SERMON XLI
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 Abbaye Saint Benoît de Port-Valais
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SERMON XLI. FIDÉLITÉ DANS LA PAUVRETÉ. (1).

 

ANALYSE. — S. Augustin entreprend d'expliquer ici le sens profond de ces paroles : « Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté, afin que tu jouisses aussi de son bonheur. » Après avoir reconnu qu'abandonner un ami tombé dans l'indigence, c est témoigner qu'on aimait ses richesses plus que sa personne, le grand Docteur demande si le but de la fidélité à lui garder doit être de pouvoir partager sa fortune lorsqu'il l'aura recouvrée. Evidemment l'amitié alors ne serait point pure. Il faut donc chercher ici une signification plus profonde et plus chrétienne. Or, comme on peut le voir dans l'histoire du mauvais riche, garder la fidélité avec son prochain dans la pauvreté, c'est partager la foi des pauvres afin de jouir de leur bonheur, d'être reçu par eux dans les tabernacles éternels; c'est aussi demeurer fidèle au Christ dans ses humiliations, afin d'être par lui associé à sa félicité suprême.

 

1. Quand on lisait dans les divines Ecritures ces maximes que maintenant nous ne saurions toutes expliquer, j'ai remarqué une pensée aussi brièvement exprimée qu’elle est vaste par le sens qu'elle renferme; et pour répondre avec l'aide du Seigneur et dans l'étroite mesure de mes forces, à la vive attente de votre charité, j'ai pris la résolution de m'y arrêter, et de la tirer pour votre profit du cellier divin oit je puise avec vous ma nourriture. Voici donc quelle est cette pensée: « Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté, afin de jouir aussi de son bonheur. »

Prenons-la d'abord simplement dans le sens littéral qu'elle parait présenter, comme peuvent l'entendre tous les esprits, ceux mêmes qui ne creusent jamais les profondeurs des Ecritures divines. « Sois fidèle avec ton prochain dans sa

 

1. Eccli. XXII, 28.

 

pauvreté, afin de jouir aussi de soit bonheur. » Rien n'est plus vrai, dit celui qui se contente d'écouter : quand un ami est pauvre, il ne faut pas lui manquer de foi mais lui demeurer fidèle; l'amitié ne doit pas changer avec la fortune, mais la bonne volonté doit s'affermir et la foi se garder. S'il était mon ami quand il était riche et que dans sa pauvreté il ne le soit plus, c'est que j'aimais son opulence et non sa personne. Si au contraire je l'aimais lui-même, malgré les vicissitudes de la fortune n'est-il pas toujours lui? Pourquoi donc ne serait-il pas encore pion ami? S'il a perdu son or, il n'a pas perdu son coeur. J'achète un cheval, je lui ôte ses parures et ses harnais, perd-il sa valeur pour cela? J'aimais mon ami quand il était orné et maintenant qu'il est dépouillé je le dédaigne? Elle est donc bonne, elle est salutaire, elle est parfaitement convenable aux besoins de l'humanité, cette, sentence (168) de l'Ecriture : « Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté. »

2. « Afin de jouir aussi de son bonheur. » Quoi donc? Que signifie cette seconde partie ? Dirons-nous que le motif pour lequel il faut demeurer avec un ami dans sa pauvreté et lui être fidèle soit le désir de jouir aussi de son bonheur? Dirons-nous : Maintenant il est pauvre, mais il s'enrichira et il ne te fera point part de son opulence si dans ton orgueil tu dédaignes maintenant sa pauvreté. Sois donc fidèle avec lui, lors même qu'il est pauvre, afin de jouir de son bonheur quand la fortune lui sera revenue et d'y trouver l'allégresse avec lui? Sois fidèle avec lui; il est pauvre, mais il a dans sa foi un grand trésor. Tu te disposais et tu aspirais à posséder avec lui quelque terre, si toutefois il en avait une que vous pussiez posséder ensemble : n'est-il pas beaucoup plus sûr de posséder avec lui la foi? Peut-être est-il possible qu'il soit dépouillé de ses biens par quelque scélérat; qui pourra lui ravir sa foi ? Que signifie donc : « Afin de jouir aussi de son bonheur? » Cela signifie sans doute que de pauvre qu'il est il pourra devenir riche et que pour n'avoir pas dédaigné sa pauvreté tu partageras son opulence.

3. L'explication vulgaire donnée au premier membre de cette phrase me parait convenable mais, je l'avoue, l'explication du second membre me blesse. Si en effet le motif pour lequel tu demeures fidèle à ton ami dans sa pauvreté est le désir de profiter de ses trésors quand il en aura acquis, ce n'est pas ton ami lui-même, c'est quelque autre chose que tu aimes en lui. La foi et l'espérance sont deux bonnes amies; la charité l'emporte sur-elles. «Maintenant, dit l'Apôtre, demeurent toutes les trois la foi, l'espérance et la charité ; mais la plus grande des trois est la charité: pratiquez la charité (1). »

Je m'adresse donc à cet ami. Je t'en prie, lui dis-je, gardes-tu la foi à ton ami dans sa pauvreté? — Certainement, répond-il, j'ai appris ce devoir dans les livres sacrés, je l'ai recommandé à mon coeur et confié à ma mémoire : je me le rappelle avec plaisir, je le pratique avec plus de plaisir encore. Oui, j'ai entendu cette sainte parole : « Sois fidèle avec ton ami dans sa pauvreté. » — Pourquoi cela, ajouté-je? Est-ce à cause de ce qui suit, c'est-à-dire : « afin que tu profites de son bonheur? » Qu'as-tu donc en vue? — J'espère; reprend-il, que pour n'avoir

 

1. Cor. XIII, 13 ; XIV, 1.

 

pas dédaigné son malheur, je fierai admis au partage de sa félicité, lorsqu'il sera enrichi et comblé de biens. — Souffre que je te questionne encore un peu. Et si cet homme avec qui tu demeures fidèle dans sa pauvreté ne devient jamais riche ? Et s'il doit rester pauvre jusqu'à la mort ? Ton espérance frustrée, ne seras-tu plus fidèle? Dans l'impossibilité de partager l'or du riche, te repentiras-tu d'avoir été fidèle avec le pauvre?

Si mon interlocuteur a des sentiments humains, que dis-je? s'il a des sentiments vrais, il se troublera de mes questions et me répondra que je dis vrai. Il est bien d'être fidèle à un ami; mais si on lui est fidèle dans sa pauvreté pour profiter de ses richesses, pour les partager avec lui, il n'est pas douteux qu'en le voyant mort indigent et sans l'opulence qu'on espérait, on se repentira de toute cette fidélité et l'on perdra misérablement fout le fruit de ce qu'on a fait pour lui. — Tu le vois donc, il faut approfondir davantage cette pensée et l'entendre, non dans le sens que peut y donner le vulgaire, mais dans le sens qu'avait en vue l'autorité divine lorsqu'elle l'a révélée afin de nous y monter quelque grande vérité, de nous y tracer une conduite et des devoirs pour lesquels nous n'avons à craindre ni déception ni regrets. Il est donc nécessaire pour la saisir de prendre un autre moyen.

4. C'est pourquoi contemple le pauvre Lazare gisant à la porte du riche. A la pauvreté Lazare joignait encore des infirmités douloureuses; il n'avait pas même la santé corporelle, l'unique patrimoine du pauvre. Il était de plus couvert d'ulcères que les chiens lui léchaient. Or le riche qui habitait ce palais était vêtu de pourpre et de fin lin; chaque jour il faisait grande chère et refusait d'être fidèle avec le pauvre. Mais le Seigneur Jésus, l'auteur et l'appréciateur de la foi, préférait avec justice celle de Lazare aux richesses et aux délices du riche ; il préférait ce domaine du pauvre à l'orgueil du riche. Aussi a-t-il fait connaître le nom de ce pauvre, tandis qu'il a jugé devoir laisser dans l'oubli le nom du riche mauvais. « Il y avait, dit-il, un homme riche qui était vêtu de pourpre et de fin lin et qui chaque jour faisait grande chère. Il y avait aussi un mendiant nommé Lazare.» Ne vous semble-t-il pas que le Seigneur ait lu dans le livre mystérieux où il a trouvé écrit le nom du pauvre et non celui du riche? Ce livre en effet est le livre des vivants et des justes, non le livre des orgueilleux et des impies. Les hommes publiaient le nom de ce (169) riche, ils ne disaient rien du pauvre; le Seigneur fit le contraire, il mit en lumière le nom du pauvre et tut celui du riche. Ce riche ne voulut donc pas être fidèle avec le pauvre.

Tous deux moururent. « Il arriva que le mendiant mourut et fut porté par les Anges dans le sein d'Abraham. Le riche mourut aussi et fut enseveli: » peut-être le pauvre ne le fut-il même pas. Quoi qu'il en soit, « lorsqu'il était dans les tourments de l'enfer, comme nous

lisons dans l'Ecriture, il éleva ses yeux de loin et vit dans le sein d'Abraham ce mendiant méprisé par lui à la porte de son palais. » Il n'avait pas voulu avoir la même foi que lui; il ne put jouir du même repos. « Père Abraham, s'écria-t-il, envoyez Lazare tremper son doigt dans l'eau et en faire tomber une goutte sur ma langue, car je suis torturé dans cette flamme. » Il lui fut répondu : « Souviens-toi, mon fils, que tu as reçu tes biens dans ta vie et Lazare les maux; or maintenant il se repose et toi tu es tourmenté. Et par dessus tout cela, il y a entre nous et vous un grand abîme et personne ne saurait ni d'entre nous aller jusqu'à vous, ni d'entre vous venir ici. » Ce malheureux comprit qu'on lui refusait toute compassion parce que lui-même en avait manqué. Il comprit la vérité de cette sentence : « Jugement sans miséricorde pour qui n'a point fait miséricorde (1). »

Il avait refusé au temps convenable d'avoir pitié du pauvre et quand il fut trop tard il eut pitié de ses frères. « Envoyez donc Lazare, dit-il, j'ai cinq frères, qu'il leur apprenne ce qui se passe ici, pour les empêcher de venir eux-mêmes dans ce lieu de supplices. » S'ils ne veulent pas venir dans ce lieu de supplices, lui fut-il alors répondu, « ils ont Moïse et les prophètes, qu'il les écoutent. » Ce riche avait tourné les prophètes en dérision; il le faisait sans doute avec ses frères; car je le crois et j'en suis même certain, lorsqu'avec ses frères il parlait des prophètes et de leurs sages conseils et de leurs sévères menaces, des tourments futurs et des futures récompenses qu'ils annonçaient, il riait de tout cela et disait à ses frères. Quelle vie peut exister après la mort ? Quelle peut être la mémoire d'une chair en dissolution et le sentiment d'un corps réduit en poudre? Tous sont emportés et ensevelis. Qui a-t-on jamais cité pour en être revenu? Au souvenir de ces propos qu'il avait

 

1. Jacq. II, 18.

 

tenus, il voulait donc que Lazare retournât vers ses frères, il voulait qu'ils ne pussent plus dire Qui en est revenu? C'est ce qui explique le parfait à-propos de la réponse. Car le mauvais riche paraît avoir été un juif, aussi donne-t-il à Abraham le nom de Père, et il convenait entièrement de lui faire entendre ces mots : « S'ils n'écoutent ni Moïse, ni les prophètes, ils ne croiront pas non plus un homme ressuscité d'entre les morts (1). » C'est ce qui se voit dans les Juifs; ils n'ont écouté ni Moïse ni les prophètes et ils n'ont pas cru davantage le Christ ressuscité. N'est-ce pas ce qu'antérieurement le Sauveur leur avait prédit en ces termes : « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi ? »

5. Ce riche demeura donc sans secours dans les peines éternelles, après être arrivé au terme de ses délices temporelles. Il n'avait pas pratiqué la justice; il entendit ce qu'il méritait « Souviens-toi que tu as reçu tes biens dans ta vie. » Cette vie que tu aperçois n'est donc pas la tienne. « Tu as reçu tes biens; » donc aussi ces biens après lesquels tu soupires avec tant d'ardeur et de si loin, ne sont pas à toi. Où sont ces réflexions des riches et de leurs adulateurs quand ils voient un homme comblé de prospérités temporelles, avec de vastes domaines qu'il étend, multiplie comme pour attirer à lui le plomb avec lequel il doit être submergé? Ce fut en effet sous ce poids que ce riche tomba dans les enfers, c'est sous ce lourd fardeau qu'il fut précipité jusqu'en ses profondeurs. Il n'avait pas ouvert l'oreille à cette invitation : « Venez à moi, vous qui prenez de la peine et qui êtes chargés. Mon joug est doux et mon fardeau léger (3). » Le fardeau du Christ est comme des ailes. Le mendiant, avec ces ailes, s'envola dans le sein d'Abraham, et le riche ne voulut point en entendre parler. Il préféra le langage des flatteurs. Ce bruit le rendit sourd aux enseignements des prophètes, et il se plaisait n entendre les perfides adulateurs lui dire: Il n'y a que vous, vous seuls vivez réellement.

Donc : « Tu as reçu tes biens dans ta vie. » Car tu les croyais à toi sans en imaginer, sans en espérer d'autres, et « tu les as recueillis dans ta vie. » Tu pensais en effet n'avoir d'autre vie que cette vie et tu n'espérais rien, tu ne redoutais rien après la mort. « Tu as donc recueilli tes biens dans ta, vie, et Lazare les maux. » Non pas ses maux, mais les maux, ce que les hommes

 

1. Luc, XVI, 19-31. — 2. Jean, V, 46. — 3 Matt. XI, 28, 29.

 

170

 

regardent, craignent et évitent comme de grands maux. Lazare sur cette terre a reçu des maux, il n'y a pas reçu tes biens, et pourtant il ne les a point perdus. Et de même qu'en parlant des maux endurés par Lazare, Abraham ne dit point ses maux, ainsi il ne dit point sa vie. Pour lui en effet il y en avait une autre, celle qu'il espérait dans le sein du patriarche. Ici il était mort, ici il ne vivait pas. Il était mort dans le sens de ces paroles de l'Apôtre : « Vous êtes morts et

votre vie est cachée en Dieu avec le Christ (1). » Ce mendiant souffrait des afflictions temporelles; mais Dieu retardait pour lui, il ne supprimait pas le bonheur. Pourquoi donc, ô riche, désirer dans les enfers ce que tu n'espérais point lorsque tu étais au sein de ton opulence ? N'est-ce pas toi qui méprisais le pauvre et riais de Moïse ? Tu n'as pas voulu être fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté, et maintenant tu partagerais son bonheur ? Tu le tournais en dérision lorsqu'on te disait: « Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté, afin de jouir aussi de son bonheur; » maintenant donc contemple de loin ce bonheur, il n'est pas pour toi. C'était un bonheur à venir, un bonheur invisible qu'il fallait croire avant de le voir, pour n'être pas condamné en le voyant à pouvoir le regretter sans pouvoir le posséder.     .

6. Ainsi, mes frères, cette sentence me parait éclaircie. Des chrétiens en effet la doivent comprendre chrétiennement, et gardons-nous d'être fidèles avec notre prochain indigent dans l'espoir temporel des richesses qu'il peut acquérir, ne faisons pas servir notre fidélité à les partager avec lui. Gardons-nous, gardons-nous absolument de cela. Qu'avons-nous donc à faire, sinon de nous conformer à ce précepte de Notre-Seigneur : « Formez-vous des amis avec les richesses d'iniquité, afin qu'à leur tour ils vous reçoivent eux-mêmes dans les demeures éternelles (2) ? » Les pauvres parmi nous ont-ils des demeures pour nous y recevoir ? « Formez-vous des amis avec les richesses d'iniquité, » c'est-à-dire avec les profits que l'iniquité seule appelle des profits. Car il en est d'autres que la justice nomme ainsi; ils sont déposés dans les trésors de Dieu. Ne méprisez point les pauvres qui n'ont ni où rentrer, ni où s'abriter. Ils ont toutefois où entrer, ils ont des demeures, les demeures éternelles. Ils ont des demeures où vous souhaiterez vainement d'être admis, témoin ce riche, si maintenant

 

1. Colos. III, 3. — 2. Luc, XVI, 9.

 

vous ne les recueillez dans les vôtres : car « recevoir le juste comme juste, c'est mériter la récompense du juste; recevoir le prophète comme prophète, c'est mériter la récompense du prophète ; et quiconque aura donné, à l'un de ces plus petits, seulement un verre d'eau froide parce qu'il est de mes disciples, en vérité je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense (1). » Celui-là aussi est fidèle avec son prochain dans sa pauvreté ; aussi jouira-t-il de sa prospérité.

7. Mais ton Seigneur te parle lui-même, lui qui s'est fait pauvre quand il était riche : il te donne de la même pensée une interprétation meilleure encore et plus solide. S'agit-il du mendiant que tu as recueilli dans ta demeure ? Ton esprit peut-être n'est pas tranquille, tu te demandes s'il est un homme sincère ou un imposteur, un trompeur, un hypocrite; et parce que tu ne peux lire dans son coeur, tu hésites en lui faisant la charité. Ne crains pas, fais-la même au méchant, c'est un moyen de la faire au bon. Craindre que la semence ne tombe dans les chemins, au milieu des épines et au milieu des pierres, et pour ce motif ne pas semer en hiver, c'est se condamner à souffrir de la faim en été.

Quoi qu'il en soit, voici ce que te dit ton Seigneur et tu ne doutes pas qu'il ne soit chrétien Pour toi je me suis fait pauvre quand j'étais riche. En effet « lorsqu'il possédait la nature divine, » et qu'y a-t-il de plus riche ? « il n'a pas cru que ce fut une usurpation de se faire égal à Dieu ; mais il s'est anéanti lui-même en prenant la nature d'esclave ; » s'il n'est rien de plus riche que la nature divine, qu'y a-t-il de plus pauvre que la nature d'esclave ? « Il s'est fait semblable aux hommes, a été reconnu pour homme à l'extérieur; il s'est humilié lui-même en obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix (2). » Ajoute : sur la croix il a eu soif et il a reçu à boire, non de la compassion mais de l'outrage, et en mourant cette divine source de vie a bu le vinaigre. Ne méprise pas, ne dédaigne pas, ne dis pas : Il s'ensuit donc que mon Dieu s'est fait homme, qu'il a été mis à mort, crucifié ? Oui, sans aucun doute, il a été crucifié. Ainsi sa pauvreté se recommande à toi. Il était loin de toi, par la pauvreté il s'en est rapproché. « Sois fidèle avec ton prochain dans sa pauvreté. »

Ici au moins le sens tic ces paroles n'est ni incertain ni obscur. Au nom de prochain substitue le nom de Christ et lis avec humilité; car un

 

1. Matt, X. 41, 42. —2. Philip. II, 6-8.               .

 

171

 

Christ humble demande une âme humble, il faut être humble pour s'élever jusqu'à sa hauteur. Lis donc avec humilité et comprends qu'il est ton prochain. Le Seigneur n'est-il pas proche de ceux qui ont brisé leur coeur, et ne peux-tu pas dire dans ta prière : « Je cherchais à lui plaire comme à mon prochain et à mon frère (1) ? »

Il n'y a donc à changer qu'un mot, le mot de prochain, ajouté par le prophète à celui de frère pour couvrir son langage du voile du mystère; et il convenait qu'il en fut ainsi pour exciter à à chercher avec plus de désir et pour faire découvrir avec un plaisir plus vif. Au nom de prochain substitue donc dans sa phrase le nom du Christ que ce mot de prochain désigne d'une manière prophétique ; et considère comme la pensée se dégage avec clarté, elle coule en quelque sorte de la source même de la vérité pour étancher ta soif. « Sois fidèle avec le Christ dans

 

1. Ps. XXXIV, 14.

 

sa pauvreté,afin de jouir aussi de son bonheur. » Que signifie: « Sois fidèle avec le Christ? » Le voici: pour toi le Christ s'est fait homme, il est né d'une vierge, il a été chargé d'outrages, flagellé, suspendu à la croix, percé d'une lance et enseveli : ah! ne méprise point ces humiliations, ne les regarde pas comme incroyables, et de cette manière tu seras fidèle avec ton prochain. Voilà en effet en quoi consiste sa pauvreté.

« Pour jouir aussi de ses biens » Accueille cette promesse ; elle est l'expression de sa volonté ; accueille-la; car c'est pour la réaliser qu'il est venu à toi dans la pauvreté ; accueille cette parole de Celui qui pour toi s'est fait pauvre, du Seigneur ton Dieu qui t'enrichit; vois comme tu jouiras de son bonheur, si tu lui demeures fidèle dans sa pauvreté. « Mon Père, dit-il, je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi (1). »

 

1. Jean, XVII, 24.

 

 

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