La guerre (1914-1918)....
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Figure de mort III

Cette photo datant de mars 18 d'une femme qui fuyant les zones de combats se retrouve à Arras avec le seul bien qui lui reste ...

Elle est assise là, seule, le regard pointant sans doute l'indiscrétion du photographe ; la rue, presque déserte laisse filer une voiture et, sur le trottoir d'en face, entrevoir une charrette à cheval ; un couple au loin semblant deviser et, plus près un policier, à moins que ce soit un soldat fixant la scène.

Rien de bien singulier hormis cette vache que la femme retient par une corde bien lâche. Elle est toute de noir vêtue - porte-t-elle le deuil ou est-ce la vêture qui sied à une femme de la campagne ? Est-ce son mari qu'elle a perdu ? un de ses fils ?

Elle est seule en tout cas, épuisée sans doute par une longue marche, voûtée sur ses malheurs, avec pour seul compagne ... cet insolite bovin !

Désolation c'est le premier mot qui vient ici à l'esprit qui renvoie si curieusement à la fois à solitude et à la dévastation d'une contrée qu'on vient de saccager. Les images emplissent nos mémoires de ces réfugiés fuyant, dès les premiers jours d'août la Belgique et les départements du Nord sous la poussée allemande, images qui font si puissamment écho à celles de l'exode de 1940 où charrettes encombrées de matelas et d'ustensiles divers poussées par les femmes et des enfants épuisés le disputaient aux vélos et aux quelques voitures surchargées souvent, parfois abandonnées par manque d'essence, en une longue file presque immobile à force d'obstruer la route.

Fuite et peur sont affaire de foules, de masses aux mouvements si terriblement prévisibles et si rarement cohérents.

Mais ici, c'est autre chose, une femme seule comme si elle avait été seule à pouvoir s'échapper de l'enfer, ou seule à en avoir encore eu le courage. En faut-il de l'énergie, celle du désespoir dit-on, pour entreprendre de tels chemins, tout abandonner sans même savoir si havre existe encore qui puisse vous accueillir !

Mais justement se réfugier n'est pas fuir c'est chercher refuge et espérer encore un avenir. Cette vache, inquiète sans doute de ces espaces urbains bizarres et de ces bruits inaccoutumés, le suggère.

Elles sont là, côte à côte, noires toutes les deux, la vieille d'âme qui traîne son absence d'avenir et la vache qui dit le troupeau perdu, la labeur abandonné, la terre dévastée mais en même temps l'espérance lactée d'un avenir quand même ... l'entêtement de la vie.

Oui c'est cela que je lis dans le regard presque vide de la vieille dame : l'épuisement peut-être mais l'obstination surtout. Ce tout petit souffle de vie qui file le long de la chaîne des désespoirs ....