SERMON CXXV
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 Abbaye Saint Benoît de Port-Valais
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SERMON CXXV. MALADE DE TRENTE-HUIT ANS (1).

 

ANALYSE. — Saint Augustin rappelle qu’il a déjà traité ce sujet. C'est effectivement l'objet du précédent discours. Il est probable toutefois que ce n'est pas à celui-ci que le saint Docteur fait allusion, attendu qu'on n'y trouve pas ce qu'il rappelle avoir dit. Ici en effet il explique bien plus longuement le sens figuré des circonstances qui ont accompagné la guérison du malade de trente huit ans. — Les cinq portiques où gisaient les malades, représentent les cinq livres de la loi mosaïque, qui faisaient connaître les péchés sans pouvoir guérir les pécheurs. — L'eau dans les saints livres est le symbole du peuple, dont l'émotion s'élève si facilement et le mouvement imprimé à l'eau de la piscine représente le trouble et l’agitation du peuple juif lorsque descendit dans ses rangs l'Ange du grand conseil. On voit ici même que ce qui émut les Juifs c'est ce que le Sauveur dit du sabbat et de son égalité personnelle avec son Père. — Le malade guéri avait trente huit ans. Le nombre quarante est le chiffre de la perfection: En jeûnant quarante jours, Moïse, Elie et le Sauveur ont voulu nous apprendre que la perfection consiste d'abord à s'abstenir de l'amour déréglé des choses du siècle. L'amour étant comme la main du coeur ne saurait tenir, saisir les biens éternels, s’il est rempli des biens temporels: Mais le malade n'avait pas quarante ans, il lui en manquait deux. C'est qu'il manque aux pécheurs dont il était la figure le double amour, tant recommandé, de Dieu et du prochain. — Ainsi donc, détachons-nous de la terre et attachons-nous à Dieu.

 

1. En répétant ce qui n'est nouveau ni à votre oreille ni à votre coeur, nous allons ranimer vos sentiments et réveiller des souvenirs qui nous renouvellent en quelque sorte: Ne vous fatiguez pas d'entendre encore ce que vous connaissez déjà, car ce qui vient du Seigneur est toujours plein de douceur.

 

1 Jean, V.

 

507

 

Il en est de l'explication des divines Ecritures comme de la divine Écriture elle-même. Si bien que l'on connaisse les Ecritures, on les lit pour se les rappeler; ainsi faut-il s'en rappeler l'interprétation afin de la faire connaître à ceux qui peuvent ne l'avoir pas entendue, afin d'en faire revivre l'idée si elle est éteinte dans quelques uns, et de mettre dans l'impossibilité de l'oublier ceux donc la mémoire est fidèle. Il nous souvient donc d'avoir entretenu déjà votre charité de ce passage de l'Évangile. Mais si nous n'avons point hésité de vous le relire, nous n'hésitons pas non plus de vous en redire l'explication. « Vous écrire les mêmes choses, dit l'Apôtre dans l'une de ses Epîtres, n'est pas pénible « pour moi, et c'est nécessaire pour vous 1. Vous parler des mêmes choses, vous dirai je à son exemple, ne me coûte pas et c'est pour vous une précaution sûre.

2. Les cinq portiques où gisaient les malades, désignent la Loi qui t'ut donnée primitivement aux Juifs et au peuple d'Israël, par le ministère de Moïse, le serviteur de Dieu. Ce fut en effet Moïse, le promulgateur de la Loi, qui en écrivit les cinq livres, figurés par les cinq portiques de la piscine. — Cependant la Loi n'était par destinée à guérir les malades; elle devait seulement les découvrir et les faire connaître. « Si la Loi avait été donnée, dit l'Apôtre saint Paul, afin de pouvoir vivifier, « la justice viendrait vraiment de la Loi : mais l'Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse fût accomplie par la foi en Jésus-Christ en faveur des croyants (2). » C'est donc pour ce motif que les malades gisaient sous les portiques sans y trouver leur guérison. N'est-ce pas le sens de l'Apôtre ? « Si la Loi avait été donnée afin de pouvoir vivifier? » Ainsi ces portiques qui rappelaient la Loi, ne pouvaient guérir les malades.

Pourquoi alors, me dira-t-on, Dieu a-t-il donné cette Loi? Le même Apôtre l'explique. « L'Ecriture, dit-il, a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse fût accomplie par la foi

en Jésus-Christ, en faveur des croyants. » Les malades alors se croyaient en santé. On leur donna une loi qu'ils ne pouvaient observer; ils apprirent ainsi combien ils étaient frappés, ils implorèrent le secours du médecin, et ce désir de guérison venait en eux de ce qu'ils se sentaient malades en se sentant incapables d'accomplir la Loi qu'ils avaient reçue. L'homme auparavant se

 

1. Philip. III, 1. — 2. Galat. III, 21, 22.

 

croyait innocent et cet orgueil trompeur ne faisait qu'aggraver son état. Afin donc de dompter cet orgueil et de le mettre à nu, Dieu donna sa Loi; la Loi n'avait pas pour but de guérir le malade, mais de convaincre le superbe. Que votre charité remarque ceci avec soin : ce fut pour dévoiler et non pour enlever le mal que Dieu donna sa Loi. C'est ainsi que ces malades dont parle l'Évangile, auraient pu tenir leurs infirmités plus cachées en restant dans leurs demeures; mais ils se montraient à tous en se tenant sous ces portiques, qui néanmoins ne les guérissaient pas.

L'avantage de cette manifestation des péchés par la Loi consistait en ce que devenu plus coupable pour l'avoir violée, le pécheur sentait son orgueil abattu et pouvait implorer le secours de la miséricorde divine. Écoutez l'Apôtre : « La Loi est survenue, dit-il, afin que le péché abondât; mais où le péché a abondé, a surabondé la grâce (1). » Que signifie : « La loi est survenue afin que le péché abondât? » Ce qui est exprimé dans cet autre passage : « Où il n'y a point de loi, il n'y a point non plus de prévarication (2). » Avant la Loi, on pouvait appeler l'homme pécheur, mais non pas prévaricateur : tandis qu'après la Loi il est en même temps pécheur et prévaricateur; et la prévarication s'ajoutant au péché, on conçoit comment l'iniquité a abondé. L'iniquité abondant ainsi, l'orgueil humain apprend enfin à s'abaisser, à. bénir Dieu et à lui dire : « Je suis malade (3) ; » à répéter aussi ces mots d'un autre psaume qui ne conviennent qu'à un coeur humilié : « J'ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme car j'ai péché contre vous (4). » Parle donc ainsi, âme malade, convaincue de ton infirmité au moins par tes prévarications, éclairée et non guérie par la Loi. Écoute encore Paul lui-même : il te montrera d'un côté que la Loi est bonne, et d'autre part qu'elle ne délivre du péché que par la grâce du Christ. La Loi peut bien défendre et commander : elle ne saurait présenter le remède nécessaire pour guérir le vice intérieur qui ne permet pas à l'homme d'observer la Loi; pour cela la grâce est nécessaire. « Je me complais dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur, » dit l'Apôtre : ce qui signifie : Je vois que ce que défend la Loi est mal, et que ce qu'elle ordonne est bien. « Je me complais donc dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur. Mais je vois

 

1. Rom. V, 20. — 2. Ibid. IV, 15. — 3. Ps. VI, 3. — 4. Ps. XL, 5.

 

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dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit et qui me captive sous la loi du péché. » C'est le châtiment du péché, c'est la mort qui se communique, c'est la condamnation encourue par Adam qui résiste à la loi de mon esprit, et m'assujettit à la loi du péché se faisant sentir dans mes membres. Voilà un homme convaincu, c'est à la loi qu'il est redevable de cette conviction : vois, maintenant combien cette conviction lui est salutaire. « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur (1). »

3. Remarquez le bien: ces portiques figuraient la Loi, ils mettaient le mal au grand jour, et n'y appliquaient pas le remède. Qui donc guérissait de ces malheureux? Celui d'entre eux qui descendait dans la piscine. Et quand y descendait-il? Lorsque l'ange l'en avertissait en mettant l'eau en mouvement. Ce lieu en effet était si saint, qu'un ange y venait remuer l'eau. Les hommes voyaient cette eau dont le mouvement les avertissait de la présence de l'ange; et quiconque y descendait alors se trouvait guéri. Pourquoi donc notre malade ne l'était-il pas encore? Examinons ses paroles : « Je n'ai personne pour me mettre dans la piscine lorsque l'eau est agitée; et lorsque j'y vais un autre y descend. » Mais ne saurais-tu donc y descendre quand avant toi un autre y est descendu? Son langage indique qu'il n'y avait qu'un seul malade pour guérir, lorsque l'eau était en mouvement. Quiconque y descendait le premier était seul guéri, et quelque fût celui qui y serait descendu ensuite, il ne recouvrait pas alors la santé, mais il attendait que l'eau fût agitée de nouveau. Que signifie ce mystère? Cette circonstance n'est pas ici sans raison profonde.

Que votre charité redouble d'attention. Dans l'Apocalypse, les eaux figurent les peuples. En effet, Jean ayant vu de grandes eaux, demanda ce qu'elles signifiaient, et il lui fut répondu que ces eaux étaient des peuples (2). L'eau de la piscine désignait donc le peuple juif; ce peuple était contenu par l'autorité des cinq livres de Moïse, comme cette eau était contenue dans l'enceinte des cinq portiques. A quel moment se troubla cette eau? Au moment où le trouble se mit parmi les Juifs. Et quand se mit-il parmi eux, sinon à l'époque où y vint Jésus-Christ Notre-Seigneur? Quel trouble au moment de la passion! Quelle émotion

 

1. Rom. VII, 22-26. — 2. Apoc. XVII, 16.

 

parmi les Juifs quand le Sauveur endura les derniers supplices! Ce trouble ne se remarque-t-il pas déjà dans ce qu'on vient de lire? Le Juifs en effet voulaient mettre le Seigneur à mort, non- seulement parce qu'il faisait des miracles aux jours de sabbat, mais encore parce qu'il se disait Fils de Dieu en s'établissant l'égal de Dieu. Jésus effectivement prenait ce titre de Fils de Dieu autrement qu'il n'est accordé aux hommes dans ces mots : « J'ai dit : Vous êtes des dieux; vous êtes tous les Fils du Très-Haut. (1). » Car s'il ne se disait Fils de Dieu que dans le sens qui permet de donner ce nom à un homme quel qu'il soit quand il a la grâce, les Juifs n'entreraient point en fureur. Mais ils comprenaient que Jésus se disait Fils de Dieu autrement, dans le sens de ces paroles: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (2); » dans le sens aussi de ce texte de l'Apôtre : « Il avait la nature de Dieu, et il n'a point cru usurper en se faisant l'égal de Dieu (3); » et voyant en lui un homme, ils s'irritaient de ce qu'il osait revendiquer cette égalité avec Dieu. Mais Jésus se savait l'égal de Dieu par un côté qui ne tombait point sous les yeux des Juifs. Ceux-ci voulaient crucifier ce qu'ils voyaient en lui; ce qu'ils n'y voyaient pas les jugeait. Que voyaient-ils? Ce que voyaient aussi les Apôtres quand Philippe lui dit : « Montrez-nous votre Père, et cela nous suffit. » Et que ne voyaient-ils pas? Ce que ne voyaient pas les Apôtres eux-mêmes quand le Seigneur répondit: « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas! Qui me voit, voit aussi mon Père (4). » Dans l'impuissance donc de le voir de cette sorte, les Juifs le considéraient comme un orgueilleux et un impie qui osait se faire l'égal de Dieu.

            C'était l'eau qui se troublait; l'Ange y était descendu. Aussi bien le Seigneur est-il nommé « l'Ange du grand conseil (5), » car il est venu annoncer la volonté de son Père. Ange signifie celui qui annonce; et le Seigneur n'a-t-il pas dit qu'il nous annonçait le royaume des cieux? Cet Ange du grand conseil, ou plutôt ce Seigneur de tous les Anges était donc descendu; car s'il est appelé Ange pour s'être incarné; il est le Seigneur des anges, puisque « tout a été fait par « lui et que sans lui rien ne l'a été (6). » Tout, et par conséquent les anges, mais non pas lui, car c'est par lui qu'a été fait tout ce qui l'est. Or

 

1. Ps. LXXXI, 6. — 2. Jean, I, 1. — 3. Philip. II, 6. — 4. Jean, XIV, 8, 9. — 5. Isaïe, IX, 6. Sept. — 6. Jean, I,3.

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rien de ce qui a été fait ne l'ayant été sans lui, Celle qui était réservée à devenir sa mère

n'a pu naître sans être créée par Celui qui plus tard devait naître d'elle-même.

4. Les Juifs donc se troublent. Qu'est-ce que cette conduite, disent-ils? Pourquoi fait-il ces choses les jours de sabbat? Ce qui les émeut par dessus tout, ce sont ces paroles du Seigneur lui-même : « Mon Père travaille sans cesse, et moi je travaille avec lui. » Ce qui les scandalisait, c'est qu'ils comprenaient dans un sens tout charnel le repos que Dieu prit le septième jour après avoir achevé toutes ses oeuvres (1). Il est parlé de ce repos dans la Genèse; c'est un passage aussi magnifiquement écrit que profondément pensé. Mais les Juifs s'imaginaient que si Dieu s'était reposé le septième jour, c'est qu'il s'était fatigué en travaillant, et que s'il avait béni ce jour, c'est qu'il s'y était remis de sa lassitude : insensés! ils ne comprenaient pas qu'ayant tout fait d'un mot il n'avait pu se fatiguer. Qu'ils lisent, et qu'ils m'expliquent comment Dieu pouvait se fatiguer en disant : « Qu'il soit fait. » — « Et il était fait: » Parmi les hommes eux-mêmes, qui se fatiguerait aujourd'hui en agissant comme Dieu agissait alors? « Il dit : Que la lumière soit, et la lumière fut. » — « Soit le firmament, et le  firmament fut formé (2). » Dira-t-on qu'il s'est fatigué parce qu'il a commandé sans être obéi? L'Ecriture répond ailleurs plus brièvement encore : « Il dit, et tout fat fait; il commanda, et tout fut créé (3). » Agir ainsi, est-ce se fatiguer?

Si néanmoins Dieu ne se fatigue pas, comment prend-il du repos? C'est que ce repos que prend le Seigneur après avoir terminé tous ses ouvrages, est la figure du repos que nous goûterons dans le repos de Dieu; car le fidèle sera comme en un jour de sabbat, lorsqu'auront passé les six âges du monde. Ces six âges en effet sont comme six jours. Le premier jour s'étend depuis Adam jusqu'à Noé; le second, du déluge à Abraham; le troisième, d'Abraham à David; le quatrième, de David à la transmigration de Babylone; le cinquième, de la transmigration de Babylone à l'avènement du Messie. Nous sommes au sixième jour, c'est-à-dire au sixième âge. Donc, puisqu'au sixième jour l'homme a été créé à l'image de Dieu, rétablissons en nous cette image  (4). Dieu nous a formés, à nous de nous réformer; il nous a créés, créons-nous de nouveau. Et après ce jour, après l'âge que nous traversons

 

1. Gen. II, 2. — 2. Gen. I, 3, 6, 7. — 3. Ps. XXXII, 9. — 4. Gen. 1, 27.

 

maintenant, viendra le repos promis aux saints et figuré dès le commencement. Ainsi Dieu, après avoir produit toutes ses créatures ne fit plus rien de nouveau dans le monde, où ses oeuvres ne font que se succéder et se transformer, sans qu'aucune espèce nouvelle se soit établie depuis la création.

Toutefois, si le monde n'était régi par son auteur, il retomberait dans le néant, Dieu peut-il se refuser à conduire ce qu'il a créé? Mais comme il n'a rien établi de nouveau, on dit pour ce motif qu'il s'est reposé de tous ses travaux; et comme il ne cesse de gouverner ce qu'il a fait, le Seigneur a dit avec raison : « Mon Père agit sans cesse. » Que votre charité remarque bien ceci. Quand on répète que Dieu s'est reposé après avoir fini, on veut faire entendre qu'il n'a rien ajouté à ce qu'il a fait d'abord: et quand on dit qu'il ne cesse pas d'agir, on entend qu'il gouverne tout. Gouvernement aussi peu laborieux que l'était peu la création. Gardez-vous de croire en effet, mes frères, que si Dieu ne se fatiguait en créant, il se fatigue en gouvernant comme se fatiguent et ceux qui construisent et ceux qui conduisent un navire. Ils sont des hommes; mais autant il a été facile à Dieu de tout créer par sa parole, autant il lui est aisé de gouverner tout par l'autorité de son jugement et par son Verbe.

5. Si le désordre se révèle dans les choses humaines, n'en concluons pas qu'elles manquent de direction. Chacun est à sa place, quoique chacun n'y croie pas être. Occupe-toi seulement de ce que tu veux être; car le divin Ouvrier saura te placer en conséquence. Considère ce peintre voici devant lui diverses couleurs; ne sait-il pas où placer chacune? Et si le pécheur prend le noir pour lui, l'Artiste est-il embarrassé? Que ne fait-il pas avec le noir? A combien d'ornements ne l’emploie-t-il pas ? Il en fait les cheveux, la barbe, les sourcils; ruais pour le front il lui faut du blanc. Vois donc ce que tu veux devenir, et ne t'inquiète pas de savoir où te placera Celui qui ne se trompe jamais; il le sait, lui. N'est-ce pas ce que nous apprennent aussi les lois de ce monde? Un tel a voulu se rendre voleur avec effraction; la loi de l'empire sait qu'elle a été outragée par lui, elle sait aussi ce qu'elle en fera, et elle le met parfaitement à sa place. Le coupable a mal fait, mais la loi qui le punit ne fait pas plat; elle le condamne aux mines, et à combien d'oeuvres ne l'emploiera-t-elle pas? Son châtiment servira aux décorations de la ville. Dieu sait également (510) où te placer. Ne t'imagine point qu'en voulant faire le mal tu troubles les desseins de Dieu. Quoi Celui qui a su te créer, ne saura te placer? Ton avantage est de faire des efforts afin d'obtenir d'être en bon lieu. Qu'est-il dit de Juda par l'Apôtre Pierre ? « Il est allé en son lieu (1). » Ainsi l'a ordonné la divine providence pour le punir d'avoir voulu opiniâtrement faire le mal, sans que Dieu lui-même l'ait rendu mauvais. Ce malheureux a voulu être pécheur, il a fait comme il a voulu, mais il a souffert ce qu'il ne voulait pas. Son crime est d'avoir fait ce qu'il voulait; la gloire de Dieu est de lui avoir fait souffrir ce qu'il ne voulait pas.

6. Pourquoi ces réflexions ? Afin de vous faire comprendre, mes frères, combien Jésus-Christ Notre-Seigneur avait raison de dire : « Mon Père agit sans cesse, » puisqu'il ne délaisse pas la créature sortie de ses mains. En ajoutant : « Et moi j'agis comme lui, » il indique qu'il est l'égal de Dieu. « Mon Père agit sans cesse, et moi j'agis avec lui. » Ainsi est combattue l'idée charnelle que les Juifs se faisaient du sabbat. Ils s'imaginaient donc que Dieu s'était reposé de ses fatigues pour ne plus rien faire. Mais à ces mots : « Mon Père agit sans cesse, » ils se troublent; et à ceux-ci qui montrent le Sauveur égal à Dieu « Et moi j'agis avec lui, » ils se troublent encore. Ah ! ne craignez point. C'est l'eau qui se trouble, c'est un malade qui doit être guéri. Qu'est-ce à dire? Le trouble où ils entrent conduira le Seigneur à la mort. Le Seigneur souffre en effet son sang, précieux est répandu, le pécheur est racheté et la grâce accordée au coupable qui s'écrie. « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? C'est la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur (2). »

Et quel traitement lui fait-on suivre? On l'oblige à descendre. Cette piscine était en effet construite de manière qu'il fallait y descendre au lieu d'y monter. Pourquoi avait-elle cette forme ? Parce que la passion du Sauveur exige l'humilité. Humble, descends, et si tu veux être guéri, garde-toi de l'orgueil.

Pourquoi aussi n'y avait-il qu'un malade pour guérir? Parce qu'il n'y a qu'une seule Église dans tout l'univers, c'est une recommandation en faveur de l'unité; cette guérison accordée à un seul en est le symbole.Vois donc ici l'unité, et pour ne rester pas malade, garde-toi de t'en écarter.

7. Pourquoi maintenant ce malade avait-il

 

1. Act I, 25. — 2. Rom. VII, 25, 25.

 

trente huit ans? Je sais; mes frères, que j'en ai déjà dit la raison; mais si on oublie en lisant le texte, que ne fait-on pas lorsqu'on ne l'entend lire que rarement? Que votre charité fasse donc encore un peu d'attention.

Le nombre quarante figure la perfection de la justice. En effet, comme nous vivons ici au milieu des travaux, dans la détresse, dans la contrainte, dans le jeune, parmi les veilles et les afflictions, l'exercice de la justice consiste à supporter le poids de la vie, et à jeûner en quelque sorte en renonçant au siècle, à se priver, non pas des aliments corporels, ce que nous ne faisons que rarement, mais de l'amour du monde. Ainsi on accomplit la loi quand on renonce au siècle. Comment d'ailleurs aimer ce qui est éternel, si on ne cesse d'aimer ce qui est temporel? Considérez l'amour naturel : n'est-il pas comme la main du coeur? Si cette main tient un objet, elle ne saurait en tenir un autre, et pour recevoir ce qu'on lui donne, il faut qu'elle laisse ce qu'elle tient. Eh bien! entendez-moi, je parle clairement. Celui qui aime le siècle ne saurait aimer Dieu, car il a la main pleine. Prends ce que je te donne, dit le Seigneur. Mais il ne veut pas jeter ce qu'il avait à la main; et il ne saurait recevoir ce qu'on lui offre.

Ai je dit : Que personne ne possède rien? Si on le peut, si la perfection de la justice l'exige ainsi, qu'on renonce à tout. Mais si on n'en est point capable, si l'on en est empêché, par quelque obstacle insurmontable, qu'on possède, mais sans se laisser posséder, qu'on retienne, mais sans être retenu : qu'on reste le maître et non l'esclave de son bien, conformément à cette recommandation de l'Apôtre : « D'ailleurs, mes frères, le temps est court; il faut même que ceux qui ont des femmes soient comme n'en ayant pas; et ceux qui achètent, comme ne possédant pas; et ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas; et ceux qui pleurent, comme ne pleurant pas; et ceux qui usent de ce monde, comme n'en usant pas; car elle passe, la figure de ce monde, et je voudrais que vous fussiez exempts de soucis (1). » Que signifie cet avertissement : Prends garde d'aimer ce que tu possèdes en cette vie ? Que ta main n'y soit pas liée, puisque c'est par elle que tu dois te saisir de Dieu; que ton amour n'y soit point attaché, puisque c'est par lui que tu peux t'élancer vers Dieu et t'unir à ton Créateur.

 

1. I Cor. VII, 29, 82.

 

511

 

8. Mais Dieu sait, répliques-tu, que je ne me rends point coupable en possédant ce que j'ai. La tentation le montrera: On te conteste ta propriété, et tu blasphèmes ! Nous avons été soumis, il y a peu de temps, à de semblables épreuves. Donc on te conteste ta propriété, et- tu né te montres plus le même qu'auparavant! tu ne parles même plus comme tu parlais la veille! Encore si tu te contentais de défendre même avec bruit ce qui t'appartient, sans faire effort pour usurper audacieusement le bien d'autrui, et ce qui est pire, sans recourir, pour échapper aux poursuites, au moyen de revendiquer comme ton bien ce qui n'est pas à toi

Est-il nécessaire d'en dire davantage ? Ce sont, mes frères, ce sont des avis et des avis maternels, que je vous donne. Dieu me le commande; et je vous les transmets; car ils me sont donnés comme à vous. La parole de Dieu m'effraie, elle ne me permet pas de garder le silence. Dieu réclame ce qu'il m'a donné; il me l'a donné pour le distribuer, et si je le cachais pour le conserver, il me dirait bientôt : « Mauvais et paresseux serviteur, pourquoi n'as-tu pas donné mon argentait banquier? En venant aujourd'hui je le redemanderais avec les intérêts (1). » Et.que me servira de n'avoir rien perdu de ce qui m'a été confié? Ce n'est pas assez pour mon Maître, car il est avare mais avare pour notre salut. Oui, il est avare, partout il recherche ses deniers, il rassemble ce qui porte son image. « Tu devais, dit-il; donner cet argent aux banquiers, et en venant aujourd'hui je le redemanderais avec les intérêts. » Quand même d'ailleurs, j'oublierais de vous prévenir, les épreuves et les calamités que nous subissons ne seraient elles pas pour vous un avertissement ?

Mais vous entendez la parole de Dieu. Que le Seigneur en soit béni, lui et sa gloire. Je vous vois réunis et suspendus aux lèvres de celui qui nous la dispense au nom du ciel. Ne faites pas attention à l'organe extérieur qui vous la distribue; les affamés ne s'occupent-ils pas plutôt de la bonté des aliments que du peu de valeur du vase où il leur sont présentés? Dieu vous éprouve, et réunis ici, vous entendez sa parole. Mais l'épreuve même fera connaître quelles sont vos dispositions; il vous surviendra des affaires qui montreront ce que vous êtes. Tel outrage Dieu bruyamment aujourd'hui, qui l'écoutait hier avec plaisir. Pour ce motif donc, mes frères, je

 

1. Luc, XIX, 23.

 

vous avertis d'avance, je vous dis et je vous répète que le moment de l'examen viendra. « Le Seigneur, dit l'Écriture, examinera le juste et l'impie. » Ne venez-vous pas de chanter, n'avons-nous pas chanté ensemble: « Le Seigneur examine le juste et l'impie? » Qu'est-il dit ensuite : « Mais celui qui aime l'iniquité hait son âme (1)? » Ailleurs encore nous lisons : « L'impie sera interrogé sur ses pensées (2). » Ainsi Dieu n'interroge pas comme je t'interroge. J'interroge ta parole, et Dieu interroge ta pensée. II sait avec quelles dispositions tu m'écoutes, il sait également avec quelle rigueur il réclamera ce qu'il m'oblige de distribuer. Il veuf que je distribue, mais il se réserve de faire rendre compte. A nous d'avertir, d'enseigner, de rependre mais non pas de sauver et de couronner, ni de condamner ni de jeter dans les tourments. C'est le juge qui livrera le coupable au bourreau, et celui-ci le jettera en prison. « En vérité, je te le déclare, tu n'en sortiras pas que tu n'aies payé jusqu'au dernier quart d'un as (3). »

9. Revenons à notre sujet. La perfection de la justice est figurée parle nombre quarante. Qu'est-ce qu'accomplir ce nombre? C'est s'abstenir de l'amour du siècle; et s'abstenir des choses temporelles pour éviter de les aimer d'une manière dangereuse, c'est en quelque sorte jeûner. Aussi le Seigneur, Moïse et Elie ont jeûné quarante jours (4). Si le Seigneur a donné à ses serviteurs de pouvoir jeûner quarante jours, ne pouvait-il en jeûner lui-même quatre-vingt et même cent ? Pourquoi n'a-t-il pas voulu jeûner plus longtemps qu'eux, sinon parce que le nombre quarante est la figure mystérieuse du jeune dont nous parlons, du renoncement au siècle? En quoi consiste ce renoncement ? Dans ce que dit l'Apôtre: « Le monde est pour moi un crucifié et je suis un crucifié pour le monde (5). » Ainsi se réalise en lui la signification du nombre quarante.

Mais enfin que prétend le Seigneur?

Moïse et Elie ayant jeune autant que le Christ, la loi et les prophètes publient le même enseignement que l'Évangile, et l'on ne doit pas voir dans celui-ci le contraire de ce que renferment les prophètes et la loi. Toutes les Écritures en effet ne recommandent que de renoncer à l'amour du siècle, afin de faire prendre à notre amour son essor vers Dieu. Cette espèce de jeûne est figurée dans la loi par le jeune de Moïse durant quarante jours; dans les prophètes, par le jeûne

 

1. Ps. X, 6. — 2. Sag. I, 9. — 3. Matt. V, 25, 26. — 4. Matt. IV, 2 ; Exod. XXXIV, 28; III Rois, XIX, 8. — 5. Galat. VI, 14.

 

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d’Elie, durant quarante jours également; dans l'Évangile, par le jeune du Seigneur, aussi de quarante jours. Ceci explique encore pourquoi le Seigneur apparut sur la montagne, ayant à ses côtés Moïse et Elie. C'est que la loi et les prophètes rendent témoignage à l'Évangile (1).

Examinons maintenant comment le nombre quarante exprime la perfection de la justice. On lit dans un psaume. « Je vous chanterai, Seigneur, un cantique nouveau ; je vous célèbrerai sur le psaltérion à dix cordes (2). » Ce psaltérion rappelle les dix préceptes de la loi que le Seigneur n'est pas venu abroger, mais perfectionner. De plus cette Loi étant répandue partout a comme quatre points d'appui, l'Orient et l'Occident, le midi et l'aquilon, comme parle l'Écriture. De là vient que ce vase mystérieux, où étaient en images toutes les espèces d'animaux, et qui fut montré à Pierre en même temps qu'une voix disait : « Tue et mange (3) ; » afin de faire connaître que tous les peuples devaient croire et être incorporés à l’Église, comme ce que nous mangeons devient partie de nos organes; descendait du haut du ciel soutenu par quatre cordes représentant les quatre parties du monde et marquait ainsi la future conversion de l'univers entier. C'est ainsi que le nombre quarante exprime le renoncement au siècle. Ce renoncement comprend la plénitude qui consiste elle-même dans la charité.

De là vient encore que nous jeûnons durant quarante jours avant Pâques. Ce jeune est la figure de cette vie pénible où il nous faut accomplir la loi au milieu des travaux, des afflictions et des privations de tout genre. Après Pâques, au contraire, c'est-à-dire après la résurrection du Seigneur, c'est une époque qui représenté notre propre résurrection. Cette époque comprend cinquante jours, parce qu'en ajoutant à quarante le denier ou les dix as de la récompense, on obtient la somme de cinquante. Pourquoi dire le denier de la récompense? Mais n'avez-vous pas lu que les ouvriers appelés à la vigne, soit à la première, soit à la sixième, soit à la dernière heure, n'ont pu recevoir qu'un denier (4)? Lors donc que notre justice aura reçu sa récompense, nous serons au nombre cinquante. Nous n'aurons plus qu'à louer Dieu. Aussi chanterons-nous alors l'Alléluia, Alleluia ou louange à Dieu. Mais aujourd'hui, durant cette vie fragile et mortelle, durant cette quarantaine, gémissons dans la prière comme avant la résurrection, afin de louer Dieu plus tard. C'est

 

1. Rom. III, 24. — 2. Ps. CXLIII, 9. — 3. Act. X, 11-13. — 4. Matt. XX, 1-10.

 

maintenant l'époque des désirs, ce sera alors le temps des embrassements et des jouissances. Ne manquons pas à notre devoir pendant la quarantaine, afin de goûter le bonheur durant la cinquantaine.

10. Mais qui peut accomplir la loi sans avoir la charité? Interroge ]'Apôtre: « La charité, dit-il, est la plénitude de la loi (1). » — « Car toute la loi est renfermée dans une seule parole, dans la suivante : Tu aimeras ton prochain comme toi-même (2). » Et ce précepte de la charité est double. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, et de toute ton âme, et de tout ton esprit. Voilà le grand précepte. En voici un autre qui lui ressemble : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Ainsi parle le Seigneur dans l'Évangile, et il ajoute : « A ces deux commandements se rattachent toute la loi et les prophètes (3). » Sans cette double charité on ne saurait accomplir la loi, et en ne l'accomplissant pas on est malade.

Voilà pourquoi il manquait deux ans à ce malade qui l'était depuis trente-huit. Qu'est-ce à dire, il lui manquait deux ans? C'est-à-dire qu'il n'accomplissait pas ces deux préceptes. Et que sert d'observer les autres si on n'observe pas ceux-ci? Tu en accomplis trente huit? Sans ces deux points de récompense pour toi. Ces deux que tu violes sont ceux qui mènent au salut et sans lesquels les autres n'ont aucun mérite. « Quand je parlerai les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je suis comme un airain sonnant ou une cymbale retentissante. Et quand je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais toute la foi, au point de transporter les montagnes, si je n'ai point la charité, je ne suis rien. Et quand je distribuerais tout mon bien, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai point la charité, cela ne me sert de rien (4). » Ainsi parle l'Apôtre, et tout ce qu'il énumère ici peut être considéré comme les trente huit ans; mais parce que la charité y fait défaut, ce n'en est pas moins un état de maladie. Qui en délivrera, sinon Celui qui est venu donner la charité? « Voici de ma part, a-t-il dit, un commandement nouveau; c'est que vous vous aimiez les uns les autres (5). » Or, c'est parce qu'il est venu établir le règne de la charité, et parce que la charité perfectionne la loi, qu'il a pu dire : « Je ne suis pas venu pour abroger, mais pour achever la loi (6). » Après

 

1. Rom. XIII, 10, — 2. Galat. V, 14. — 3. Matt. XXII, 37-44. — 4. I Cor. XIII,1-3. — 5. Jean, XIII, 34. — 6. Matt. V, 17.

 

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avoir guéri notre malade, il lui dit d'emporter son grabat et d'aller chez lui. Il en dit autant

au paralytique, après l'avoir rendu à la santé (1). Mais qu'est-ce qu'emporter son grabat? N'est-ce pas rejeter les voluptés charnelles où nous gisons malades comme dans un lit? Or quand on est guéri, on maîtrise et on dompte sa chair, au lieu d'être maîtrisé par elle. Toi donc qui es en bonne santé, surmonte la fragilité de la chair, accomplis le jeûne de quarante jours en renonçant au siècle, tu atteindras ainsi la quarantaine avec cet heureux malade, guéri par celui qui n'est pas venu abroger, mais achever la loi.

11. Après avoir entendu ces réflexions; élevez vos coeurs vers Dieu. Né vous faites pas illusion. Examinez-vous quand le monde vous sourit, examinez alors si vous ne l'aimez pas, et apprenez à le quitter avant qu'il vous quitte. Qu'est-ce que le quitter? C'est ne l'aimer pas véritablement. Pendant que tu tiens encore ce qu'il te faudra quitter ou pendant la vie ou au moment de la mort, car tu ne saurais le garder toujours, détaches-en ton coeur, sois prêt à tout ce que te demandera la volonté divine, tiens-toi comme suspendu à Dieu, tiens-toi uni à Celui que tu ne saurais perdre malgré toi, et s'il t'arrive d'être dépouillé de ces choses temporelles, tu pourras dire : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; comme il a plu au Seigneur, il a été fait : Que le nom du Seigneur soit béni (2). » S'il arrive au contraire, si Dieu veut que tu conserves ces biens, jusqu'à la fin de ta vie, une fois sorti des liens de ce monde, tu recevras le denier de la cinquantaine, tu parviendras au parfait bonheur

 

1. Marc, II, 11. — 2. Job, I, 21.

 

Et tu ne cesseras de chanter le céleste Alleluia Ne perdez pas de vue ce que je viens de vous rappeler et que ce souvenir vous empêche d'aimer le siècle. Cette amitié est funeste, trompeuse et provoque l'inimitié de Dieu. Il suffit, hélas! d'une tentation à l'homme pour offenser Dieu et pour devenir son ennemi, ou plutôt pour montrer qu'il l'était. Car il l'était, quand il le louait et croyait l'aimer, mais c'était à son insu et à l'insu d'autrui. Une tentation est survenue, touchez le pouls, vous constatez la fièvre. Ainsi, mes frères, l'amitié et l'affection du monde nous rendent ennemis de Dieu. De plus, ce monde ne donne jamais ce qu'il a promis, c'est un menteur et un trompeur. Est-ce pour ce motif qu'on ne cesse d'espérer en lui? Mais qui obtint jamais tout ce qu'il en attend? Et quoi que l'on ait obtenu, bientôt on le méprise, pour commencer à désirer avec ardeur, à espérer d'autres choses. Celles-ci encore ne sont pas plus tôt arrivées qu'on les dédaigne encore. Attache-toi donc à Dieu : jamais il ne perd rien de ses charmes, parce que sa beauté est sans égale. Si les biens du monde se flétrissent si vite, c'est qu'ils n'ont rien de stable, c'est qu'ils ne sont pas Dieu, c'est qu'il ne te faut rien moins, ô âme humaine, que Celui qui t'a créée à son image. Aussi fut-il dit avec raison : « Seigneur, montrez-nous votre Père, et cela nous suffit (1). » Là seulement se trouve la sécurité et avec elle un rassasiement en quelque sorte insatiable. Ce rassasiement en effet ne fera dire jamais : c'est assez; jamais non plus rien ne manquera dont on puisse ressentir le besoin.

 

1. Jean, XIV, 8.

 

 

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