palimpsesteμεταφυσικά
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Etre libre <-> servir

 

Nous avions supposé, en commençant cette réflexion qu'il était possible, à l'intersection de la pensée grecque et de la théologie de penser l'être tout simplement parce qu'il demeurait, naive ou savante, la question qui finissait un jour ou l'autre par tarauder la conscience de chacun.

De l'ordre constamment en train de se constituer et ne manquant jamais de se défaire au lien qui constitue à proprement parler l'être en tant que processus, nous avons sinon défini au moins esquissé ce rapport au monde qui constitue l'humanité de l'homme. Mais, même si nous avons repéré que ce lien engageait de haute volée autant la connaissance que l'autre et affirmé ainsi qu'aimer et transmettre au delà des réalités individuelles ou des contraintes sociales constituaient des actes métaphysiques en tant que tels, nous n'avons repéré mais pas vraiment défini encore ce qu'était ce lien.

Or, le lien dit d'abord la dépendance et que celle-ci soit volontaire ou non ne change rien à l'apparente contradiction qui demeure entre l'aspiration à la liberté et ce lien. Est-ce d'ailleurs tout à fait un hasard si, très vite - les règles de St Benoît en témoignent - le lien sera fait entre plénitude de la vie monacale et obéissance, mais aussi entre obéissance et humilité ? Comme si l'humanité de l'homme consistait à retourner (à) la terre dont il porte le nom ou que le comble de l'accomplissement de soi, la vertu suprême qui conditionnât toutes les autres consistât précisément dans le fait sinon de se nier en tout cas de se rapetasser à l'échelon ultime de l'être.

Curieuse disposition que celle qui se présente ainsi comme habileté du funambule ou paradoxes piégeux de l'illusionniste : il n'est pas un texte, que ce soit de philosophie politique - on songe ici évidemment à Rousseau mais aussi à Spinoza, mais encore à Leibniz ou même à Hobbes ou de théologie - St Thomas d'Aquin - qui n'utilise liberté pour obéissance ni ne mette en avant le péril qui menace tout un chacun à tout moment de l'hybris que constituerait le fait de se prendre pour la mesure de toute chose ! Mais l'illusionniste conscre son habileté à escamoter le truc, le subterfuge, que le public ne saurait voir et ce dernier s'amuse de ne pas déceler ce qu'il sait pourtant exister. Il sait qu'il ne sait pas. Il n'est pas dans l'illusion ; seulement dans l'ignorance.

Car c'est bien une idée semblable qui anime la pensée grecque et l'aire judéo-chrétienne : en dépit qu'il en ait, l'homme n'est que peu. Trop faible et à l'entendement tellement limité que les sceptiques en viendront à considérer que toute connaissance est impossible ; trop profondément ancré dans la nécessité - Ἀνάγκη - pour ne pas devoir s'y plier, s'y soumettre faute d'être écrasé ou sujets aux errances de l'hybris. Créature, à l'image de Dieu sans doute, recelant pour cette raison quelque chose de l'ultime ressac de la puissance créatrice, cependant totalement dépendant tant en son origine que dans sa perpétuation, de la volonté créatrice et donc appelé à s'y soumettre. A bien y regarder d'ailleurs, la faute originelle, indépendamment de son objet, réside bien dans la désobéissance au commandement donné.

Car, comme par la désobéissance d'un seul homme beaucoup ont été rendus pécheurs, de même par l'obéissance d'un seul beaucoup seront rendus justes.
(Rm, 5, 19)

Le texte grec dit ὑπακοῆς - prêter attention, écouter en baissant la tête, répondre à une invitation ou une sommation mais aussi comprendre à demi-mot - ce qui correspond plutôt bien au sens de obéir qui dit écouter. Toute l'histoire d'entre l'homme et dieu :

Voici sans doute un des traits les plus remarquables de l'approche classique de la question de l'être : à partir du XIXe surtout et ceci serait d'une évidence criante avec Hegel puis Marx, on aura eu tendance à appréhender les rapports sociaux sous l'aune du rapport de force, économique surtout, et il ne sera plus un désordre, un dysfonctionnement qui ne sera entendu comme le fruit de l'exploitation, consubstantielle du mode de production, d'une classe sur une autre. Mais l'approche judéo-chrétienne, quant à elle, s'adosse plutôt sur des rapports discursifs où la crise, la faute, le désordre sonr expliqués à partir de l'échec de la relation discursive : on ne se comprend pas ; on ne s'écoute pas avec la conséquence attendue que la seule voie réside dans la parole renouvelée, la connaissance approfondie - le commandement répété, pour Dieu ; la conversion et la prière, pour l'homme. Cette approche qui sera celle de toute la pensée occidentale jusqu'au XVIIIe inclus, à laquelle M Foucault tentera de rajouter une troisième modalité - les relations de pouvoirs (2)- fait quand même glisser du côté du λόγος un lien qui s'entendait du côté de l'être, ce qui ne saurait être anodin, ou, plus exactement, fait glisser la résolution du lien en crise, du côté de la contemplation, de l'écoute et donc de l'obéissance.

C'est donc bien ce lien qu'il faut désormais interroger, en toutes les ambivlences qu'il a déjà laissé transparaître : que ce soit le couple obéir/être libre ; aimer/craindre ou encore servir/dominer. Sans doute pourrait-on croire que nous revenions sur des items déjà abordés mais assurément nous les envisagerons d'un autre point de vue, non plus du côté de l'être en son rapport avec la pensée mais du point de vue de l'homme dans son rapport à l'autre.

Il en va ici comme de la morale :nous ne nous posons des questions sur la valeur de nos actes que parce que, à la fois nous sommes incertains de ce qu'est le bien, mais faillibles ; nous n'aspirons tant à la liberté que parce qu'elle nous échappe...

Confidences

 


1) St Thomas Somme théologique q. 104, a. 3, ad 1um :

L’obéissance procède de la déférence qui rend culte et honneur au supérieur. Et quant à cela, elle est subordonnée à des vertus diverses bien que, considérée en elle-même, en tant qu’elle s’attache à la raison de précepte, elle soit une seule vertu spéciale. Donc, en tant qu’elle procède de la déférence envers les supérieurs, elle est comme subordonnée au respect. En tant qu’elle procède de la déférence envers les parents, à la piété. En tant qu’elle procède de la déférence envers Dieu, à la religion, et elle ressortit à la dévotion, acte principal de la vertu de religion. Aussi, de ce point de vue, est-il plus louable d’obéir à Dieu que de lui offrir un sacrifice.

2) extrait de Radioscopie (J. Chancel) avec M Foucault diffusée le 10 mars 1975 à l'occasion de la parution de Surveiller et Punir

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