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Automne …

 

 

J'ai toujours aimé l'automne - mieux en tout cas que l'été qui m'aura toujours indisposé ; plus que l'hiver qui a ses charmes pourtant ; un tout petit peu plus que le printemps qui a sa manière est déjà trop uniformément fleur bleue. La plénitude vaut moins que ses promesses mais le printemps n'en sait pas esquisser les tourments ; à peine préfigurer les délices. Le printemps, je le crains, est sot, de se croire triomphant.

Mon âge n'y est pour rien même si des esprits aimablement taquins y aimeraient voir l'obsession des airs finissants et le goût apaisé pour des crépuscules de toute manière inévitables. Non simplement je n'ai jamais aimé les cieux trop clairs ou les atmosphères trop homogènes. Jamais supporté la chaleur écrasante : il y a quelque chose de presque menaçant dans la victoire triomphante de l'été qui vous oblige à constamment vous en préserver. Je ne déteste pas l'ombre car elle est promesse de lumière mais je n'ai décidément pas besoin d'un zénith étouffant.

Il y a, dans ces journées qui trainent encore un peu d'été dans leur sillage, quelque chose de presque bancal qui ressemble à s'y méprendre à nos hésitations et à nos doutes ; à nos égarements : le ciel presque encore uniformément bleu mais que démentent les couleurs bariolées des feuillages qui avant de joncher le sol se piquent de nous chanter un ultime oratorio de couleurs …

 

Je ne me souvenais pas de cette fable de La Fontaine - Phébus et Borée - qui me fait sourire parce qu'elle se trompe sans doute d'objet de nous vouloir faire accroire qu'automne fût nécessairement agression violente : vents, froidures ou pluies y règnent parfois, certes, discrètement d'abord, presque par inadvertance, comme pour nous alerter pour ainsi dire, puis de loin en loin, s'attardent et nous trempent et glacent. Oui, sans doute mais en ces contrées la violence des morsures est rare, même si de plus en plus fréquente ; pas plus périlleuse néanmoins que les aridités qui désèchent autant nos récoltes que nos âmes.

On peut voir - et l'on ne manqua jamais de l'y considérer - dans la succession des saisons à la fois la ritournelle rassurante d'un monde si intangible qu'il en semble contrefaire cette éternité qui ne changerait jamais rien à ses mues mais, subrepticement, ce jeu presque tragique qui d'entre vie et mort finit invariablement par donner victoire à l'hiver. Ce refrain qui sonne comme une scie, oui, dit cet atermoiement, qui est nôtre, de verser tantôt dans le désespoir, tantôt dans la fière audace qui s'entiche de conquérir : eh quoi, il suffit de considérer l'hiver au début du récit, plutôt qu'à la fin, pour découvrir un chemin tout de couleurs mordorées empreint. Rien à tout prendre ne ressemble plus à l'automne que le printemps … comme si l'aller valait bien le retour.

Je ne saurais oublier ces couleurs matinales qui ressemblèrent si étrangement à des soirées de fin d'été

 

 

C'est que, sans doute, rien ne ressemble plus aux débuts que la fin. Et l'idée même nous en est baume. Ce qui des grecs me fascine est au creux de ces atermoiements : dans le cycle qui indéfiniment s'enroule, j'entrevois autant de raisons de désespérer que de cajolantes certitudes. Je crois bien que ce que nous craignons le plus aujourd'hui tient précisément à un cycle qui pourrait bien brusquement s'enrayer.

Chez La Fontaine, l'automne est vent qui bouscule, siffle, souffle, brise mais ne parvient pas à s'engouffrer. C'est bien un peu mentir que de nous faire accroire que Phébus fût doux ! il lui arrive bien, plus souvent qu'à son tour,, de nous meurtrir.

Mais l'automne lui aussi sait être doux ; car, même quand il s'entiche de nous tremper, il ne cesse de nous offrir couleurs et enrobages à faire rêver …

Sans doute ne savons-nous pas lever les yeux : les ciels ont pourtant tant de choses à nous confier …

 

 

 

 

 

 

 

Borée et le Soleil virent un voyageur
Qui s’était muni par bonheur
Contre le mauvais temps. On entrait dans l’automne,
Quand la précaution aux voyageurs est bonne :
Il pleut ; le soleil luit ; et l’écharpe d’Iris
Rend ceux qui sortent avertis
Qu’en ces mois le manteau leur est fort nécessaire :
Les Latins les nommaient douteux, pour cette affaire.
Notre homme s’était donc à la pluie attendu :
Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte.
« Celui-ci, dit le Vent, prétend avoir pourvu
À tous les accidents ; mais il n’a pas prévu
Que je saurai souffler de sorte
Qu’il n’est bouton qui tienne : il faudra, si je veux,
Que le manteau s’en aille au diable.
L’ébattement pourrait nous en être agréable :
Vous plaît-il de l’avoir ? – Eh bien ! gageons nous deux,
Dit Phébus, sans tant de paroles,
À qui plus tôt aura dégarni les épaules
Du cavalier que nous voyons.
Commencez : je vous laisse obscurcir mes rayons. »
Il n’en fallut pas plus. Notre souffleur à gage
Se gorge de vapeurs, s’enfle comme un ballon,
Fait un vacarme de démon,
Siffle, souffle, tempête, et brise en son passage
Maint toit qui n’en peut mais, fait périr maint bateau :
Le tout au sujet d’un manteau.
Le cavalier eut soin d’empêcher que l’orage
Ne se pût engouffrer dedans.
Cela le préserva. Le Vent perdit son temps ;
Plus il se tourmentait, plus l’autre tenait ferme :
Il eut beau faire agir le collet et les plis.
Sitôt qu’il fut au bout du terme
Qu’à la gageure on avait mis,
Le Soleil dissipe la nue,
Récrée et puis pénètre enfin le cavalier,
Sous son balandras fait qu’il sue,
Le contraint de s’en dépouiller :
Encore n’usa-t-il pas de toute sa puissance.
Plus fait douceur que violence.