Palimpsestes

François Jacob (1920 )
Lalogique du vivant

La sexualité semble être survenue tôt dans l’évolution. Elle représente d’abord une sorte d’auxiliaire de la reproduction, un superflu: rien n’oblige une bactérie à l’exercice de la sexualité pour se multiplier. C’est la nécessité de recourir au sexe pour se reproduire qui transforme radicalement le système génétique et les possibilités de variations. Dès lors que la sexualité est obligatoire, chaque programme génétique est formé, non plus par copie exacte d’un seul programme, mais par réassortiment de deux différents. Un programme génétique ,’est plus alors la propriété exclusive d’une lignée. Il appartient à la collectivité, à l’ensemble des individus qui communiquent entre eux par le moyen du sexe. Ainsi se constitue une sorte de fonds génétique commun où, à chaque génération, est puisé de quoi faire de nouveaux programmes. C’est alors ce fonds commun, cette population unie par la sexualité, qui constitue l’unité d’évolution. (…)
L’autre condition nécessaire à la possibilité même d’une évolution, c’est la mort. Non pas la mort venue du dehors, comme une conséquence de quelque accident. Mais la mort imposée du dedans, comme une nécessité prescrite dès l’œuf par le programme génétique même . (…) Les limites de la vie ne peuvent être laissé&es au hasard. Elles sont prescrites par le programme qui, dès la fécondation de l’ovule, fixe le destin génétique de l’individu. On ignore encore le mécanisme du vieillissement. La théorie la plus en faveur aujourd’hui fait de la sénescence le résultat d’erreurs accumulées, soit dans les programmes génétiques contenus dans les cellules somatiques, soit dans l’expression de ces programmes, c’est-à-dire dans les protéines que produisent les cellules. Selon ce schéma, la cellule pourrait s’accommoder d’un certain nombre d’erreurs. Passé cette limite, elle serait vouée à la mort. Avec le temps, l’accumulation d’erreurs dans un nombre croissant de cellules entraînerait alors l’inéluctable. C’est donc l’exécution même du programme qui ajusterait la durée de la vie. Quoi qu’il en soit, la mort fait partie intégrante du système sélectionné dans le monde animal et son évolution.
On peut espérer bien des choses de ce que l’on appelle aujourd’hui le génie génétique: la solution à de nombreux fléaux, au cancer, aux maladies de cœur, aux maladies mentales; le remplacement d’organes variés, par greffes ou appareils de synthèse; le remède à certaines défaillances de la vieillesse; la correction de certains défauts génétiques; voire même l’interruption provisoire d’une vie active qui reprendrait plus tard à volonté. Mais il y a fort peu de chances qu’on parvienne jamais à prolonger la vie au delà d’une certaine limite. Les contraintes de l’évolution s’accordent mal au vieux rêve d’immortalité.