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Ligues de vertu ?

A se demander parfois … Seraient-elles de retour les bigotes de toutes obédiences, les redresseurs de tort. Les voici, les inquisiteurs de tout poil venant asséner leur impérieuses vérités qu'ils imposeront demain avec la dernière bonne conscience mais la première violence.

 

Je n'aime décidément pas les donneurs de leçons, ces Torquemada d'arrière-boutique aux courages frelatés et aux audaces trop bien filtrées.

Autour de Polanski cette fois et de la nouvelle plainte déposée contre lui. De multiples projections de son dernier film annulées ou empêchées (à Rennes, St Nazaire, Caen, Bordeaux, dans le Ve arrondissement. )

Sans compter des conférences ou interventions diverses empêchées dans des universités (Hollande ; Agacinsky) ou même la représentation des Suppliantes d'Eschyle le 25 mars à la Sorbonne

Mais, me dira-t-on, ces séries d'événements n'ont rien de commun puisqu'il s'agit, dans le premier et le dernier cas, d'empêcher la représentation de ce qui se donne pour une œuvre d'art et, dans les autres de l'empêchement pour des individus plus ou moins médiatiques ( Agacinsky ne s'attarde pas vraiment sur les plateaux TV ) d'exprimer des positions qui peuvent ne pas plaire mais qui, vu les personnages, n'ont rien ni de choquant, ni d'extrémiste, ni même de provocateur.

Voire !

Dans cet extrait d'émission où la grande défenderesse des droits de la femme s'exclame vous n'avez pas le droit de dire ça (3:01) à un Finkielkraut plus colérique et insupportable que d'ordinaire, on peut résolument se poser la question. Quand Légitimus, par maladresse sans doute, pour justifier la différence entre œuvre et homme, met sur le même niveau, Sade, Céline, Genet, Cocteau ou Trenet, et donc opinion fasciste, pédophilie, homosexualité etc, il se prend évidemment les pieds dans le tapis mais le voici immédiatement pointé du doigt sur les réseaux ! Et voici condamné à s'excuser !

Je suis fatigué de lire et d'entendre qu'il est des choses qu'on ne peut plus dire et de voir systématiquement pris comme exemple Desproges !

Je ne veux pas entrer dans le débat de la culpabilité de Polanski ou non : ici n'est pas le sujet. C'est une affaire entre les plaignantes et lui ; entre sa conscience et lui. Je ne puis néanmoins pas oublier que ceux qui poussent aujourd'hui des cris d’orfraie oublient de se souvenir que dans les années 70 on pouvait inviter sans honte sur un plateau aussi prestigieux que celui d'Apostrophe, un pédophile notoire qui non seulement ne s'en cachait pas mais en faisait même la matière pouacre de ses livres.

Peut-être payons-nous désormais le prix - fort, vraiment trop fort - de décennies de communication triomphante où la chose importe moins que la manière de la dire ; la conviction moins que la posture adoptée; les mots moins que les choses.

Le débat est néanmoins faussé par rapport à celui qui domina au moment de l'affaire Dieudonné ! Alors il s'agissait de savoir si l'on avait encore affaire à de l'humour donc à une forme d'œuvre, à un art. Ici, seulement si l'on peut, au nom de la supposée malignité d'un homme, condamner son œuvre au point d'en interdire l'accès.

Peut-on tout dire ?

Passe encore qu'on s'interrogeât sur la parution d'une nouvelle édition de Mein Kampf : l'ouvrage - de propagande - n'est ni une œuvre ni même un essai mais les piètres délires pas même cohérents, pas même brillants, d'un esprit désordonné et dangereux. Qui l'a lu, sait que la chose lui tombe bientôt des mains. Mais ici, s'agissant d'un film, dressant le portrait de Picquart au moment de l'Affaire Dreyfus, portrait qu'on peut discuter, film dont on peut toujours contester la qualité, pour le jeu des acteurs ou de la mise en scène mais film en tout cas qui n'a strictement rien à voir avec ce que l'on reproche au metteur en scène, là, vraiment, il y a méprise ; malaise ; abus. L'ironie voudra que ce film, même s'il ne porte pas sur Zola, porte quand même l'histoire d'un engagement pour une cause apparemment perdue et même si Picquart n'était pas dénué de toute ambiguïté - Zola ne le fut pas non plus ni d'ailleurs Clemenceau - le film raconte l'histoire d'une lutte pour la justice.

C'est Schneidermann qui a raison de démasquer un mensonge sous chaque mot de cette phrase : on ne peut plus rien dire ! L'argument de la bien-pensance est fallacieux : il l'est d'autant plus qu'il est avancé par les plus réactionnaires qui poussent leur offensive en contrefaisant la victime que jamais dans l'Histoire ils n'auront été.

Car il y a bien des nantis de la parole et ce sont ceux-ci que l'on entend le plus se plaindre. Sur cette TV bavarde à satiété qu'ils nous ont inventée, où plateaux se succèdent les uns aux autres avec les mêmes recettes, les mêmes complicités maintes fois nouées, ourdies et simulées, … Ils y trônent avec des titres divers - experts, consultants, politistes, communicants mais toujours de l'air sentencieux de ceux qui ayant tout compris s'offrent l'impertinence du péremptoire.

Les chaînes d'info en continu ont inventé le tourbillon infini de la vacuité. Rien d'autre … Mais ce faisant ont ouvert la porte à la veulerie et à l'extrême-droite. Les indignations en portent la marque. On remarquera que tout se joue dans la dénonciation : d'un propos, d'une inégalité, d'un acte. On met l'accent moins sur le soutien aux victimes ; moins sur la solidarité ; moins sur la proposition et la construction d'une solidarité nécessaire que sur la dénonciation, d'un privilège, d'un individu.

On pourrait s'interroger sur la pertinence de ces chaînes en continu et se demander si ce n'était pas ici la loi du genre, contraintes qu'elles seraient certes de faire de l'audience mais préalablement de remplir les tuyau avec des éléments regardables … Ce serait en partie se tromper car il s'agit bien d'une stratégie délibérée propre notamment à LCI : après tout France Info, version radio ou TV ne se fait pas remarquer pour ce type de dérapage. On pourrait, comme on le fait classiquement en ces cas-là, pointer le public à qui il faudrait bien offrir ce qu'il demande et arguer que ces médias changeraient et d'attitude et de programme si elles ne trouvaient plus de public complaisant. Argument minable de cour de récréation - c'est pas moi, Msieur, c'est l'autre - mais ce serait surtout oublier que l'audience de ces chaînes est confidentielle et ne vaut que les contenus relayés par les grandes chaîne, des contenus par définition spectaculaires, polémiques, scandaleux …

Ces luttes-là divisent. Et pointent du doigt.

On est loin en tout cas de médias qui aideraient à comprendre ou réfléchir … tellement loin. Sans doute la négligence qu'on a mis à lutter contre la violence faire aux femmes au même titre que le désintérêt suscité par la condition féminine expliquent-ils ces réactions outrancières ; de colère et de paroles parfois stupides. Séparer l'homme de l'artiste … à la hache me parait ainsi exemplairement stupide et contre-productif.

Sur ce sujet, comme sur le terrain des luttes sociales, je sens autant monter la colère que le vent si mauvais de la suspicion et de la division. Ce pays, décidément, ne s'aime pas ; ne s'aime plus ; ne se fait plus confiance. Remugles délétères de son propre fonds ou bien au contraire des campagnes systématiques et politiques délétères qui plutôt que de proposer l'amélioration des conditions de tous préfèrent la dénonciation des pseudo-privilèges de quelques-uns, histoire de faire quelque économie en nivelant par le ba ? la tendance en tout cas est à la suspicion ; pas à la confiance.

Quand spontanément on se met à considérer en l'autre plutôt un danger, un ennemi ou un étranger quelque chose de l'ordre de l'humain se met à souffrir. L'espérance que pouvait nourrir un M Serres d'une humanité qui, au moment fort, s'unirait face aux dangers en prend singulièrement un coup ! Encore faudrait-il que cette humanité s'aimât encore assez pour vouloir s'inventer un avenir commun. La certitude de l'improbable à quoi Morin s'accroche, escomptant que, comme toujours, se retourne la situation même la plus dramatique exige au moins des consciences prêtes à saisir l'occasion plutôt que ces colères fielleuses tournées contre nous-mêmes.

Nous en sommes bien loin …