1 2 3 4 5

 

De Arendt à Scholem - 2

[136 Arendt à Scholem
New York, 18 août 1963]
Hannah Arendt Bluecher
le 18 août 1963

 

Cher Gerhard -

Merci pour votre longue lettre, à laquelle je répondrai bientôt en détail. Aujourd'hui j'écris à la hâte. Je n'ai bien entendu jamais songé à rendre public le nom de Golda Meir. Au moment où je vous ai écrit, je ne pensais pas à votre proposition de publication. Votre modification est impeccable.

Quant à une publication dans la Zürcher Zeitung, je ne partage pas tout à fait votre opinion. Je suppose que le Dr Streiff, que je connais pour l'avoir rencontré à Jérusalem , vous dira que cette querelle entre nous ne présente pas d'intérêt pour les lecteurs du journal. Je me trompe peut-être, mais dans le cas où vous voudrez et pourrez aussi publier dans ce journal, je souhaiterais tout de même vous demander de me rendre mon texte pour que je le soumette à une légère révision stylistique. Je me suis parfois exprimée de manière très relâchée, n'ayant jamais pris l'idée de la publication tout à fait au sérieux, alors que vous, apparemment, vous avez écrit d'emblée en vue d'une publication. Je ne changerais naturellement rien sur le fond, il s'agit tout au plus d'ajouter une phrase ici et là, mais pas dans la partie proprement polémique de la lettre .

Si vous voyez Streiff, saluez-le de ma part, je vous prie, cordialement. Il a rédigé une recension tellement éblouissante sur un chapitre de mon livre consacré à la révolution que je lui suis franchement reconnaissante. Moi, je n'en aurais pas été capable .

Par ailleurs, je suis heureuse d'avoir compris de travers votre phrase sur mon appartenance au peuple juif. Vous mentionniez l'« antisémite » Tucholsky, et j'ai bien entendu établi un lien entre les deux. En ce qui concerne Tucholsky, bien entendu, je ne partage pas non plus votre opinion. Un antisémite est un antisémite, et non un Juif auquel il arrive aussi, parfois, de s'exprimer en termes critiques sur des choses juives, et qu'il ait raison ou tort ne fait aucune différence. Il est tout naturel qu'un peuple frappé par les persécutions ait tendance à classer parmi les ennemis et les persécuteurs quiconque ose émettre la moindre remarque. Ce qui ne l'est pas, c'est que vous suiviez le mouvement. Vous ne le faites d'ailleurs pas de manière cohérente, car parmi les reproches que vous m'adressez, vous n'avez pas évoqué, si j'en crois ce que vous écrivez à présent, celui de « haine de soi », etc.

Que vous ayez « logé » dans le livre sur la Cabbale beaucoup de choses remarquables, je le sais. C'est précisément la raison pour laquelle je n'ai pas voulu m'exprimer avant de l'avoir lu entièrement et minutieusement. Et je m'en réjouis ! Soyez aussi remercié pour le « petit peu de théologie juive ». Et vivez bien ! En vous saluant cordialement

Votre Hannah [manuscrit]

P.-S. Cette histoire d'assimilationnisme post-sioniste était une nouveauté pour moi. Ici, on ne connaît pas ces choses. Je lis le NY Times Magazine, où l'on affirme que je m'inscris dans la lignée des behavioristes et des darwinistes américains. Ce qui a l'attrait de la nouveauté. [NLI, fonds Schelem; original; dactylographié.]