SERMON LVIII
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 Abbaye Saint Benoît de Port-Valais
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SERMON LVIII. DE L'ORAISON DOMINICALE (1).

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ANALYSE. — Ce discours ne se distingue du précédent que par des détails et des développements accidentels. On, ne peut néanmoins que gagner beaucoup à l'étudier encore.

 

1. Vous avez récité le Symbole, l'abrégé de notre foi. Déjà il y a quelque temps je vous ai rapporté ces paroles de l'Apôtre saint Paul « Comment l'invoquera-t-on, si l'on ne croit en lui (2)? » Puis donc qu'on, vous a appris, puisque vous avez retenu et répété la manière de croire en Dieu; écoutez aujourd'hui la manière de l'invoquer.

C'est le Fils de Dieu lui-même, vous l'avez entendu pendant la lecture de l'Évangile, qui a enseigné cette prière à ses disciples et à ses fidèles. Quel espoir n'avons-nous pas d'obtenir notre grâce, puisqu'un tel avoué nous a dicté la supplique! Assis à la droite du Père, comme vous l'avez publié, il est par conséquent l'assesseur du Père, et notre avocat doit être notre juge, car il viendra. juger les vivants et les morts.

Retenez donc bien cette prière, que vous devez répéter dans huit jours. Ceux d'entre vous qui ne savaient pas parfaitement le Symbole, ont ce temps encore pour l'apprendre, car samedi, ce grand jour de samedi prochain où vous devez recevoir le baptême, il vous faudra le réciter en présence de tous- ceux qui seront là; et dans huit jours, à partir d'aujourd'hui, vous répéterez l'oraison qu'on vous apprend aujourd'hui.

2. En voici le commencement : « Notre Père « qui êtes dans les cieux. » Dès que nous avons un Père au ciel, considérons comment il convient que nous vivions sur la terre. Car avec un tel Père on doit vivre de façon à se rendre digne d'être admis à son héritage. Nous disons tous : « Notre Père. » Quelle bonté! Ces paroles sont prononcées par l'Empereur et le mendiant, par le serviteur et son maître. Tous disent : « Notre Père qui êtes aux cieux. » Ils savent donc qu'ils sont frères, dès qu'ils ont le même Père. Et pourquoi un maître dédaignerait-il d'avoir pour frère son serviteur, puisque le Christ Notre-Seigneur veut bien aussi l'appeler son frère.

3. « Que votre nom soit sanctifié, » disons

 

1. Matt. VI, 9-13. — 2. Rom. X, 14.

 

nous encore; « que votre règne arrive. » Sanctifier le nom de Dieu c'est devenir saint, car ce nom est toujours saint en lui-même. Nous souhaitons aussi l'avènement de son règne. Il viendra, fût-ce malgré nous; mais désirer et demander que son règne arrive, c'est simplement désirer qu'ils nous rende dignes de son royaume, car, ce qu'à Dieu ne plaise, il pourrait se faire que son règne arrivât et non pas pour nous. Il viendra; mais pour un grand nombre il ne viendra pas. Il viendra pour ceux à qui il sera dit : « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès l'origine du monde. » Et il ne viendra pas pour ceux à qui s'adresseront ces mots : « Allez loin de moi, maudits, au feu éternel (1). » Ainsi quand nous disons : « Que votre règne arrive, » nous demandons qu'il vienne pour nous. Qu'est-ce à dire, qu'il vienne pour nous? Que Dieu nous trouve bons pour lui. Nous le prions par conséquent de nous rendre bons, car alors il nous admettra dans son royaume.

4. Nous ajoutons: « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Les Anges vous servent dans le ciel, faites que nous vous servions sur la terre. Les Anges ne nous offensent pas dans le ciel, faites que nous ne vous offensions pas sur la terre. Accomplissons votre volonté comme ils l'accomplissent. Ici encore que demandons-nous, sinon de devenir bons? Dieu sans aucun doute fait toujours sa volonté, mais elle se fait en nous lorsque nous l'accomplissons.

Nous pouvons encore entendre ces mêmes paroles : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, » de la manière suivante. Nous recevons un ordre de Dieu, et il nous plait, il plait à notre esprit; car nous nous complaisons dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur (2). La volonté de Dieu s'accomplit alors dans le ciel; notre esprit se comparant au ciel et notre corps à la terre. Que veut donc dire : « Votre volonté

 

1. Matt. XXV, 34. 41. — 2. Rom. VII, 22.

 

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soit faite sur la terre comme au ciel? » Votre commandement est agréable à mon esprit ; que ma chair aussi s'y conforme et que disparaisse enfin cette lutte que décrit l'Apôtre en ces termes: «La chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair (1). » Quand l'esprit convoite contre la chair, c'est la volonté divine qui s'accomplit au ciel ; et quand la chair ne convoite plus contre l'esprit, déjà cette même volonté s'accomplit sur la terre. Or la paix sera parfaite quand Dieu le voudra; si maintenant il veut le combat, c'est afin de pouvoir donner la victoire.

On peut aussi faire une autre application de la même demande : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Figurons-nous l'Eglise comme le ciel, car elle porte Dieu; et voyons dans la terre les infidèles a qui il a été dit : «Tu es terre et tu retourneras en terre (2). » Par conséquent, lorsque nous prions pour nos ennemis, pour les ennemis de l'Église, pour les ennemis du nom chrétien, nous demandons à Dieu « que sa volonté soit faite sur la  terre comme au ciel, » par ceux qui le blasphèment comme par ceux qui le servent, et que tous deviennent ciel.

5. « Donnez-nous aujourd'hui nôtre pain quotidien. » On peut entendre que par ces paroles noirs demandons simplement ce qui est nécessaire à la vie de chaque jour, pour l'avoir en abondance, ou au moins pour n'en pas manquer. Nous disons de chaque  jour, pendant ce qui est appelé aujourd'hui (3). Chaque jour en effet nous vivons, nous nous éveillons chaque jour, nous mangeons et nous avons faim chaque jour. Que Dieu nous donne donc notre pain de chaque jour.

Pourquoi n'avoir point parlé du vêtement? Car nous avons besoin, pour vivre; du boire et du manger, et pour nous abriter, du vêtement et d'un asile. Ne désirons rien de plus. « Nous n'avons rien apporté dans ce monde, dit l'Apôtre, et nous n'en saurions emporter rien ; dès que nous avons le vivre et le vêtement, contentons-nous (4). » Qu'il n'y ait plus d'avarice et l'a nature est assez riche. Si dans ces mots : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien. » nous pouvons entendre avec raison ce qui concerne la vie de chaque jour, pourquoi nous  étonner que le pain comprenne aussi tous les autres aliments nécessaires? Que dit Joseph en invitant ses frères? « Ces hommes aujourd'hui

 

1. Galat. V, 17. — 2. Gen. III, 19. — 3. Héb. III, 13. — 4. I Tim. VI, 78.

 

mangeront le pain avec moi (1).» Ne devaient-ils manger que du pain ? Le pain comprenait tout le reste. Ainsi en demandant notre pain de chaque jour, nous demandons tout ce qui sur la terre est nécessaire à notre corps. Mais que dit le Seigneur Jésus? « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît (2). »

Cette même demande : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien, » s'applique aussi parfaitement à votre Eucharistie, Seigneur, à cette nourriture de chaque jour. Les fidèles savent ce qu'ils reçoivent alors, et il leur est salutaire de prendre cet aliment quotidien, nécessaire à la vie présente. Ils prient donc pour eux-mêmes; ils demandent à devenir bons, persévérer dans l'innocence, dans la foi et les bonnes oeuvres. Voilà ce qu'ils ambitionnent, voilà ce qu'ils implorent, car s'ils ne persévéraient pas dans la pratique du bien, ils seraient privés de ce pain, mystérieux. Que signifie donc : Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien ? » Accordez-nous de vivre de façon à n'être pas éloignés de votre autel.

Quant à la parole de Dieu, que l'on vous explique chaque jour et que l’on vous rompt en quelque sorte, elle est aussi un pain quotidien. Le corps demande le pain vulgaire, l'esprit a besoin de ce pain spirituel. Aussi nous le demandons également, et le pain quotidien comprend tout ce qui nous est nécessaire dans cette vie, soit pour notre âme, soit pour notre corps.

6. Nous- disons encore : «Pardonnez-nous nos offenses ; » ne cessons.de le dire, car nous disons vrai. Eh.! quel homne vit dans ce corps sans avoir de péchés ? Quel homme vit de manière à n'avoir pas besoin de faire cette demande? On peut s'enfler, maison ne saurait se justifier; et il est bon d'imiter le publicain, sans s'enorgueillir comme le pharisien. Celui-ci monte au temple, il y vante ses mérites sans découvrir les plaies de son âme. L'autre en disant: « Seigneur ayez pitié de moi, pauvre pécheur (3), » savait mieux pourquoi il était venu, Considérez donc, mes frères, que c'est notre Seigneur Jésus, notre Seigneur Jésus lui-même qui a enseigné cette demande à ses disciples, à ses grands, à ses premiers Apôtres, les chefs du troupeau dont nous faisons partie. Mais si ces béliers implorent le pardon de leurs fautes, que doivent faire les

 

1. Gen. XLIII, 16. —  2. Matt. VI, 33. — 3. Luc, XVIII, 10-13.

 

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agneaux dont :il est dit: « Offrez au Seigneur les petits des béliers (1). » Vous savez qu'il est question de cette vérité dans le. Symbole que vous avez récité, puisqu'entre autres choses vous y avez nominé la rémission des péchés. Or, il y a une rémission des péchés qui ne s'accorde qu'une fois, et il en est une autre qui se fait chaque jour. La rémission des péchés qui ne s'accorde qu'une fois, est celle qui se fait dans.le baptême; l'autre s'octroie durant toute cette vie, pendant qu'on récite l'oraison dominicale. C'est en vue de cette dernière que nous disons: « Pardonnez-nous nos offenses. »

7. Le Seigneur a de plus conclu avec mous un accord, un pacte, un solide contrat, en nous faisant dire : « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Pour dire avec fruit : « Pardonnez-nous nos offenses, » il faut dire avec vérité : « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » En ne prononçant pas ces dernières paroles ou en les prononçant à faux, on prononce inutilement les premières. C'est à vous principalement, à vous qui approchez du saint baptême, que nous disons: Pardonnez tout du fond du coeur. Et vous, fidèles qui profitez de cette occasion pour -entendre cette prière et l'explication que nous en faisons, pardonnez de bon coeur tout ce que vous avez contre autrui; mais pardonnez là même ors pénètre l'oeil de Dieu. Il arrive quelquefois que l'on pardonne de bouche et non de coeur. On pardonne de bouche, à cause des hommes; on ne pardonne pas de coeur, parce que l'on ne craint pas les regards de Dieu. Vous, pardonnez entièrement ; quelque ressentiment que vous ayez gardé jusqu'aujourd'hui, au moins aujourd'hui pardonnez tout. Le soleil ne devait pas se coucher sur votre colère, et combien de soleils s'y sont couchés! Que cette colère s'éteigne enfin.

Voici la fête du grand soleil, de ce soleil dont il est dit dans l'Ecriture : « Pour vous se lèvera le soleil de justice, et vous trouverez le salut sous ses ailes (2). » Sous ses ailes, c'est-à-dire sous sa protection. Aussi lisons-nous dans un psaume: « Protégez-moi à l'ombre de vos ailes (3). » Il est des malheureux qui feront, au jour du jugement suprême, une pénitence tardive, et qui se livreront à une douleur infructueuse. Le livre de la Sagesse nous les montre d'avance. Et que diront-ils au milieu de leurs regrets, parmi les gémissements qui s'exhaleront de leur âme

 

1. Ps. XXVIII, 1. — 2. Malach, IV, 9. —3. Ps. XVI, 2.

 

oppressée? « Que nous a servi l’orgueil? Que nous a procuré l'ostentation des richesses? — Ainsi, diront-ils encore, nous avons erré hors des voies de la vérité, la lumière de la justice n'a pas lui à nos yeux, et le Soleil ne s'est pas levé sur nous (1). » Ce Soleil se lève sur les justes; quant au soleil visible, Dieu le fait lever chaque jour sur les bons et sur les méchants (2). Il appartient aux, justes de voir ce premier Soleil; ils le portent maintenant par la foi dans leurs cœurs. Si donc tu te fâchés, que le soleil visible ne se couche pas sur ta colère. « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère, dit l'Apôtre (3) ; » autrement le Soleil de justice se coucherait aussi pour toi et tu resterais dans les ténèbres.

8. Gardez-vous de croire que la colère ne soit rien. « La colère m'a troublé l'oeil, » dit le prophète. L'oeil troublé ne saurait regarder le soleil; en vain il fait effort, il ne trouve que souffrance sans plaisir. Qu'est-ce que la colère? Le désir de la vengeance. Quoi! Un homme veut se venger, et le Christ n'est pas vengé encore, les martyrs ne le sont pas ! La patience divine attend encore que se convertissent les ennemis du Christ, que les ennemis des martyrs se convertissent, et nous, qui sommes-nous donc pour chercher à nous venger? Eh ! que deviendrions-nous si Dieu cherchait à se venger lui-même? Jamais il ne nous a manqué, cependant il ne veut pas se venger de nous, et nous qui l'offensons presque chaque jour, nous voulons nous venger? Pardonnez donc, et pardonnez de bon coeur. Tu es irrité, ne pèche pas. « Fâchez-vous, est-il écrit, mais gardez-vous de pécher (4). » Fâchez-vous comme hommes, si vous êtes vaincus; mais gardez-vous de pécher en nourrissant dans le coeur votre colère, ce qui serait la nourrir contre vous et vous exposer à être rejetés loin de la lumière. Oui, pardonnez.

Qu'est-ce que la colère? Un.désir de vengeance. Qu'est-ce que la haine? Une colère invétérée; car lorsque la colère est invétérée elle porte le nom de haine. C'est ce que semble exprimer le prophète déjà cité. Après avoir dit : « La colère m'a « troublé l'oeil ; » il ajoute: « J'ai vieilli au milieu de tous mes ennemis (5). » Ce qui d'abord n'était que de la colère est devenu de la haine, parce que cette colère a vieilli. La colère est un brin d'herbe, la haine un gros arbre. Parfois nous reprenons un homme qui s'irrite, et dans notre

 

1. Sag. V, 3. 8, 6. — 2. Matt. V, 45. — 3. Ephés. IV, 26. — 4. Ps. IV, 5. — 5. Ps. VI, 8.

 

278

 

coeur nous entretenons de la haine. C'est alors que le Christ nous crie : « Tu vois le brin d'herbe dans l'oeil de ton frère, et dans le tien tu ne vois pas la poutre (1). » Comment ce brin d'herbe a-t-il grossi jusqu'à devenir une poutre? Parce qu'on ne l'a pas arraché immédiatement. Tant de fois tu as laissé le soleil se lever et se coucher sur ta colère; ainsi tu l'as invétérée. Tu as cherché les mauvais soupçons, tu en as arrosé le brin d'herbe; en l'arrosant tu l'as nourri, et en le nourrissant tu en as fait une poutre. Tremble au moins devant ces mots : « C'est être homicide que de haïr son frère (2). » Tu n'as point tiré l’épée contre lui, tu ne l'as pas blessé, tu ne lui as fait aucune plaie dans le corps; tu en as seulement la pensée dans le coeur, et tu es regardé comme homicide, aux yeux de Dieu tu es vraiment coupable. Ton ennemi est vivant, et tu l'as tué; autant qu'il dépend de toi, tu tues celui que tu hais. Amende-toi donc, corrige-toi.

Si dans vos demeures il y avait des scorpions ou des aspics, comme vous travailleriez à les en délivrer afin d'y pouvoir habiter tranquillement!

Vous vous fâchez, et les colères s'invétérant dans vos coeurs deviennent autant de haines, autant de poutres, de scorpions et de serpents; et vous n'en voulez point purifier vos coeurs, c'est-à-dire la maison de Dieu! Accomplissez ce que vous dites : « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés; » et vous direz avec confiance : « Pardonnez-nous nos offenses; » car vous ne pouvez sur cette terre vivre sans péchés. Autres néanmoins sont les grands crimes qui vous seront heureusement remis dans le baptême et auxquels vous devrez être toujours étrangers; et autres les péchés de chaque jour dont on ne saurait s'exempter ici bas, pour lesquels il faut réciter chaque jour l'oraison dominicale, avec le pacte, le contrat qu'elle renferme, y prononçant avec joie : «Pardonnez-nous nos offenses; » et avec sincérité : « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. »

Voilà pour les péchés passés, mais pour l'avenir?

9. « Ne nous induisez pas en tentation : pardonnez les péchés commis et accordez-nous de n'en plus commettre : on en commet lorsqu'on se laisse vaincre par la tentation. L'Apôtre saint Jacques a dit en effet : « Que nul, lorsqu'il est tenté, ne prétende que c'est Dieu qui le tente; car Dieu ne tente point pour le mal et il ne

 

1. Matt. VII, 3. — 2. I Jean,  III, 16.

 

tente lui-même personne; mais chacun est tenté par sa concupiscence, qui l'entraîne et le séduit; puis la concupiscence ayant conçu enfante le péché, et le péché consommé engendre la mort (1). » Ne te laisse donc pas entraîner par ta concupiscence; garde-toi d'y consentir. Elle ne peut concevoir que de toi. Y, consentir, c'est comme t'unir à elle intérieurement. Sitôt qu'elle se montre, refuse, ne la suis pas. Elle est coupable, elle est lascive; elle est humiliante, elle te sépare de Dieu. Pour n'avoir pas à pleurer sur son fruit, ne lui donne pas le baiser du consentement; car encore une fois elle conçoit si tu consens, si tu l'accueilles. Et « la concupiscence ayant conçu enfante le péché. » Tu ne trembles pas encore? « Le péché engendre la mort. » Crains au moins la mort. Si tu ne redoutes pas le péché, redoutes-en les suites. Si le péché est doux, la mort est amère.

Que les hommes sont misérables! Ils laissent ici, en mourant, ce qu'ils ont recherché par leurs péchés, et ils emportent leurs péchés avec eux. Tu pèches pour de l'argent, il faudra le laisser ici; pour une campagne, il faudra la laisser encore; pour une femme, tu la laisseras égale ment : ainsi en est-il de tout ce que tu convoites en péchant, tu le laisses ici quand la mort te ferme les yeux et tu emportes avec toi ce péché que tu commets.

10. Il faut donc effacer les péchés, les péchés passés, et cesser d’en commettre. Mais tu ne saurais dans cette vie en être entièrement exempt ne fussent-ils que faibles, petits ou légers. Ne méprise néanmoins ni les petits ni les légers, Les petites gouttes d'eau remplissent les fleuves, Ne dédaigne pas les péchés légers. L'eau pénètre à travers les plus légères fentes du navire, elle en remplit la cale, et si l'on n'y prend garde, le vaisseau s'engloutit. Aussi les matelots ne cessent-ils de travailler, leurs mains sont en mouvement, en mouvement pour enlever l'eau chaque jour. Ainsi tes mains doivent agir pour vider chaque jour ton esquif. Qu'est-ce à dire, doivent agir! Elle doivent donner, tu dois faire le bien, qu'elles agissent de la sorte : « Partage ton pain avec celui qui a faim; mène dans ta maison l'indigent sans asile; si tu vois un homme nu, donne-lui des vêtements (2). » Fais tous ce que tu peux et avec tous les moyens dont tu peux disposer; l'ai le bien avec joie et adresse la prière avec confiance. Elle s'élèvera sur deux ailes, deux sortes

 

1. Jacq. I.13-15. — 2. Isaïe, LVIII, 7.

 

279

 

d'aumônes. Quelles sont ces aumônes? « Pardonnez, et on vous pardonnera; donnez, et on vous donnera (1). » Une aumône se fait dans le cœur, lorsqu'on pardonne à son frère ses offenses; une autre se fait avec le bien, quand on donne du pain au pauvre. Fais les deux,  pour qu'une aile ne manque pas à ta prière.

11. Aussi après avoir dit : « Ne nous induisez pas en tentation, » on ajoute: « Mais délivrez-nous du mal. » En demandant à être délivré du mal, on témoigne qu'on y est livré. C'est pourquoi l’Apôtre dit : « Rachetez le temps, car les jours sont mauvais (2). » Mais « qui veut la vie? qui soupire après les jours de, bonheur? » Eh! qui ne les désirerait, puisque dans cette vie il n'y a que des jours mauvais? Fais donc, ce qui suit : « Préserve la langue du mal, et tes lèvres des discours artificieux; évite le mal et pratique le bien, cherche la paix et la poursuis (3) ; » ainsi tu n'as plus de jours mauvais, et tu obtiens ce que tu as demandé : « Délivrez-nous du mal. »

12. Ainsi donc les trois premières demandes « Que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, que votre nom soit sanctifié, » concernent l'éternité; et à cette vie se rapportent les quatre suivantes : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien. » demanderons-nous ce pain lorsque près de Dieu nous serons rassasiés? « Pardonnez-nous nos offenses : » dirons-nous cela dans ce royaume où nous n'aurons plus de péchés? « Ne nous livrez pas à la tentation : » quand- il n'y aura plus de tentation, quel sens auraient ces paroles? Et quand pour nous il n'y aura plus de mal, dirons-nous : « Délivrez-nous du mal? » Ces quatre demandes sont donc nécessaires pour noire vie de chaque jour, et les trois autres pour la vie éternelle. Mais faisons-les toutes pour parvenir à cette vie; prions ici pour n'en être pas exclus. Vous devrez, après votre baptême, réciter chaque jour cette oraison dominicale. On la dit chaque jour à l'autel du Seigneur où les

 

1. Luc, VI, 37, 38. — 2. Ephés. V, 16. — 3. Ps. XXXIII, 11, 13, 14.

 

fidèles l'entendent. Aussi ne craignons-nous pas que vous ne la sachiez peu exactement; ceux d'entre vous qui ne pourraient la savoir encore parfaitement, l'apprendront en l'entendant chaque jour.

13. Samedi prochain, pendant les veilles que nous.célèbrerons par la miséricorde de Dieu, vous réciterez, non pas l'Oraison, mais le Symbole. Il faut que maintenant vous sachiez ce Symbole, car vous ne l'entendez pas chaque jour à l'église, dans l'assemblée sainte. Et afin ne pas l'oublier une fois que vous le savez, récitez-le chaque jour. En vous éveillant, en allant prendre votre sommeil, récitez votre symbole, récitez-le devant Dieu, rappelez vos souvenirs, ne vous lassez point de le répéter. Cette répétition est utile, elle est propre à empêcher l'oubli. Ne dites point : Je l'ai récité hier, je l'ai récité aujourd'hui, chaque jour je le récite et je le possède parfaitement. Remets-toi devant les yeux l'abrégé de ta foi, regarde-toi dans ce miroir, car ton Symbole doit être pour toi comme un miroir. Examine si tu crois sincèrement ce que tu fais profession de croire, et jouis chaque jour du bonheur d'avoir la foi. Que ce soient là tes richesses et comme les vêtements spirituels de ton âme. N'as-tu pas soin de t'habiller en te levant? Couvre aussi ton âme en te rappelant le Symbole; crains que l'oubli ne la mette à nu, que tu ne demeures sans vêtement, et, ce qu'à Dieu ne plaise, qu'il ne t'arrive ce que dit l'apôtre, d'être dépouillé plutôt que nu (1). Notre foi en effet nous servira de vêtement; pour nous elle sera à la fois et une tunique et une cuirasse; une tunique pour nous préserver de la confusion, et une cuirasse pour nous tenir en garde contre l'adversité. Mais quand nous serons arrivés au lieu où nous devons régner, nous n'aurons plus besoin de réciter le Symbole : nous verrons Dieu, Dieu même sera en face de nous, et cette vue de Dieu sera la récompense de notre foi.

 

1. II Cor. V, 3.

 

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