palimpseste Textes

SENEQUE, De la Constance du sage

L'injustice enlève toujours quelque chose à ceux qu'elle vise ; ils ne peuvent subir une injustice sans quelque dommage pour leur dignité, leur corps ou leurs biens extérieurs ; or le sage ne peut rien perdre ; il a tout en lui-même ; il ne se confie pas à la fortune (1) ; les biens qu'il possède sont solides ; il se contente de la vertu qui ne dépend pas des événements fortuits ; aussi ne peut-elle ni augmenter, ni diminuer (car arrivée à son terme, elle n'a pas de place pour croître, et la fortune n'enlève rien que ce qu'elle a donné ; or elle ne donne pas la vertu et par conséquent ne la retire pas). La vertu est libre, inviolable, immobile, inébranlable ; elle est tellement endurcie contre les hasards qu'ils ne peuvent même la faire plier, bien loin de pouvoir la vaincre. En face d'un appareil de terreur le sage ne baisse pas les yeux, et il ne change pas de visage, que les événements se montrent pénibles ou favorables. Aussi ne perdra-t-il rien dont la perte lui serait sensible ; il ne possède qu'une seule chose, la vertu, dont jamais il ne peut être dépouillé ; les autres choses, il en use à titre précaire ; or pourquoi s'émouvoir de la perte de ce qui n'est pas à soi ? Si l'injustice ne peut porter nul dommage à ce qui est la propriété du sage, puisque, grâce à la venu, cette propriété reste sauve, on ne peut commettre d'injustice contre le sage.