Elysées 2012

Une autre histoire commence

Avec 51,62%, Hollande est donc élu comme prévisible mais avec un petit score - presque le même que Mitterrand en 81 (51,76) . On notera tout de même les 5,8% de votants qui mirent un bulletin blanc ou nul où il faut voir la patte du vote Le Pen.

C'est bien le premier enseignement de ce vote : le vote d'extrême-droite n'a pas fini de perturber la vie politique française et, de ce point de vue, l'offensive Mélenchon est un échec - en tout cas pas une réussite. On le verra, assurément, dans les semaines qui viennent et aux législatives dont la campagne va commencer très rapidement.

Le second enseignement demeure que le vote Bayrou en faveur de Hollande n'a pas véritablement modifié la donne par rapport aux pronostics. Il y a tout lieu de penser qu'un tiers de ses électeurs aura glissé un bulletin Hollande, comme annoncé depuis plus d'un mois, ... mais pas plus. L'électorat du centre demeure évidemment majoritairement attaché à son appartenance à droite. Bayrou cette année n'aurait été ni le troisième homme ni le faiseur de roi : son pouvoir d'influence - ou de nuisance pour certains - se ramène à peu ; la place qu'il pourra tenir dans la nouvelle donne parlementaire est plus qu'incertaine. Cela illustre encore une fois que dans la machine à bipolarisation de la Ve, l'homme seul face au peuple, est une sinistre duperie : seuls ont une chance d'accéder à la présidence ceux qui auront été appuyés par un gros parti, une grosse machine électorale.

Le troisième enseignement - mais le paysage politique restera inachevé jusqu'aux législatives concerne une gauche certes victorieuse mais pas triomphante. Elle a des marges de manoeuvre mais peu et même si l'émotion suscitée est évidente elle demeure bien sage si on la compare au rêve de 81. On verra vite à son habileté ou maladresse, les chemins que Hollande tracera demain pour se frayer d'entre la crise, l'opposition et l'impératif libéral européen, l'étroite sinuosité où laisser sa marque.

En tout cas, et c'est le quatrième enseignement, la victoire de Hollande inscrit désormais l'alternance dans la normalité. Mitterrand n'est plus l'exception qui confirme la règle. La gauche est partie pour un quatrième quinquennat en 36 ans (81/86; 88/93; 97/2002) : on est loin des longues périodes d'opposition que connut la gauche à partir de 58 ou des si fragiles présences au pouvoir de 36 ; 54 et 56. Qu'il y eut un effet sortez les sortants classique en période de crise est vraisemblable, on n'est en tout cas plus dans la dramaturgie pathétique de la menace de 81 : la gauche ne fait plus peur ; elle ne fait pas non plus envie ! Démocratie apaisée ? normale en tout cas et on devrait le voir lors de la passation de pouvoir la semaine prochaine ; on l'a déjà observé dimanche dans le discours digne de Sarkozy dimanche soir.

Cinquième enseignement qui concerne Sarkozy cette fois : sa défaite a quand même un côté prévisible ; attendu. Les sondages ne s'y sont pas trompés, dont aucun depuis un an, ne l'avait donné vainqueur. L'étroitesse de sa défaite laisse à penser que le coup était sans doute jouable et que le référendum anti-Sarko pour réel qu'il fut, était peut-être contournable. Encore eût-il fallu s'y prendre autrement. Sa campagne d'entre deux tours va laisser des traces. Il laisse une droite faible et divisée qui pèse moins qu'en 2007 ; qui est menacée par un FN à 18% qu'il n'aura donc réussi que très provisoirement et très superficiellement réussi à assécher alors ; une droite rongée en partie par la tentation d'une alliance avec le FN qui risque de la disqualifier pour un moment. De ce point de vue le bilan politique du quinquennat est mauvais pour la droite qui ne peut, dans l'immédiat, que tenter de limiter les dégâts et, à long terme, que miser sur les erreurs de la gauche.

Mais réforme constitutionnelle oblige, et sauf accident de parcours, c'est parti pour cinq ans sans risque de cohabitation.

La présidentielle est bien la seule véritable opportunité de rebattre les cartes.

Les commentaires, les analyses qui pourraient être menés désormais sont deux d'une autre histoire : de la nomination du premier gouvernement à celle du second après les législatives, des premières mesures symboliques ou non aux premières erreurs, ce seront ceux de la gauche dans l'exercice du pouvoir.

Les premiers actes seront fondateurs qui imprimeront l'image présidentielle que Hollande voudra imprimer et l'on sait combien ces premiers moments peuvent être importants et parfois dévastateurs. La logique voudrait qu'il n'y eût pas de grande cérémonie type Panthéon comme en 81 qui, avec le recul, ne manquait pas de boursouflure mais marquait la volonté de marquer l'histoire : y célébrer Jaurès Schoelcher et Moulin était une manière bien mitterrandienne de poser ses pas dans les traces de l'histoire - et d'abord celle humaniste de la gauche. Je ne serais pas surpris qu'Hollande le fît demain en rendant hommage à Mitterrand à qui, sa campagne durant, il ne cessa de faire référence, qu'il ne cessa d'imiter.

Ce sera l'histoire des symboliques du pouvoir et il lui faudra bien trouver celles de la normalité qu'il déclare vouloir sinon incarner en tout cas imprimer.

La ligne a été désormais franchie : on n'exerce pas le pouvoir avec la logique avec quoi on l'aura conquis. La page est tournée ; une autre va s'écrire que nous scruterons ailleurs.

On peut en tout cas, à comparer les déclarations de soir d'élections, deviner quand même la grande différence de style. Mitterrand avait fait une courte déclaration d'à peine trois minutes.

Hollande quant à lui me sembla rater son affaire à Tulle par un discours bien trop long qui ressemblait encore trop à un argumentaire de meeting, qui marquait sans doute l'émotion et l'attachement presque charnel, affectif en tout cas à la Correze qu'il parut ne pas vouloir quitter mais ratait la solennité d'une transfiguration qui manifestement n'avait pas encore eu lieu ; un peu moins à la Bastille. Peut-être n'est-il pas encore tout à fait entré dans l'habit à moins qu'il n'ait tenu à bien séparer le temps de l'émotion au soir des résultats du temps du pouvoir.

A vérifier la semaine prochaine.