Il y a 100 ans ....
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26 avril : 1e tour des législatives

Car c'est bien effectivement, comme attendu, d'une victoire des gauches, mais notamment du parti socialiste, unifié depuis moins de dix ans, dont il s'agit. Confirmée au second tour du 10 mai (déjà ! ) cette victoire se traduit par un gain de 27 sièges pour la SFIO qui devient ainsi avec 102 sièges le second groupe parlementaire à la chambre après les radicaux.

Poincaré tentera bien d'appeler A Ribot pour former un gouvernement qui ne lui soit pas trop hostile mais il sera renversé au bout de 2 jours : il lui faudra bien se résoudre à appeler Viviani . Ce dernier reste un socialiste acceptable pour Poincaré. Depuis l'expérience Millerand, la position du parti est claire : ne pas participer à un gouvernement bourgeois. Quand il accepte en 1906 d'entrer dans le premier gouvernement Clemenceau comme ministre du Travail, il quitte la toute jeune SFIO qu'il avait pourtant contribué à fonder à côté de Jaurès. Socialiste indépendant donc.

Victoire à la Pyrrhus donc tant il est vrai que la gauche n'arrive jamais au pouvoir que dans des conditions exécrables et celles-ci le seront bien plus encore qu'on ne l'imagina en ce printemps 14. L'ironie de l'histoire voudra que ce fût ainsi aux socialistes de mener une guerre et de promouvoir l'Union sacrée eux qui prônèrent plus que tous, pacifisme et lutte des classes. Que même un J Guesde pourtant marxiste farouchement dogmatique finisse par rejoindre le gouvernement pour mieux symboliser cette union sacrée en dit long sur ces folles journées d'Août 14.

Il ne sera permis à personne de se dérober ou d'équivoquer écrit joliment Jaurès dans son éditorial ! sans doute ne crut-il pas si bien dire !

Ils seront bien obligés d'assumer à bras le corps une guerre qu'ils n'auront pas voulue et de s'allier à des Barthou, Briand et autre Poincaré qui furent pourtant pour ces élections leurs adversaires privilégiés et leurs ennemis jurés.

Équivoques sans doute que ces appellations politiques qui fait presque tous se ranger à gauche sans l'être toujours et socialiste sans même y ressembler.

Jaurès, en dépit de sa propension à chercher la synthèse et la conciliation aura en tout cas permis - quitte à se fâcher avec ses anciens amis - en unissant la gauche socialiste de promouvoir une position claire politiquement - c'est de ceci dont il parle. N'eût été la guerre, il n'y aurait pas eu de ministre issu de la SFIO - mais tout réside dans cette condition qui ne se réalisera pas. Jaurès qui tenait ferme le cap, n'en considérait pas moins - et l'accession au pouvoir des radicaux après l'affaire Dreyfus le lui confirmera - qu'il était sans doute possible de faire un bout de chemin avec la gauche radicale en exerçant une pression politique forte sur elle - qui n'avait de socialiste que le nom et sur qui il ne se faisait aucune illusion - et l'amener à procéder à des réformes sociales nécessaires qui sans relever en tant que telles d'un socialisme pur et dur n'en étaient pas moins un indispensable préambule.

Cette position, qui mettra constamment Jaurès en porte-à-faux vis à vis de Guesde mais aussi des socialistes allemands - non seulement R Luxemburg mais aussi Bebel - où certains virent de la faiblesse, d'autres un indécrottable louvoiement, tranche singulièrement en tout cas avec l'opposition intransigeante à la guerre laquelle fera dans la dernière année de sa vie l'objet de presque tous ses discours.

Je ne puis songer sans une douloureuse mélancolie à cette funeste fatalité qui conduit presque toujours les socialistes à se désavouer face à l'obstacle. Il est vrai que rien ne leur fut jamais épargné chaque fois qu'ils parvinrent au pouvoir ; il est faux, comme se complut à le dire et s'y affecte encore aujourd'hui, que le socialisme serait une pure utopie qui appliquée mènerait tout droit à la catastrophe.

Sans doute le grand acteur de l'histoire sait-il concéder ici et là aux contraintes du réel sans pourtant jamais rien céder à l'horizon qu'il poursuit ; assurément la veulerie sacrifie-t-elle le plus souvent à ce que Mendès France appelait la politique du chien crevé au fil de l'eau ; mais ce n'est pas de cela dont il s'agit ici.

Ceux-là n'étaient pas veules : tout juste écrasés par une réalité plus déterminée qu'eux !

 

Mélancolie, oui, qui me fait m'attarder sur ces jours d'avant la catastrophe, parce que c'était alors un temps où l'on pouvait encore espérer sans craindre de paraître naïf ou idiot ; où clamer la justice au nom de la force morale avait un sens qui ne se soumettait pas avec une aussi lâche complaisance au verdict de l'impossible. Depuis ... trop d'horreurs et d'erreurs ! Le rêve russe s'est effondré tragiquement dans la tyrannie concentrationnaire d'abord, dans l'oligarchie bureaucratique ensuite. Et quand bien même de belles consciences s'élevèrent parfois, je cherche qui, depuis Blum, mérite qu'on l'honore comme on peut le faire cent ans après pour Jaurès !

Je n'arrive pas à me résoudre, non vraiment pas, à ce que le rêve systématiquement s'épuise en cauchemar ; je n'accepte pas, non vraiment je ne le puis, que la justice et l'égalité soient à ranger au magasin des doux accessoires d'utopistes surannés et qu'il faille enfin se plier à la froide et implacable logique des marchés ; je récuse, décidément, ce qui abaisse l'homme.

Fortuite vraiment cette coïncidence qui voulut que cette victoire s'achevât à Verdun ? celle de 36 à Auschwitz ? et que les plus récentes se fussent consumées avec une vitesse effarante dans ces guerres modernes que sont les crises financières !

Je crois comprendre enfin ce qui fait un homme être de gauche : y croire, encore et toujours et ne s'en laisser compter ni par les offenses, ni par les échecs ; ni par les coups du sort ni par les sentencieuses certitudes. C'est rester abonné à l'espoir par entêtement comme on tient à son petit café du matin ...