Textes

Sénèque
Différence entre Sagesse et Philosophie

 


[...] Je commencerai donc, comme tu le demandes, par te dire la différence existant entre Philosophie et Sagesse. La Sagesse est le bien de l'esprit humain à sa perfection. La Philosophie est le goût et la recherche de la Sagesse. La première montre le but où parvient la seconde. L'origine du terme de philosophie est évidente. Le nom lui-même l'indique. Certains ont défini la sagesse « la connaissance des choses divines et humaines ». D'autres : « la Sagesse consiste à connaître les choses divines et humaines, et leurs causes ». Cette addition me semble superflue, car les causes des choses divines et humaines font partie des choses divines. De même, la philosophie a été définie de façons extrêmement diverses par les différents philosophes. Les uns ont dit que c'était le goût de la vertu, d'autres, le goût du progrès intérieur. Certains ont dit que c'était la recherche de la raison droite. Sur un point l'on est à peu près d'accord : qu'il y a une certaine différence entre la philosophie et la sagesse. Car il est impossible qu'il y ait identité entre ce que l'on recherche et ce qui recherche. De la même façon qu'il y a une grande différence entre l'avarice et l'argent, la première recherchant le second, de même, il y a une différence entre la sagesse et la philosophie. Car celle-ci est l'effet et la récompense de l'autre. L'une chemine, l'autre est le but. La Sagesse est ce que les Grecs appellent [sophia]. Ce mot était employé par les Romains, comme maintenant ils usent de celui de philosophie. Tu en trouveras la preuve dans les vieilles tragédies romaines, et l'épitaphe de Dossénus :

« Arrête-toi, passant, et lis la philosophie () de Dossénus. »

Certains Stoïciens, bien que la philosophie fût le goût de la vertu, et que celle-ci fût l'objet de la recherche, et celle-là son agent, ne crurent pas, pourtant, qu'elles fussent séparables. Car il n'y a pas de philosophie sans vertu ni de vertu sans philosophie. La philosophie est le goût de la vertu, mais son instrument est la vertu elle-même. Car la vertu ne peut exister sans le goût qu'on lui porte, et le goût de la vertu suppose celle-ci. Il n'en est pas de même que dans le tir à cible, ou le tireur est en un endroit, et la cible en un autre, ni que pour des chemins, qui conduisent à une ville, mais qui sont eux-mêmes en dehors de celle-ci. C'est la vertu elle-même qui conduit jusqu'à elle. Il y a une liaison indissoluble entre la philosophie et la vertu.