La guerre (1914-1918)....
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Déclaration de guerre

La France, injustement provoquée, n'a pas voulu la guerre. Elle a tout fait pour la conjurer.
Puisqu'on la lui impose, elle se défendra contre l'Allemagne et contre toute puissance qui, n'ayant pas encore fait connaître son sentiment, prendrait part au côté de cette dernière au conflit entre les deux.
Viviani à la tribune du Sénat le 4 Août

La presse s'en fait évidemment l'écho alternant les appels au calme, la bonne organisation de la mobilisation en cours, les réactions ministérielles et la folie allemande voire ses agressions, avant même la déclaration officielle de guerre. C'est qu'à cette date le Luxembourg a déjà été envahi et la Belgique essuie un ultimatum l'enjoignant de laisser passer les troupes allemandes sur son territoire.

Jeu classique où l'on met en avant ses propres mérites, où l'on diabolise l'adversaire. Où pleuvent les hyperboles et les outrances : il en va ainsi du Matin qui n'hésite pas à évoquer la guerre sainte de la civilisation contre la barbarie.

Tout est allé très vite et doit aller vite : l'impératif stratégique allemand exige d'en finir rapidement avec la France pour se porter sur le front russe dans un second temps. On ne tergiversera donc pas. Tout le monde s'accorde, en France et en Allemagne, sur le fait que cette guerre sera courte - et ce ne fut même pas un fait de propagande tant on y crut à la fois par nécessité stratégique et socio-politique. Parce qu'aussi on raisonna avec des grilles de lecture qui étaient celles de 1870. Parce qu'enfin on voulut y croire.

On partit donc, non pas la fleur au fusil comme on l'aura opportunément laissé accroire, mais sans barguigner et ce d'autant plus aisément qu'on se crut en France agressé ce que le viol de la neutralité belge mais encore les ultimes tentatives de conciliation tant anglaise que française confirmaient à loisir. Quitte à faire cette guerre à quoi l'on nous oblige, faisons-là, et finissons en vite. La presse avait suffisamment couvert la gravité croissante des événements pour que chacun y fût préparé - ce qui demeure vrai pour les populations urbaines moins sans doute pour celles, rurales, si nombreuses encore, où l'on lisait moins la presse, populations plus préoccupées de la récolte à faire que d'événements que ni leurs habitudes ni leur très petite mobilité ne les prédisposaient à entendre. Pour beaucoup, ces paysans qui laissèrent le soin de leurs terres à leurs femmes, n'avaient vu de la France que la route qui les avaient conduit à leur régiment lors de leur service militaire.

Viviani mobilise tous azimuts et formera bientôt - le 26 août - un gouvernement d'union nationale.

En attendant, il s'adresse aux femmes françaises pour qu'elles prennent le relais des hommes dans les champs. La guerre ne vient jamais au bon moment, mais là, pour un pays encore essentiellement agricole, ce fut assurément le pire !

C'est ici, avant même que ne se déclenchent véritablement les hostilités, que l'on peut comprendre ce qu'impliquera la guerre totale : plus rien n'échappera plus vraiment à son emprise d'engager non seulement des millions d'hommes en même temps - ce qui est inédit - mais d'impliquer, dans sa logique autant que dans son déroulement, les populations civiles en chacun de ses actes et pas seulement dans les souffrances, pertes et destructions qu'elles en eussent à subir.

Cette guerre est un trou noir qui avale tout.

Appel au reste terriblement révélateur, d'une époque, d'une inclinaison dangereuse, sulfureuse. Pour l'obligation où Viviani se sent de le formuler. Car, après tout, que les femmes avec les enfants en âge de le faire, achèvent moisson et préparent la vendange à venir était prévisible, inévitable et aurait eu lieu de toute manière. Parce que, en tout état de cause, elles participaient déjà aux travaux des champs ; qu'en outre, comme on dit, nécessité fait loi ; et celle-ci était impérieuse, brutale et incontournable.

Non, ce qui fait sens, c'est le parallèle, sous l'aune de la mobilisation, entre le travail à mener à l'arrière, et la lutte à conduire sur le front.

C'est cette affirmation invraisemblable qu'il n'y ait pas de travail infime et qu'il y ait demain de la gloire pour tout le monde.

Voici les femmes, à qui l'on refuse encore le droit de vote et donc citoyennes de seconde zone ; qu'une morale étriquée, qu'elle fût bourgeoise, d'inspiration religieuse ou même laïque, réduisait à l'arrière-plan à un rôle complémentaire et tout juste glorifiées dans leur fonction génitrice, soudainement exhaussées en actrices de la guerre ! On a voulu, on le sait, y voir l'acte premier de leur émancipation (1) mais le mouvement était déjà en route et, de toute manière, les femmes travaillaient déjà, exploitées comme les hommes mais plus douloureusement encore.

Non, décidément, pas plus que pour les hommes, je n'y vois une émancipation mais bien plutôt l'effet délétère d'une guerre qui engouffre tout sur son passage et ne laisse plus aucun écart entre arrière et front, entre vie privée et publique et soumet l'individu à l'impérieuse nécessité collective.

On vient d'inventer la totalité. Les totalitarismes suivront.

Les premiers combats n'allaient pas tarder ; les premières erreurs aussi !

Dès le 7 août, une offensive est lancée dans le sud de l'alsace qui permet de prendre Thann qui restera française durant toute la durée de la guerre puis Mulhouse, fugacement, puisque les troupes françaises reculeront dès les jours suivants.

Le plan français s'obstinait ainsi à attendre les allemands sur le front alsacien où ils ne vinrent pas ; pas plus qu'en 70 ou plus tard en 40. Failles d'un plan qui jouait de la théorie de l'offensive à outrance sans vraiment s'en donner les moyens : pas véritablement d'artillerie lourde ; pas de mitrailleuses et croyance en une offensive où le corps à corps serait la règle et la furie de gagner le gage de réussite ; négligence des informations pourtant précises sur le plan allemand qui fit Joffre n'apporter que peu de soutien aux belges et permettre aux allemands d'ouvrir un front large qui menacera bientôt Paris. Ces premiers jours seront les plus meurtriers.

A Paris, comme à Berlin, ou à Vienne, vient l'heure des revirements qui sonnera le glas de l'Internationale et ouvrira une brèche dans le camp socialiste, dont il peinera à se remettre, divisé bientôt qu'il sera, pour un siècle, entre révolutionnaires pro-soviétiques et sociaux-démocrates. Guesde entre au gouvernement en même temps que M Sembat et A Thomas ... à côté de Briand, Doumergue ou Sarraut ! Qui eût pu croire ceci possible, ne fût ce que quinze jours auparavant.

Jaurès est enterré deux fois !

Lénine, sarcastique, fustige les traîtres de tout poil mais s'il voit bien combien cette guerre est celle du système capitaliste et de l'impérialisme qu'il suppose, il présage un peu vite de la situation révolutionnaire qu'elle implique et surtout de l'incapacité des nations européennes à s'en prémunir. Il sera bientôt au pouvoir à Moscou mais l'entêtement à voir sa révolution se répandre comme traînée de poudre produira une Europe bien autrement divisée qu'en 14 ...

Restent les hommes, écrasés par une histoire qui ne les concerne pas vraiment mais qui les dépasse.

Ils apprendront à leurs dépends le peu de cas que la modernité fait de la vie humaine. Ils ne l'oublieront pas ... pour le meilleurs comme pour le pire

On venait d'entrer dans un autre monde et personne n'y était vraiment préparé.

 


1) voir :

idées reçues

émancipation des femmes