SERMON CXXVIII
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 Abbaye Saint Benoît de Port-Valais
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SERMON CXXVIII. LE COMBAT SPIRITUEL (1).

 

ANALYSE. — Quoique le témoignage que se rendait Jésus-Christ fût indubitablement vrai, il en appelait néanmoins au témoignage que lui avait rendu saint Jean, et c'était pour confondre les Juifs. Mais saint Jean, comme les martyrs, ne confessait Jésus-Christ que parce qu'il était animé de son Esprit, et c'est ce même Esprit qui doit nous aider dans la lutte que nous avons à soutenir contre nos convoitises. Pouvons-nous espérer de ne les ressentir pas? Non. Mais nous pouvons avec le Saint-Esprit ne pas nous y soumettre, ne pas y consentir. Nous pouvons même, si elles nous ont donné la mort, recouvrer la vie comme l'ont recouvrée les trois morts dont il est parlé spécialement dans l'Évangile.

 

1. Nous venons d'entendre quelques paroles du saint Evangile, et ce qui pourrait surpendre, c'est cette affirmation du Seigneur Jésus : « Si je rends témoignage de moi-même, mon

 

1. Jean, V, 31-35; Ciel. V, 14-17.

 

témoignage n'est pas vrai. » Comment pourrait n'être pas vrai le témoignage de la Vérité même? N'est-ce pas en effet le Sauveur qui a dit « Je suis la voie, la vérité et la vie (1)? » Et à qui

 

1. Jean, XIV, 6.

 

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faut-il s'en rapporter, s'il faut ne pas croire à la vérité? Il est évident que ne pas chercher à s'en rapporter à elle, c'est ne vouloir se fier qu'au mensonge. Mais en parlant ainsi le Christ entrait dans la pensée de ses interlocuteurs et le sens de ses paroles est celui-ci: « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n'est pas vrai, » dites-vous. Il savait sans doute combien était fondé le témoignage qu'il se rendait; mais pour éclairer ces hommes malades et incrédules qui ne le comprenaient pas, le Soleil recourait à un flambeau. Leurs yeux souillés ne pouvaient soutenir l'éclat du Soleil même.

2. Aussi en appela-t-il à Jean pour rendre témoignage à la vérité, et vous avez vu en quels termes: « Vous êtes allés vers Jean. C'était un flambeau ardent et luisant, et vous avez voulu vous réjouir un moment à sa lumière. » Ce flambeau était destiné à les couvrir de confusion et c'est ce qui était, depuis bien longtemps, prédit dans les Psaumes : « J’ai préparé un flambeau à mon Christ. » Quoi! un flambeau pour le Soleil? « Je couvrirai ses ennemis de confusion, tandis qu'éclatera sur lui la gloire de ma sainteté (1). » Aussi Jean lui-même servit-il à les humilier quand ils dirent au Seigneur: « En vertu de quel pouvoir fais-tu cela? » apprends-le nous. « Et vous, repartit le Seigneur, apprenez-moi à votre tour si le Baptême de Jean venait du ciel ou des hommes? » Mais ils se turent, car il se dirent aussitôt en eux-mêmes: « Si nous répondons qu'il vient des hommes, le peuple nous lapidera, car on tient Jean pour un prophète, Et si nous répondons qu'il vient du ciel, lui nous demandera : Pourquoi donc n'y avez-vous pas cru? » Jean en effet avait rendu témoignage au Christ. Pressés intérieurement par ces questions et pris dans leurs propres pièges, ils répondirent: « Nous n'en savons rien. » Quel autre cri pouvait s'échapper de ces ténèbres? Il faut, quand on ignore, répondre: Je ne sais pas; mais quand on sait et qu'on dit: Je l'ignore, on dépose contre soi-même. Ces Juifs connaissaient sûrement et la grandeur de Jean et l'origine céleste de son baptême; mais ils ne voulaient pas s'abandonner à Celui à qui Jean avait rendu témoignage. Aussi, dès qu'ils eurent répondu: « Nous n'en savons rien, » Jésus ajouta : « Je ne vous dirai pas non plus en vertu de quelle autorité je fais cela (2). » Ainsi furent-ils

 

1. Ps. CXXXI, 17,18. — 2. Luc, XX, 2-8.

 

confondus conformément à cette prédiction: «J'ai préparé un flambeau à mon Christ; je couvrirai ses ennemis de confusion. »

3. Les martyrs aussi ne sont-ils pas les témoins de Jésus-Christ et ne rendent-ils pas témoignage à la vérité ? Mais si nous examinons avec soin, nous verrons que quand ils rendent témoignage au Messie, c'est lui encore qui se rend témoignage, car il est dans ses martyrs pour les animer à déposer en faveur de la vérité. Ecoute l'un d'entre eux, c'est l'Apôtre Paul: « Voulez-vous donc, dit-il, éprouver Celui qui parle en moi, le Christ (1) ? » Ainsi donc, lorsque Jean rend témoignage au Christ, c'est le Christ, habitant en lui, qui se rend témoignage ; et peu importe celui qui parle en son honneur, que ce soin Pierre, que ce soit Paul, que ce soit les autres Apôtres ou Etienne, c'est toujours lui qui se rend témoignage, puisqu'il habite en eux tous. Il est Dieu sans eux; mais eux, que sont-ils sans lui!

4. Il est dit de lui: « Il est monté au ciel, il a       rendu la captivité captive, il a répandu ses dons sur les hommes (2). » Que signifie: « Il a rendu la captivité captive? » Il a vaincu la mort. Le diable lui a donné la mort, et par la mort du Christ le diable est devenu son captif. « Il est monté au ciel. » Connaissons-nous rien de plus élevé que le ciel? Eh bien! il y est monté visiblement et sous les yeux de ses disciples (3). Nous le savons, nous le croyons, nous le confessons. « Il a répandu ses dons sur les hommes. » Quels sont ces dons? L'Esprit-Saint. Quand il fait un tel don, que n'est-il pas lui-même? Combien donc est généreuse la 'miséricorde de Dieu! Il donne son égal, puisque le Don qu'il fait n'est rien moins que l'Esprit-Saint, et que le Père, le Fils et le Saint Esprit, ou la Trinité, ne forment qu'un seul Dieu. A son tour que nous a donné le Saint-Esprit! Ecoute l'Apôtre : « La divine charité, dit-il, a été répandue dans nos coeurs. » Comment donc, ô mendiant, la charité divine a-t-elle été répandue dans ton coeur? Comment cette charité peut-elle inonder le coeur humain? « Nous portons ce trésor dans des vases d'argile, » dit encore le même Apôtre. Pourquoi « dans des vases d'argile! « Afin de faire éclater la vertu de Dieu (4). » Et après avoir dit: « La divine charité a été répandue dans nos coeurs; » il ajoute immédiatement, pour empêcher chacun de s'attribuer le  bonheur d'aimer Dieu: « Par l'Esprit-Saint qui nous a été donné (5). » Ainsi, pour aimer Dieu,

 

1. II Cor. XIII, 3. — 2. Ps. LVII, 19 ; Ephés. IV, 8. — 3. Act. 1, 9. — 4. II Cor. IV, 7. — 5. Rom. V, 5.

 

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il faut que Dieu même demeure en toi et qu'il s'aime par toi, en d'autres termes, il faut qu'il t'excite à l'aimer, qu'il t'embrase, qu'il t'éclaire, qu'il t'anime.

5. Car il y a lutte dans notre corps même ; notre vie entière est un combat et le combat un danger; aussi nous ne pouvons vaincre que par la grâce de Celui qui nous aime (1). N'a-t-il pas été question de ce combat dans la lecture de l'Apôtre, qu'on vient de vous faire? « Toute la loi, dit-il, est comprise dans cette seule parole: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Or cet amour vient du Saint-Esprit.

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Vois d'abord si tu sais t'aimer toi-même; je te recommanderai ensuite d'aimer ton prochain comme tu t'aimes. Mais si tu ne sais t'aimer, ne duperas-tu pas ton prochain comme tu te dupes? En aimant le péché tu ne t'aimes pas; un psaume l'atteste: « Aimer l'iniquité, y est-il dit, c'est haïr son âme ? » Si tu hais ton âme, à quoi te sert d'aimer ton corps? Sans doute, avec cette haine de ton âme et cet amour de ton corps, ton corps ressuscitera, mais il ressuscitera pour le châtiment de ton âme. C'est donc l'âme qu'il faut aimer d'abord et soumettre à Dieu, afin que tout soit réglé dans la subordination, que l'âme obéisse à Dieu et que le corps obéisse à l'âme. Veux-tu que ton cops soit soumis à ton âme ? Que l'âme en toi se soumette à Dieu. Pour gouverner, tu as besoin d'être gouverné; car la lutte est terrible, et sans une haute direction, la défaite est certaine.

6. En quoi consiste cette lutte? « Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous consumiez les uns les autres. Or je dis: Marchez selon l'Esprit. » Ce sont les paroles de l'Apôtre, qu'on vient de lire dans son Epître. « Or je dis: Marchez selon l'Esprit et n'accomplissez pas les désirs de la chair. — Or je dis : Marchez selon l'Es« prit, et n'accomplissez pas les désirs de la chair; » l'Apôtre ne dit pas : N'ayez point, ne ressentez point ces désirs, mais : « Ne les accomplissez point. » Que veut-il faire entendre? Je l'exprimerai le mieux qu'il me sera possible, avec l'aide du Seigneur; appliquez-vous à comprendre, si vous marchez selon l'Esprit.

« Je dis donc: Marchez selon l'Esprit, et vous « n'accomplirez pas les désirs de la chair.» Poursuivons, car il est possible que nous rencontrions plus loin des mots qui jettent de la lumière

 

1. Rom. VIII, 37. — 2. Ps. X, 6.

 

sur ce qui est obscur ici. Ce n'est pas sans raison, ai-je observé, que l'Apôtre n'a pas voulu dire : N'ayez, ni: Ne ressentez, mais: « N'accomplissez point les désirs de la chair. » C'est en effet en cela que consiste la lutte qu'il nous faut soutenir, le combat où nous nous exerçons, si nous faisons partie de la milice de Dieu. Que rencontrons-nous donc plus loin? « Car la chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair. Ils sont effectivement opposés l'un à l'autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Si on ne comprend pas bien ces paroles, elles sont très-dangereuses à entendre. C'est dans la crainte qu'on ne se perde en les comprenant mal, que j'ai entrepris, avec le secours du ciel, de les expliquer à votre charité. Du reste nous avons du temps, nous avons commencé matin et l'heure du repas ne nous presse point ; d'ailleurs encore, c'est aujourd'hui, samedi, que nous voyons principalement ceux qui sont affamés de la divine parole. Ecoutez donc attentivement, je m'exprimerai aussi exactement que possible.

7. Pourquoi cette observation que je viens de faire : Ces paroles sont dangereuses à entendre si on ne les comprend pas bien? C'est que beaucoup, vaincus par les damnables passions de la chair, se laissent aller à toutes sortes de crimes et d'infamies et se roulent dans d'exécrables impuretés qu'on serait honteux de nommer, en se répétant ce qu'a dit l'Apôtre. Considère, se disent-ils, comment s'exprime l'Apôtre : « De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Je ne veux pas faire le mal, je suis forcé, violenté, vaincu, je fais ce que je ne veux pas, comme dit l'Apôtre (1); « car là chair convoite « contre l'esprit et l'esprit contre la chair, de sorte « que vous ne faites par ce que voulez. » Vous voyez combien ces paroles sont dangereuses à entendre, si on ne les comprend pas bien. Vous voyez combien un pasteur est obligé de découvrir les fontaines couvertes et d'étancher la soif de ses brebis avec une eau purs et inoffensive.

8. Ne te laisse donc pas vaincre en combattant. Voyez à quelle lutte, à quelle mêlée nous sommes appelés, elle est à l'intérieur même, au dedans de chacun de nous. « La chair convoite contre l'esprit. » — Si l'esprit à son tour ne convoite pas contre la chair, voilà l'adultère commis. Mais si l'esprit convoite contre la chair, c'est la lutte, c'est le combat, ce n'est pas la défaite. Quand la chair convoite contre l'esprit, » c'est qu'on

 

1. Rom. VII, 19.

 

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est porté à l'impureté, on y est porté parla délectation. Quand de son côté « l'esprit, convoite  contre la chair, » c'est que la chasteté fait aussi sentir ses charmes. Ah! que l'esprit triomphé alors de la chair, ou qu'au moins il ne se laisse pas dompter par elle.

L'impureté cherche les ténèbres; la pureté se produit au grand jour. Vis comme tu aimes à être connu; oui, même loin du regard des hommes; ne fais que ce que tu veux qu'ils sachent, car celui qui t'a créé, te voit même dans l'obscurité. Pourquoi ces éloges publics décernés à la chasteté, tandis que les adultères eux-mêmes ne louent pas l'adultère? C'est que celui qui accomplit la vérité vient à la lumière (1).

Mais on se sent attiré au plaisir honteux; qu'on ne consente pas, qu'on résiste, qu'on repousse. N'en as-tu pas le moyen, puisque ton Dieu même est en toi, puisque tu as reçu l'Esprit qui est la source de tout bien? Il est vrai que malgré sa présence la chair ne laisse pas que de convoiter contre l'esprit en lui insinuant des pensées perverses et en lui faisant sentir des attraits trop naturels. Qu'on suive alors la recommandation de l'Apôtre : « que le péché, dit-il, ne règne pas dans votre corps mortel (2). » Il ne dit pas: Que le péché ne soit pas; car il y est et on donne à ce désordre le nom de péché parce qu'on le doit au péché. Dans le paradis, la chair ne convoitait pas contre l'esprit, il n'y avait pas de combat, mais une paix sans trouble; c'est seulement après la transgression, après que l'homme eut refusé d'obéir à Dieu et fut abandonné à lui-même, sans toutefois pouvoir être son maître, puisqu'il fut asservi à celui qui l'avait séduit, que la chair commença à convoiter contre l'esprit. C'est surtout dans les bons que se fait sentir cette convoitise; elle est sans objet dans les méchants, attendu que sans l’Esprit, il ne saurait y avoir convoitise contre l'Esprit.

9. Ne t'imagine pas en effet que dans ces mots « La chair convoite contre l'Esprit, et l'Esprit contre la chair, » il s'agisse uniquement de l'esprit de l'homme. C'est l'Esprit de Dieu qui combat en toi, contre ce qu'il y a en toi d'opposé à toi-même. Tu n'as point voulu rester attaché au Seigneur; tu es tombé, tu t'es brisé comme un vase qui s'échappe de ta main et qui vole en éclats. Et c'est parce que tu t'es brisé, que tu es ainsi ennemi de toi-même, opposé à toi-même. Détruis cette opposition et tu te répareras.

 

1. Jean, III, 21. — 2. Rom. VI, l2.

 

Pour te faire connaître que cette réparation doit être l'oeuvre de l'Esprit-Saint, le même Apôtre dit ailleurs: « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez; mais si vous mortifiez par l'Esprit les œuvres de la chair, vous vivrez. » Aces mots l'homme s'élève déjà, il se croit capable de mortifier par son propre esprit les oeuvres de la chair. « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez; mais si vous mortifiez par l'Esprit les oeuvres de la chair, vous vivrez. » Faites-nous donc connaître, ô Apôtre, de quel esprit il est ici question. Chacun en effet a un esprit naturel qui le caractérise, et c'est cet esprit qui fait l'homme, car l'homme est composé d'un corps et d'un esprit. C'est de cet esprit qu'il est dit: « Nul ne sait ce qui est dans l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui (1).» Ainsi l'homme a un esprit qui fait partie de sa nature, et c'est vous néanmoins qui dites: « Si vous mortifiez par l'Esprit les œuvres de la « chair, vous vivrez. » Quel est cet esprit? Est-ce mon esprit ou l'Esprit de Dieu ? Je vous écoute et je n'en reste pas moins en suspens. Que dis-je? Le mot esprit ne s'applique pas seulement à l'homme, il se dit aussi des animaux dans l'Ecriture même; on y lit que le déluge fit périr toute chair ayant en elle l'esprit de vie (2). Il est donc bien vrai que cette expression est pour les animaux aussi bien que pour l'homme. Quelquefois aussi le vent est désigné sous ce même nom d'esprit. Ainsi on lit : dans un psaume: « Feu, grêle, neige, glace, esprit des tempêtes (3). » Le mot d'esprit ayant donc tant d'acceptions différentes, dans quel sens, ô Apôtre, avez-vous dit que l'esprit doit mortifier les œuvres de la chair? S'agit-il ici de mon esprit ou de l'Esprit de Dieu?

Ecoute ce qui sait et tu comprendras, car l'Apôtre ajoute des paroles qui tranchent la question. Après ces mots: « Si vous mortifiez par l'Esprit les œuvres de la chair, vous vivrez; » il écrit immédiatement: « Car ceux qui sont animés par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils  de Dieu  (4). » Pour agir tu as besoin d'être animé, et tu agis bien si tu es animé d'un bon esprit. Si donc tu ne comprenais pas de quel esprit il était question dans ces mots: « En mortifiant par l'Esprit les oeuvres de la chair, vous vivrez; » vois ton Maître, reconnais ton Rédempteur dans les paroles qui suivent. C'est ton Rédempteur effectivement qui t'a donné son Esprit, afin que par lui tu mortifies les oeuvres de la chair. « Car

 

1. II Cor. II, 11. — 2. Gen. VI, 17; VII, 22. — 3. Ps. CXLVIII, 8. — 4. Rom. VIII, 13,14.

 

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tous ceux qui sont, animés de l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. » Ils ne sont pas fils de Dieu, s'ils ne sont animés de son Esprit. Mais s'ils sont animés de son Esprit, ils combattent, parce qu’ils ont un puissant auxiliaire. Ah! Dieu ne se contente pas de les contempler, comme le peuple contemple les gladiateurs. Le peuple peut sans doute applaudir un gladiateur, il ne saurait le tirer du danger.

10. Tel est donc le sens qu'on doit donner encore à ces paroles : « La chair convoite contre l'Esprit, et l'Esprit contre la chair. » Mais que signifient celles-ci: « De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez? » C'est ici qu'il y a du danger à comprendre mal et qu'un interprète, quel qu'il soit, doit s'efforcer de remplir     son devoir.

« De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Ecoutez, ô saints combattants, car je m'adresse aux lutteurs. Ceux qui luttent me comprennent: je ne suis pas compris de ceux qui ne luttent pas. Que dis-je? ceux qui luttent ne se contentent pas de saisir ma pensée, ils la devancent: Que voudrait un homme chaste? Qu'il ne s'élevât dans ses membres absolument aucune impression contraire à la chasteté. Il voudrait la paix; mais il ne l'a pas encore. Pour ne plus ressentir absolument aucune impression mauvaise, il faut arriver à l'heureux séjour où nous n'avons plus d'ennemi à combattre, ni de victoire à espérer, puisqu'on y triomphe de l'ennemi vaincu. Apprends de l'Apôtre même en quoi consistera la victoire: « Il faut que ce corps corruptible revête l'incorruptibilité, et que ce corps martel revête l'immortalité. Et quand ce corps corruptible aura revêtu l'incorruptibilité, et que ce corps mortel aura revêtu l'immortalité, alors sera accomplie cette parole de l'Ecriture : « La mort a été abîmée dans sa victoire. » Ecoute encore les chants de triomphe : « O mort, où sont tes armes? O mort, où est ton aiguillon (1) ? » Tu nous as frappés, tu nous as blessés; tu nous as abattus; mais mon Créateur même s'est laissé blesser pour moi. O mort, ô mort, oui, mon Créateur même s'est laissé blesser pour moi, et par sa mort il t'a vaincue; et maintenant nous ne cesserons de répéter en triomphant : « O mort, où sont tes armes ? O mort, où est ton aiguillon? »

11. Mais aujourd'hui, que la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair, la mort

 

1. I Cor. XV, 53-55.

 

lutte et nous ne faisons pas ce que nous voulons. Pourquoi? Parce que nous voudrions ne ressentir aucun mouvement de concupiscence, et nous ne saurions y parvenir. Bon gré, mal gré, ces mouvements sont en nous; bon gré, mal gré, ils s'éveillent, ils flattent, ils s'étendent, ils cherchent à dominer. On les comprime mais on ne les éteint pas, tant que « la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair. » Se feront-ils sentir encore après la mort? A Dieu ne plaise! Puisque tu te dépouilles alors de la chair, comment pourrais-tu en conserver les convoitises ? Combats bien et tu jouiras du repos, d'un repos qui sera ta couronne et non ta condamnation ; car tu parviendras aussi à régner.

Voilà, mes frères, voilà ce qu'il en est durant la vie présente. Nous-mêmes, qui avons blanchi dans ces combats, nous sentons contre nous des ennemis moins puissants, nous les sentons toutefois. On dirait que l'âge même les a fatigués ; mais tout fatigués qu'ils soient, ils ne cessent de troubler comme ils peuvent le repos de notre vieillesse. La guerre est plus ardente pour les jeunes gens ; nous la connaissons, nous y avons passé.

C'est donc ainsi que «la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair; de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Que voulez-vous en effet, ô saints, ô généreux combattants, ô vaillants guerriers du Christ? Que voulez-vous ? N'éprouver absolument aucune convoitise déréglée. Hélas ! vous ne le pouvez. Faites donc la guerre et espérez la victoire; nous sommes ait temps des combats. « La chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair; de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez; » et qu'il y a encore en vous des convoitises charnelles.

12. Mais faites tout ce que vous pouvez; faites ce que recommande l'Apôtre dans cet autre passage que j'avais commencé de rappeler « Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel, pour vous faire obéir à ses convoitises. » Je ne le veux pas; des désirs coupables s'élèveront, mais n'y cède pas. Arme-toi, prends en mais les engins de guerre. Les commandements divins seront tes armes. Si tu m'écoutes comme il convient, tu t'appuyeras même sur ce que je dis. « Que le péché le règne pas dans votre corps mortel. » En effet, tant que vous êtes chargés de cette, chair mortelle, le péché lutte contre vous; mais « qu'il ne règne pas. » — « Qu'il ne règne pas, » qu'est-ce à dire? « Qu'il

 

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ne vous fasse pas céder à ses penchants coupables. » Commencez-vous à y céder ? Il règne. Et qu'est-ce qu'y céder, sinon « faire servir vos « membres au péché, comme des instruments d'iniquité (1)? »

Est-il rien de plus clair que ce langage? Pourquoi demander encore que je l'explique ? Fais ce que tu viens d'entendre. Ne consacre pas tes membres au péché, comme des instruments d'iniquité. Dieu t'a donné, par son Esprit, le pouvoir de réprimer tes sens. La passion s'élève-t-elle? Retiens tes sens; que lui servira alors de s'être élevée ? Retiens tes sens; garde-toi de faire servir tes membres au péché, comme des instruments d'iniquité; n'arme pas ton ennemi contre toi. Retiens tes pieds, pour qu'ils ne courent pas au mal; et si la convoitise se fait sentir, retiens tes sens; éloigne tes mains de toute action mauvaise, tes yeux de tout mauvais regard, tes oreilles de toute attention volontaire aux paroles impures ; règle enfin tout ton corps, tous tes sens, les sens plus nobles comme ceux qui le sont moins. Que fait la passion? Elle peut attaquer, elle ne saurait vaincre; et à force d'attaquer sans résultat, elle apprend à rester calme.

13. Un retour sur les paroles de l'Apôtre où nous avons vu de l'obscurité, et nous constaterons maintenant combien elles sont claires. J'avais fait remarquer que l'Apôtre n'a pas dit Marchez selon l'Esprit et vous n'aurez point de convoitises charnelles, car il est nécessaire que nous en ayons. Pourquoi encore n'a-t-il pas dit Ne les ressentez point ? C'est que nous les ressentons. Les ressentir, c'est les produire; mais comme s'exprime le même Apôtre : « Ce n'est pas moi qui fais cela, c'est le péché qui demeure en moi (2). » Que dois-tu donc éviter? Assurément d'exécuter les désirs coupables. Une passion déréglée s'élève en toi, elle s'élève, elle te parle; ne l'écoute pas. Elle s'enflamme, loin de s'éteindre, et tu voudrais qu'elle ne s'enflammât point. Oublies-tu ces mots — « De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez? » Refuse-lui tout concours, qu'elle brûle sans trouver d'aliments, elle s'éteindra. En toi donc se font sentir les convoitises, n'en disconviens pas. Aussi l'Apôtre a-t-il dit : « N'accomplissez pas leurs désirs. » Ne les accomplis pas; c'est les accomplir, par exemple, que d'être déterminé à commettre un adultère, quand on ne s'abstient

 

1. Rom. VI, 12,13. — 2. Rom. VII, 17.

 

que pour n'en avoir pas trouvé l'occasion, le moment  favorable, que pour avoir rencontré un obstacle dans la chasteté de la personne qu'on avait en vue. Cette personne alors reste chaste, et toi, tu es coupable d'adultère. Pourquoi? Parce que tuas accompli tes désirs mauvais. Comment les as-tu accomplis? En consentant dans ton âme à commettre l'adultère. Alors donc, mais que le ciel t'épargne ce malheur! sans avoir fait l'acte même tues tombé sous les coups de la mort.

14. C'est dans la maison même que le Christ ressuscita la fille défunte d'un Chef de synagogue (1). Cette fille était encore dans la maison de son père, on ne l'avait pas enlevée encore. Tel est l'homme qui a consenti dans son coeur à commettre le crime; il est mort, mais il n'est pas emporté. Le pécheur est-il allé jusqu'à faire servir aux crimes les membres de son corps? il est sorti de sa demeure. Mais le Seigneur n'a-t-il pas ressuscité aussi le jeune fils de la veuve, au moment où on l'emportait en dehors des portes de la ville? J'ose donc dire: Si après avoir pris dans ton coeur une résolution funeste, tu te repens de ce que tu viens de faire, tu es guéri avant de commettre l'acte même. Oui, si tu fais pénitence pour avoir consenti à une action mauvaise, et criminelle, ignominieuse et inexcusable, tu ressuscites intérieurement comme intérieurement tu étais mort. N'es-tu pas allé jusqu'à consommer le crime? On t'emporte loin de ta demeure; mais aussi tu as quelqu'un pour te dire : « Jeune homme, je te le commande, lève-toi (2). » Oui, lors même que le crime serait commis, repens-toi, reviens au plus vite sur, tes pas, ne descends pas dans le tombeau.

Cependant, ici encore je trouve une troisième, espèce de mort, un mort qui a été conduit jusqu'au tombeau. Déjà pèse sur lui le poids de la coutume, il est accablé sous un monceau de terre; car il s'est livré longtemps aux désordres et il est enchaîné par des habitudes tyranniques. A lui encore s'adresse le Christ, il crie : « Lazare, viens dehors. » Avec ses habitudes perverses cet homme exhale déjà une odeur infecte. Aussi Jésus crie-t-il, il crie même d'une voix forte (3). Et à ce cri puissant ces pécheurs, quoique morts, quoiqu'ensevelis, quoique sentant déjà mauvais, ressusciteront aussi. Ils ressusciteront; de quel mort faut-il désespérer avec un tel Rédempteur? Tournons-nous etc.

 

1. Marc, V, 22-42. — 2. Luc, VII, 11-15. — 3. Jean, XI, 14-44.

 

 

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