Palimpsestes

François Jacob (1920 )
Le Darwinisme aujourd'hui, Paris, Ed. du Seuil, pp 161-163.

 


Le monde de l'évolution que nous connaissons, le monde vivant que nous voyons autour de nous, est tout sauf le seul monde possible. L'évolution est une nécessité dans la mesure où les organismes vivent, interagissent avec le milieu, se reproduisent, entrent en compétition les uns avec les autres, donc changent. En revanche, ce qui n'est pas une nécessité, c'est la direction que se trouve prendre le changement, les voies où s'engage l'évolution. Les modifications ne peuvent survenir pour former des organismes nouveaux qu'en fonction de la structure génétique qu'avaient les organismes existant à ce moment-là. Autrement dit, l'évolution résulte d'une interaction entre une série de conjonctures disons physiques, écologiques, climatiques, ce qu'on pourrait appeler une grande conjoncture historique, avec l'autre série que forment les conjonctures génétiques des organismes.
C'est l'interaction de ces deux types de conjonctures qui a donné aux êtres vivants la direction qu'elle a aujourd'hui. Mais il est vraisemblable que nous aurions pu ressembler à quelque chose de complètement différent, et que nous aurions pu ne pas ressembler du tout à ce que nous sommes et surtout que nous pourrions ne pas être là, que le monde vivant pourrait être complètement différent de ce qu'il est. (...) Nous pourrions parfaitement ressembler a quelque chose d'autre qui défie totalement notre imagination. C'est évidemment très difficile de réaliser que le monde vivant tel qu'il existe pourrait être complètement différent, pourrait même ne pas exister du tout. C'est pourtant ce qu'il faut bien admettre.