, Angela Merkel a accepté l’introduction d’un salaire minimum (8,5 euros de l’heure), mais qui connaît des exemptions et entre en vigueur progressivement.

Au Royaume-Uni, le ministre des finances George Osborne veut réduire de 4,4 milliards de livres (sur un total de 30) les aides aux travailleurs pauvres et a décidé, en échange, d’augmenter de 7,5 % le salaire minimum, à 7,2 livres de l’heure (10 euros). « Osborne joue les économies budgétaires contre l’emploi », déplore Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie. En France, le smic est questionné par les économistes. Patrick Artus (Natixis) propose de supprimer les 20  % de charges sur le smic pour rendre l’emploi non qualifié plus compétitif, tandis que Gilbert Cette, auteur d’un rapport audacieux du think tank social-démocrate Terra Nova, imagine que certaines branches puissent déroger au salaire minimum. Mais l’interdit politique demeure.

Le CDI reste intouchable

Troisième combat, le droit du licenciement. Renzi a fait supprimer l’article 18 du code du travail italien qui prévoyait la réintégration du salarié licencié et le paiement de tout son salaire au cas où les tribunaux jugeraient son licenciement abusif. Il a créé un nouveau CDI avec des droits croissants mais une période d’essai de trois ans. Et a subventionné le tout.

Les Espagnols ont rapproché les CDI et les CDD, en allégeant le coût du licenciement pour les premiers et en limitant la reconduction indéfinie des seconds. En France, le CDI reste intouchable. Une première bataille passe par la réforme des prud’hommes, véritable loterie sans juge professionnel où 60  % des jugements font l’objet d’un appel, lequel appel ne confirme le jugement de première instance que dans 28  % des cas  : l’incertitude juridique totale. Et au cœur de l’été, le Conseil constitutionnel a censuré la réforme de la loi Macron, qui plafonnait les indemnités versées.

Le chemin est long, qui mettra fin à la préférence française pour le chômage.