SERMON LXXXI
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 Abbaye Saint Benoît de Port-Valais
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SERMON LXXXI. LES SCANDALES PRÉSENTS (1).

 

ANALYSE. — A l'époque du sac de Rome parles Goths, vers l'an 410, des clameurs s'élevaient de toutes parts contre le Christianisme; on lui attribuait les désastres de l'empire, et c'était pour plusieurs une occasion de scandale. Saint Augustin prémunit son troupeau contre ce danger. Il montre d'abord que s'il y a des afflictions il n'y a point de scandale proprement dit pour le disciple fidèle du Sauveur, attendu que la loi de Dieu lui fournit toujours d'efficaces moyens de résister à la tentation. Il met surtout en scène Job et un chrétien de qui on voudrait obtenir un faux témoignage. Abordant ensuite la question actuelle, comment, dit-il, se scandaliser de ce qui arrive aujourd'hui? Jésus-Christ n'a-t-il pas prédit ces calamités, et les temps antérieurs au Christianisme ne nous en présentent-ils pas d'aussi formidables, ne fût-ce que la ruine de Troie, mère de Rome?

 

 

1. Nous venons d'entendre de divines leçons elles nous avertissent de nous fortifier par la vertu, de nous armer d'un courage chrétien contre les scandales qui doivent arriver; et de recourir pour cela à la miséricorde de Dieu. « Que serait l'homme en effet; si vous ne vous souveniez de lui (2)? »

« Malheur au monde à cause des scandales! » dit le Seigneur, dit la Vérité même. Il nous effraie, il nous avertit, il veut que nous soyons sur nos gardes, attendu qu'à ses yeux nous ne sommes point dans un état désespéré. Pour nous préserver de ce malheur, malheur terrible, redoutable, épouvantable, il nous offre des consolations, des encouragements et des leçons dans ces paroles de l'Ecriture : « Paix abondante à ceux qui aiment votre loi; pour eux il n'y a point de scandale (3). » Si donc il nous fait voir l'ennemi à éviter, il nous montre aussi un rempart inexpugnable. A ces mots: « Malheur au monde à cause des scandales ! » tu te demandais où fuir en dehors du monde pour y échapper. Mais où fuir hors du monde, pour se préserver des scandales, sinon vers Celui qui a fait le monde? Et comment fuir vers Celui qui a fait le monde, sinon en écoutant sa loi publiée partout? Que dis-je? en l'écoutant? Il nous faut l'aimer. Car en nous rassurant contre les scandales, la Sainte Ecriture ne dit pas: Paix abondante à ceux qui écoutent sa loi ; puisqu'il ne suffit pas de l'entendre pour être justifié devant

 

1. Matt. XVIII, 7-9. — 2. Ps. VIII, 5. — Ibid. CXVIII, 166.

 

Dieu. Ce sont les observateurs de la loi qui seront justifiés (1); et la foi agit par la charité (2). C'est pourquoi il est écrit : « Paix abondante à ceux qui aiment votre loi; pour eux il n'y a point de scandale. »

A cette pensée se rapporte ce que nous avons entendu et répondu en choeur : « Les doux hériteront de la terre et ils se réjouiront dans l'abondance de la paix (3); » car il y a « paix abondante en ceux qui aiment votre loi. » Les doux en effet sont ceux qui s'attachent à la loi de Dieu. « Heureux l'homme que vous instruisez, Seigneur; vous lui enseignez votre loi pour le rendre doux en présence des jours mauvais, quand la fosse se creusera pour le  pécheur (4). » Que les expressions du texte sacré sont différentes ! Toutes cependant formulent la même pensée, et quoiqu,on puise à cette source intarissable, il faut y avoir confiance, s'attacher à la vérité avec amour, avec une paix profonde, avec un charité embrasée et être prêt à résister au scandale.

2. Il s'agit de considérer, d'examiner ou d'apprendre comment nous devons être doux, et ce que je viens de rappeler du texte sacré, nous indique la solution de cette question. Que votre charité prête un peu attention. Il nous importe singulièrement d'être doux; la douceur est nécessaire dans l'adversité. Les adversités

 

1. Rom. II. 13. — 2. Galat. V, 6. — 3. Ps. XXXVI, 11.  — 4. Ps. XCIII.12, 13.

 

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temporelles, en effet, ne sont point des scandales. Qu'est-ce que le scandale ? Attention !

Un homme, par exemple, éprouve quelque affliction, il est opprimé. Être opprimé n'est pas être scandalisé; ainsi les martyrs ont été opprimés, mais non pas oppressés. Qu'on se préserve donc du scandale ; il est moins nécessaire d'échapper à l'affliction ; l'affliction opprime et le scandale oppresse. Quelle différence y a-t-il donc entre l'affliction et le scandale ? Sous le poids de l'affliction, on se disposait à pratiquer la patience, à conserver la constance, et à être ferme dans la foi, à repousser le péché. Si l'on a été ou si l'on est fidèle à cette résolution, l'affliction ne nuira point; elle fera ce que fait le pressoir, il ne cherche point à déchirer l'olive, mais à en exprimer l'huile. Et si l'on va alors jusqu'à louer Dieu, combien l'adversité est avantageuse, puisqu'elle sert à former ces divines louanges!

Les Apôtres étaient arrêtés et enchaînés, et sous le poids de cette épreuve ils chantaient ;des hymnes au Seigneur. Voilà bien le pressoir et ce qui s'en exprime. Job aussi fut soumis à une cruelle épreuve, jeté sur un fumier, dépouillé de sa fortune, sans ressources, sans aucun bien, sans enfants, et aiche seulement des vers qui le dévoraient. Tel était en lui l'homme extérieur, mais intérieurement il était rempli de Dieu ; aussi louait-il le Seigneur, et cette affliction cruelle n'était pas pour lui un scandale. Où commença le scandale ? Quand son épouse s'approcha de lui en disant : « Blasphème contre Dieu et meurs. » Le démon lui avait tout enlevé ; mais, dans son épreuve, Eve lui fut laissée, laissée pour le tenter et non pour : le consoler. Voilà le scandale. Elle lui représente son malheur et sa propre infortune attachée à celle de son époux, essayant ainsi de le porter au blasphème. Mais Job était doux, car Dieu l'avait instruit de sa loi, il l'avait rendu doux pour les jours mauvais; Job aimait la loi divine, une paix abondante remplissait son coeur ; aussi n'y eut-il point pour lui de scandale. Il y en eut, du scandale, mais pas pour lui. Sa femme fut un scandale, mais pas pour son époux. Considère donc combien il était doux, combien il était instruit de la loi de Dieu. Je dis de la loi éternelle; car à l'époque du patriarche, la loi n'avait pas été encore donnée aux Juifs sur des tables de pierre et il n'y avait dans les coeurs pieux que l'éternelle loi dont la loi publiée devant Israël était un extrait. La loi de Dieu avait ainsi adouci Job pour les jours mauvais; il aimait cette loi et jouissait d'une paix abondante. Aussi vois ce qu'il répond dans sa douceur, et apprends ici, selon mon dessein, quels sont les hommes doux : « Tu as parlé, dit-il à sa femme, comme une insensée. Si nous avons reçu des biens de la main du Seigneur, pourquoi n'en souffririons-nous pas des maux (1)? »

3. Cet exemple nous a appris quelles sont les âmes douces; donnons maintenant, s'il nous est possible, une définition de la douceur. Les hommes doux sont ceux à qui rien ne plait que Dieu dans tout ce qu'ils font, dans toutes leurs bonnes oeuvres, et à qui Dieu ne déplaît jamais, quelques 'maux qu'il endurent. Allons, mes frères, appliquez-vous à bien comprendre cette définition, cette règle : cherchons à nous y conformer et acquérons ce qui nous manque pour nous y adapter. Eh! que nous sert de planter et d'arroser si Dieu ne donne l'accroissement ? « Ni celui qui plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu de qui vient la croissance (2). » Ecoute bien cela, toi qui veux être doux, toi qui prétends t’adoucir contre les jours mauvais et qui aimes la loi Dieu pour n'être pas victime du scandale, pour goûter unie paix abondante, pour posséder la terre et jouir des délices de la paix; écoute donc, toi qui veux être doux. Quelque bien que tu fasses, garde-toi de te plaire; car « Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (2). » Ainsi, quelque soit le bien que tu fais, que Dieu seul te plaise ; et que jamais il ne te déplaise, quelques maux que tu endures. Qu'ajouter encore? Rien ; fais cela et tu vivras. Tu ne périras point pendant les jours mauvais et tu échapperas à nette menace : « Malheur au monde à cause des scandales ! (3)» Et à quel monde, sinon au monde dont il est écrit: « Et le monde ne l'a point connu (4) ? » Ce n'est sûrement pas à celui dont il est dit : « Dieu était dans le Christ pour se réconcilier se monde (5). »

Il y a donc un monde méchant et un monde honnête. Le monde méchant, ce sont tous les méchants que renferme le monde, et le monde honnête en comprend tous les bons. N'avons-nous pas remarqué souvent quelque chose de semblable sur la terre ? Ce champ est tout couvert; de quoi? de froment. Nous disons pourtant aussi, et sans mentir, qu'il est tout couvert de

 

1. Job. II , 9, 10. — 2. Cor. III, 7. — 3. Jacq. IV, 6. — 4. Jean, I, 10. — 5. II Cor. V, 19.

 

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paille. Voici un arbre chargé de fruits, dit l'un; chargé de feuilles, dit l'autre; et tous deux disent vrai ; car ni l'abondance des feuilles n'ôte la place aux fruits, ni la multitude des fruits n'est incompatible avec la multitude des feuilles. L'arbre est à la fois chargé de feuilles et de fruits ; mais le vent emporte les unes et le jardinier recueille les autres. Ne t'effraie donc point lorsqu'on te dit: « Malheur au monde à cause des scandales (1) » Aime la loi de Dieu et pour toi il n'y aura point de scandale.

4. Cependant voici ta femme qui accourt pour t'entraîner dans je ne sais quelle faute. Tu l'aimes comme tu dois aimer ta femme, c'est un membre de ton corps. Mais « si ton oeil te scandalise, si ta main, si ton pied te scandalisent, te disait tout à l'heure l'Evangile, coupe et les jette loin de toi. » Si cher qu'on te soit, si grand qu'on te paraisse, on ne doit être grand, ni être à tes yeux un membre chéri, qu'autant qu'on n'est pas une cause de scandale, qu'on ne te conseille point le mal. Sachez que c'est bien en ceci que consiste le scandale.

Nous avons cité Job et sa femme, mais dans cet exemple ne se trouve point le mot même de scandale. Prête l'oreille à l'Evangile. Comme le Seigneur annonçait sa passion, Pierre se mit à l'en détourner. « Arrière, Satan, répondit le Sauveur, tu es pour moi un scandale. » Celui donc qui a voulu nous servir de modèle nous apprend ainsi et la nature du scandale et la manière de l'éviter. En disant : « Tu es bienheureux, Simon fils de Jonas (2) » il venait de représenter Pierre comme l'un de ses membres. Mais il retranche ce membre, dès qu'il veut être pour lui un scandale. Ensuite pourtant il le guérit et le remet à sa place.

Tu regarderas donc comme étant un scandale pour toi quiconque entreprendra de te porter au mal. Et je prie votre charité de remarquer que ces conseils funestes viennent plus souvent d'une bienveillance aveugle que de la malveillance. Un de tes amis, un ami qui t'aime aussi sincèrement que tu l'aimes à ton tour, ton père, ton frère, ton fils, ton épouse, te voient dans le mal et ils veulent te rendre méchant. Qu'est-ce à dire, ils te voient dans le mal? Ils te voient dans quelque affliction, dans une affliction que tu souffres peut-être pour la cause de la justice : ainsi tues persécuté parce que tu refuses de faire un faux témoignage. C'est un exemple que je suppose. Et le

 

1. Matt. XVI, 28, 17.

 

Monde est plein de faits qui vérifient cette sentence : «Malheur au monde à cause des scandales!» Ainsi donc un homme puissant, pour cacher ses déprédations et ses rapines demande que tu lui rendes le service de faire un faux témoignage. Tu refuses; tu refuses le faux pour ne pas manquer au vrai. Abrégeons ; cet homme puissant s'irrite et t'opprime. Vient ton ami ; il ne peut te voir dans l'affliction, il ne peut te voir dans le mal. Je t'en prie, dit-il, fais ce qu'on te demande; est-ce difficile? Peut-être même va-t-il imiter Satan, disant au Seigneur : « Il est écrit: Il vous a confié à ses Anges, pour que vous ne heurtiez point votre pied contre quelque pierre (1). » Oui, il est possible que cet ami, te voyant chrétien, recoure à la loi pour essayer de te porter à ce qu'il prétend que tu dois faire, Fais ce qu'il dit, s'écrie-t-il. — Mais quoi ? — Ce que veut cet homme puissant. — Mais il veut de moi un mensonge, une fausseté. — Eh ! n'as-tu point lu que tout homme est menteur (2) ? » Cet ami est donc un scandale. Toi, que feras-tu? C'est ton oeil, c'est ton bras droit. « Arrache-le et le jette loin de toi. » Qu'est-ce à dire ? Ne consens pas. Ne consens pas, c'est ce que signifie : « Arrache-le et le jette loin de toi. » C'est parleur accord en effet que nos membres font l'unité dans notre corps, ils vivent par leur accord et par leur accord ils communiquent les uns aux autres. Y a-t-il malaise ? C’est qu'il y a maladie ou blessure.

Ainsi donc cet ami est comme un membre de ton corps ; aime-le. Mais s'il te scandalise, « Coupe-le et le jette loin de toi. » Ne consens pas à ce qu'il dit, éloigne-le, ferme-lui ton oreille peut-être que cette réprimande te le ramènera; avec des sentiments meilleurs.

5. Néanmoins comment feras-tu pour couper, rejeter et corriger peut-être, ainsi que je viens de le dire ? Comment t'y prendras-tu? réponds : C'est par la loi qu'il a voulu te persuader le mensonge. Dis ce qu'on te demande, s'écriait-il, Peut-être n'osait-il proférer le mot de mensonges; aussi répétait-il : Dis ce qu'on te demande. Mais c'est un mensonge, répliquais-tu. Et lui, pour te disculper d'avance : « Tout homme est menteur. » Donc, mon frère, réponds de ton côté: « La bouche qui ment, tue l'âme (3). » Remarque bien, cet arrêt n'est pas de mince importance: « La bouche qui ment tue l'âme (3).» Que peut contre moi cet ennemi puissant qui m'accable? Pourquoi prendre pitié de moi et de la situation qui m'est

 

1. Matt. IV, 6. —2. Ps. CXV, 11. — 3. Sag. I, 11.

 

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faite? Pourquoi ne vouloir pas que j e souffre quel que mal et chercher à me rendre mauvais ? Qu peut-il enfin contre moi ? Sur quoi frappe-t-il Sur ma chair. — Oui, dis-tu, il accablera ton corps — Je suppose qu'il lui donne la mort. Ne serait il pas encore meilleur envers moi que je ne le serais en proférant le mensonge ? Il donne la mort à mon corps ; mais je la donne à mon âme. Ce puissant dans sa colère m'ôte la vie du corps; mais « la bouche qui ment tue l'âme. »  Il donne la mort à mon corps; mais ne la lui donnât on pas, ce corps doit mourir; tandis que si l'âme n'est point tuée par l'iniquité, elle vivra éternellement au sein de la vérité. Conserve ainsi ce que tu peux conserver, et laisse périr ce qui doit périr quelque jour.

Voilà une réponse, mais ce n'est point la solution de cette difficulté : « Tout homme est « menteur. » Réponds aussi à ce passage ; autrement il pourrait croire avoir trouvé en faveur du mensonge, un argument dans la loi même et t’avoir porté par la loi à violer la loi. — Or, dans, la loi il est écrit : « Tu ne feras point de faux témoignage (1); » il y est écrit également : « Tout homme est menteur. Rappelle-toi maintenant ce que j'ai dit tout-à-l'heure lorsque j'ai donné, comme je l'ai pu, la définition de l'homme doux. L'homme doux est celui à qui rien ne plaît que Dieu, dans tout le bien qu'il fait, et à qui Dieu ne déplaît pas, quelque mal qu'il endure. A cet homme qui te presse de mentir, parce qu'il est écrit que « tout homme est menteur, » réponds donc: Moi je ne mens pas, car il est écrit aussi: « La bouche qui ment tue l'âme; » moi je ne mens pas, car il est écrit : « Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge; (2) » je ne mens pas enfin, car il est écrit: « Tu ne feras point de faux témoignage.» Qu'il m'accable le corps, celui à qui il déplaît que je dise la vérité; j'entends mon Seigneur me dire : «Gardez-vous de craindre ceux qui tuent le corps (3). »

6. — Comment alors tout homme est-il menteur? N'est-tu pas un homme? — Réponds sans hésiter et selon la vérité : Puisse-je donc n'être pas homme pour n'être pas menteur! — Écoutez en effet : « Le Seigneur, du haut du ciel, a jeté un regard sur les enfants des hommes, pour voir s'il en est un qui ait de l'intelligence et qui cherche Dieu. Tous se sont égarés, tous sont devenus inutiles ; il n'en est pas un qui fasse

 

1. Deut. V, 20. — 2. Ps. V, 7. — 3. Matt. X, 28.

 

le bien ; il n'en est pas même un seul (1). » Pourquoi? Parce qu'ils ont voulu être les enfants des hommes. Mais pour les délivrer de ses iniquités, pour les traiter, pour les racheter, pour les guérir, pour les changer, il a donné à ces enfants des hommes le pouvoir de devenir les enfants de Dieu (2). Pourquoi s'étonner alors ? Si vous étiez enfants des hommes, vous étiez hommes ; tous vous étiez hommes et par conséquent menteurs, puisque tout homme est menteur. Mais vous avez reçu la grâce de Dieu, elle vous a fait le pouvoir de devenir les enfants de Dieu. Écoute la voix de mon Père : « Je l'ai déclaré, dit-il, vous êtes tous des Dieux et les fils du Très-Haut (3). » Oui, les hommes étant enfants des hommes s'ils ne sont pas devenus enfants de Dieu, sont menteurs, puisque tout homme est menteur. S'ils sont au contraire les enfants du Très-Haut, s'ils sont délivrés parla grâce du Sauveur et rachetés par son sang précieux, s'ils ont reçu une nouvelle génération de l'eau et de l'Esprit-et qu'ils soient prédestinés à l'héritage du ciel, enfants de Dieu, ils sont sûrement des Dieux. Qu'ont-ils alors de commun avec le mensonge? Adam n'était qu'un homme, le Christ est un homme-Dieu, Dieu est le Créateur de tout. Adam était un homme, le Christ est un homme médiateur auprès de Dieu, le Fils unique du Père, un Dieu-homme. L'homme est bien éloigné de Dieu et Dieu est bien éloigné de l'homme. Un homme-Dieu s'est placé entre les deux. Chrétien, reconnais le Christ et par cet homme élève-toi vers Dieu.

7. Changez donc, et si nous avons pu quelque chose, devenez doux, et attachons-nous à notre inviolable profession de foi. Pour échapper à cette menace : « Malheur au monde à cause des scandales, » aimons la loi de Dieu.

Parlons maintenant des scandales qui remplissent le monde ; disons comment les scandales se multiplient avec les afflictions. Le monde est dévasté; c'est le pressoir qui se foule. Allons, chrétiens, allons, race céleste, vous qui êtes étrangers sur la terre et qui cherchez au ciel une patrie avec le désir d'être associés aux saints Anges, comprenez que vous n'êtes venus ici que pour en sortir. Vous traversez le monde en cherchant avec effort Celui qui a créé le monde. Ne vous laissez pas troubler parles amis du monde, par ceux qui veulent y demeurer, et bon gré mal gré sont forcés de le quitter; ne vous laissez ni tromper ni séduire par eux. Ces afflictions ne sont pas

 

1. Ps. XIII, 2, 3. — 2. Jean, I, 12. — 3. Ps. LXXXI, 6.

 

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des scandales; soyez justes et pour vous elles ne seront qu'un exercice. Voici venir une tribulation ; elle sera pour toi ce que tu voudras, une épreuve ou ta condamnation. Elle sera ce que tu seras toi-même. La tribulation est un feu. Es-tu de l'or? Elle te purifie. De la paille? Elle te réduit en cendre. C'est ainsi que les afflictions qui se multiplient ne sont point des scandales.

Où sont les scandales? Dans ces discours, dans ces propos qui nous répètent: Voile ce que valent les temps chrétiens! Là est le scandale ; car on ne te parle ainsi que pour te porter à blasphémer contre le Christ, si tu aimes le monde. Celui qui t'adresse ce langage de ton ami, ton conseil; c'est donc comme ton oeil. Il est ton serviteur, ton auxiliaire dans tes entreprises ; c'est donc ta main. C'est peut-être ton protecteur, celui qui t'élève au-dessus des derniers de la terre; il est ainsi comme ton pied. « Arrache, coupe, jette loin de toi, » ne suis, pas ces conseils. Réponds à ces hommes ce que répondait cet autre à qui on conseillait un faux témoignage. Oui, réponds ainsi, et quand on te dit: C'est depuis le christianisme qu'il y a tant de maux et que le monde est dévasté, réponds: Le Christ me l'avait annoncé avant l'évènement.

8. Pourquoi te troubler ? Les calamités publiques agitent ton cœur comme était agitée la barque où dormait le Christ. Voilà bien, ô homme sensé, voilà la cause du trouble de ton coeur. Cet esquif où sommeillait le Christ est un coeur où la foi est endormie. Que t'apprend-on en effet, chrétien, que t'apprend-on de nouveau ? Sous le règne du Christianisme le monde est dévasté, le monde touche à sa fin. Ton Maître ne l'avait-il pas dit que le monde serait dévasté ? Ne t'avait-il pas dit que le monde aurait une fin ! Tu le croyais quand il le prédisait, et maintenant que se vérifient ses prédictions, tâte troubles? Ainsi la tempête gronde dans ton coeur; prends donc garde au naufrage, réveille le Christ. « Par la foi, dit l'Apôtre, le Christ habite dans vos coeurs. (1) » Le Christ, par la foi, habite dans ton coeur. Si donc tu as la foi, tu possèdes le Christ, cette foi est-elle vigilante? le Christ veille aussi est-elle endormie ? c'est le Christ qui sommeille. Réveille-toi donc, ranime-toi, dis: « Nous périssons, Seigneur (2) ». Ah! que ne nous disent pas les païens, et ce qui est plus brave, que ne nous disent pas les mauvais chrétiens?Levez-vous, Seigneur, nous sommes perdus. Que ta foi s’éveille,

 

1. Ephés. III,17. — 2. Matt. VIII, 24-26.

 

et le Christ commence à t'adresser ainsi la parole. Pourquoi te troubler, dit-il? Ne t'ai-je pas prédit tout cela ? Or je te l'ai prédit pour te porter, à avoir bon espoir quand viendraient les épreuves et à n'y succomber pas. Tu t'étonnes de voir le monde toucher à sa fin ? Etonne-toi plutôt de le hoir parvenu à cet âge avancé. Le- monde, est un homme qui naît, qui grandit et qui vieillit. Que de chagrins dans la vieillesse ? La toux, le dérangement des humeurs, la faiblesse de la vue, l'inquiétude, la fatigue, tout est réuni. Dans sa vieillesse l'homme est donc rempli de misères, et le monde dans sa vieillesse est aussi rempli de calamités.

Mais pour toi Dieu a-t-il fait peu; lorsque dans la vieillesse du monde il a envoyé le Christ pour te rajeunir quand tout tombe de vétusté ? Ignores-tu que ce fait a été signalé d'avance dans la race d'Abraham, dans Celui de la race d'Abraham que l'Apôtre appelle le Christ ? « L'Écriture ne dit point: « A ceux de ta race, comme s'ils étaient plusieurs; mais, parce qu'il n'est question que d'un seul, à Celui de ta race, c'est-à-dire au Christ (1). » De même donc qu'Abraham a eu un fils dans sa vieillesse, ainsi le Christ devait venir à l'époque de la décrépitude du monde. Il est venu effectivement au moment où tout vieillissait, et il t'a rajeuni. La création, l'univers, ce qui doit périr courait à sa ruine, et les calamités ne pouvaient que se multiplier. Le Christ est donc venu te consoler au milieu de ces douleurs et te promettre un éternel repos. Ah! garde-toi de vouloir t'attacher à ce vieux monde et ne refuse pas de te renouveler dans le Christ. Le Christ te dit : Le monde s'en va, le monde est vieux, le monde succombe, le monde est déjà haletant de vétusté, mais ne crains rien, ta jeunesse se renouvellera comme celle de l'aigle (2).

9. C'est, dit-on, sous le Christianisme que Rome est détruite. Peut-être ne l'est-elle point: peut-être est-elle frappée et non ruinée, châtiée et non renversée: Est-elle détruite d'ailleurs si les Romains ne le sont pas? Or ceux-ci ne périront point s'ils louent Dieu, tandis qu'ils périront s'ils le blasphèment. Qu'est-ce en effet que Rome, sinon les Romains? Car il ne s'agit pas ici d'amas de pierres ni de monceaux de bois, de palais qui ressemblent à des îles entières ni de remparts immenses. Tout cela était construit pour tomber en ruines 'quelque jour. La main de l'homme en bâtissant mettait pierre sur pierre,

 

1. Gal. III, 16. — 2. Ps. CII, 5.

 

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et la main de l'homme en démolissant ôtait pierre de dessus pierre. Ce qu'un homme a fait, un autre l'a détruit.

Est-ce d'ailleurs un outrage pour Rome de dire qu'elle tombe ? Ce n'en est pas un pour Rome, c'en serait un, tout au plus, pour son fondateur. Or faisons-nous injure à son fondateur même quand nous disons: Rome tombe, Rome l'oeuvre de Romulus ? Mais le monde créé par Dieu doit être réduit en cendres. Mais les oeuvres de l'homme ne succombent que quand il plait à Dieu, et l'oeuvre de Dieu ne se détruit également que quand il lui plait. Or si les oeuvres humaines ne tombent point sans la volonté divine, comment la volonté humaine pourrait-elle suffire à anéantir les oeuvres de Dieu ? N'est-il pas vrai encore que Dieu n'a fait pour toi qu'un monde périssable et que tu es toi-même destiné à la mort? Oui, l'homme qui fait l'ornement de là cité, qui habite la cité, qui la régit et qui .la gouverne, n'est venu que pour s'en aller, il est né pour mourir, il est entré pour sortir. Le ciel et la terre passeront ; est-il alors étonnant qu'une ville cesse d'exister ? Si d'ailleurs elle ne cesse pas aujourd'hui, elle cessera sûrement un jour.

Mais pourquoi cette ruine de Rome pendant que les chrétiens offrent leurs sacrifices ? Pourquoi aussi l'embrasement de Troie, sa mère, pendant que les païens offraient les leurs ? Les dieux qui ont la confiance des Romains, les dieux qui sont réellement les dieux Romains et en qui les païens de Rome ont placé leurs espérances, ces dieux ont quitté les cendres de Troie pour venir fonder Rome. Ces dieux de Rome étaient primitivement les dieux de Troie. Troie fut brûlée ;

 

1. Matt. XXIV, 36.

 

 Enée en emporta ses dieux fugitifs, ou plutôt il emporta dans sa fuite ses dieux insensibles. Il pouvait les porter, mais eux n'auraient pu fuir. Et abordant avec eux en Italie, il établit Rome avec ces faux dieux.

Il serait trop long d'entrer dans tous ces détails; je rapporterai seulement en peu de mots ce que disent des auteurs Romains. L'un d'eux connu de tout le monde, s'exprime ainsi : « La ville de Rome fut fondée et occupée d'abord, comme je l'ai appris, par des Troyens qui fuyaient sous la conduite d'Enée, et s'en allaient de pays en pays sans pouvoir se fixer (1). » Ces Troyens donc avaient avec eux leurs dieux; ils bâtirent Rome dans le Latium et y proposèrent à la vénération les mêmes dieux qu'adorait Troie. Un poète romain introduit encore sur la scène Junon irritée contre Enée et ses Troyens fugitifs. « Une nation que j'abhorre, dit-elle, fait voile sur la mer de Toscane, portant en Italie Ilion et ses pénates vaincus (2); » c'est-à-dire ses dieux vaincus. Or quand ces dieux vaincus entraient en Italie, était-ce un triomphe ou un présage?

Aimez donc la loi de Dieu et que pour vous il n'y ait pas de scandale. Nous vous en prions, nous vous en conjurons, nous vous y exhortons, soyez compatissants pour ceux qui souffrent, accueillez les malheureux; et maintenant ; qu'on voit tant d'étrangers, tant de pauvres, tant de malades, donnez largement l'hospitalité, multipliez vos bonnes oeuvres. Que les chrétiens fassent ce que commande le Christ et les -païens en blasphémant ne nuiront qu'à eux-mêmes.

 

1. Sallust. Guerre de Catil. chap. 4. — 2. Virg. En. liv. 1. vers 67, 68.

 

 

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