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Dire non

A la question qui lui est posée, s'agissant de l'esprit de la résistance, ce qui l'emportait de l'idée de justice ou de celle de Patrie, Malraux presque étonné de sa propre réponse s'attarde sur un c'est très compliqué avant de rétorquer le [fait de] dire nonceux là ne s'inclineront pas. Avant d'aller chercher des exemples sous l'invitation de Dumayet - parce que c'est ici l'objet de la série d'émission : La légende du siècle produite par Claude Santelli et Françoise Verny pour l'ORTF, réalisée par Claude Santelli, diffusée en 1972. -chercher des exemples en la personne notamment de Jeanne d'Arc, ou de Gaulle, Malraux se demande s'il n'est pas ici quelque chose de profondément et spécifiquement humain dans cette négation perpétuée tout au long de l'histoire.

 

J'ai trop cité le passage de G Bataille pour en disconvenir : négation en réalité double puisqu'elle engage à la fois le monde extérieur et soi-même.

Contrairement à ce que certains esprits paresseux aimeraient laisser accroire, il s'agit de bien plus profond que d'un doute cartésien. Celui-ci est simplement méthodique - ce qui est déjà énorme - manière habile de faire croire qu'on ne sait pas pour mieux savoir à l'issue ; il est un chemin alors que cette négation-là est terminale - presque destinale. Elle est ce raidissement de l'âme où se joue presque autant d'affirmation que de négation, où s'enclenche affirmation de soi face à la négation du monde ; affirmation du monde et de soi sous l'aune de la transformation ; de la transfiguration ; de la métamorphose.

J'aime assez que l'on classe dans la même négation ce qu'on appelle révolte, mais aussi technique, mais encore science mais encore art. Effectivement, il n'est pas une manifestation de l'humain dans l'histoire, pas un aspect de ce qu'il convient de nommer culture, qui ne recèle en son sein refus et tentation de former à sa main cette masse noire qui se donne à nous comme réalité, en vérité comme objet et ainsi comme obstacle. J'aime assez que l'on voie la même insurrection dans le paysan rongé de sueurs et de peine de la vallée du Nil et dans ces peintures de Giotto qui donnent à deviner ce que nul jusqu'alors n'avait pu voir ; dans cet entêtement du martyr prêt à tout offrir plutôt que d'être apostat ; dans ce silence du poète qui perle ses angoisses au fil des alexandrins …

Tout se joue ici - en ce que Hegel avait parfaitement cerné - on n'a pas conscience, on ne nomme pas les choses ou se targue même de les expliquer sans subitement cesser de faire simplement partie du monde ; sans en être en quelque sorte expulsé … l'homme semble bien le seul - parce que conscient - à se demander qui il est et ce qu'il fait ici … puis, de s'y sentir étranger, à y désirer laisser sa trace. Du monde, il est désormais aussi devant le monde. Je ne sais s'il a d'abord peur ou est plutôt excité à l'idée de braver plus puissant que lui. Les deux ensemble peut-être. Je sais seulement qu'à partir de cet instant, originaire mais répété d'individu à individu, de période en période, de lieu en lieu, l'homme est étranger.

Pas seulement expulsé. Etranger, à lui-même comme au monde. A charge pour lui de tout réinventer.

Le miracle de l'humain tient en ceci : dans ce moment étrange où, se représentant le monde, le peignant, le chantant parfois même seulement en le disant, il se place dans une posture sinon métaphysique en tout cas morale … ce qui change tout. Tout à coup ce qui se présente à lui, s'avance au même titre qu'il s'en approche lui-même, revêtu de sens, de projet ou d'intentions ; cesse en tout cas d'être un simple objet. Cette métamorphose, qui l'oblige, qui l'entraîne au-delà de lui-même, est sans doute la même que celle qui définit la création artistique : sous ce qui se voit, ce qui ne se voit pas et qui en impose bien plus ; pèse.

Le monde se révèle comme une valeur et l'homme comme un effort méthodique pour l'atteindre. S'il est un sens à donner au vers de Hölderlin L'homme habite le monde en poète c'est bien celui-ci ; s'il est un espace où poésie et métaphysique se rejoignent, c'est bien celui-ci où s'agence la manufacture de l'humain.

J'aime assez l'idée qu'entre le grand révolutionnaire, le visionnaire exceptionnel, l'humble résistant obsédé d'anonymat, récusant toute obscène gloriole et l'homme du commun tout juste affairé à rester digne en ce chemin ronceux qui manque à chaque fois de l'égarer, j'aime, oui, cette idée qu'entre eux tous il y ait cette constante qui pourrait simplement sembler ronchonne ; qui est purement ontologique.

L'humain se joue ici dans ce qui n'est pas nécessairement révolte ; pas forcément insoumission ; parfois seulement le premier frémissement devant une liberté froissée ; souvent l'appel d'ailleurs ; de mieux ; l'insatisfaction devant l'ordinaire et la grisaille du quotidien.

E Morin, autrefois, dans le Paradigme perdu, s'était amusé à suggérer que plutôt de sapiens c'est de demens qu'il eût fallu qualifier l'homme : soit, mais l'intérêt consiste précisément dans cette erratique constitution. Ce n'est effectivement pas malgré son irrationalité, sa propension à intercaler rêves, désirs, idéaux voire simples représentations imaginaires entre lui et le monde que l'homme a pu survivre et même prospéré, mais à cause de ceci même. Ce n'est pas même un raisonnement dialectique à quoi l'on eût affaire qui consisterait seulement à faire travailler le négatif ; mais à une bouche de rétroaction tant l'un contribue à constituer l'autre.

Qu'on ne s'y méprenne pas : dire non ne revient pas à dénicher quelque valeur à la négation voire à légitimer un certain mal ! Car dire non en réalité revient à affirmer. A se lever, à refuser toute soumission.

En cette période qui n'a souvent que valeurs à la bouche, je ne déteste pas ce qu'ici Malraux affirme :

Rien de grand ne se fait sans valeurs, effectivement. Que Malraux les classe en valeurs conduisant à la sainteté, à l'héroïsme ou à la pensée n'est sûrement pas indifférent. On reconnaît ici l'homme de plume hanté tout au long de sa vie par l'action mais que la chose spirituelle ne laissait pas indifférent tout agnostique qu'il se prétendît. Je m'interroge toujours sur cette insistance avec la quelle le grec nomme axios, ά ξ ι ο ς - ce qui pèse - ces valeurs qui en réalité vous exaltent. Le latin est, comme souvent à sa manière, plus pragmatique mais aussi plus rustre qui y voit force, vigueur ou santé au même titre que puissance virile dans vertu qu'il fait dériver de vir. Ce qui importe, oui, emporte ; toutes nos représentations nous font plutôt deviner les valeurs dans les ciels étoilés que dans de sombres cavernes où tel Cacus nous on les eussions enfouies. Rome aime les choses concrètes, dures Mais, après tout, le grec n'a pas nécessairement tort : nos valeurs ne nous entraînent pas vers d'insipides niaiseries éthérées ou ne sont pas invites à délaisser le réel pour quelque arrière-monde débilitant. Nietzsche, trop suspicieux a tort : les valeurs sont rarement des consolations quand on cherche à se hisser à leurs hauteurs mais plutôt des épreuves.

Ces valeurs, qui sans doute n'existent pas en soi, qui, évidemment ne sont pas des soleils brillant hors de la caverne à l'éblouissement de quoi nous peinerions à nous accoutumer ; sans doute nous les sommes-nous donné en oubliant parfois l'avoir fait ; sans doute nos divinités n'en sont-elles que l'incarnation et non l'inverse … Il n'empêche, elles révèlent et souvent expriment explicitement ce refus spontané de la réalité telle qu'elle est. Même si elles s'ancrent toujours dans un corpus idéologique donné, de manière que je crois universelle, elles s'appuient toujours sur des principes simples - presque évidents : solidarité ; réciprocité et le binôme pesanteur-grâce. Dès lors, quoiqu'on en ait, ces valeurs sont plutôt des invites à mieux assurer notre rapport au monde et à l'autre - après tout je n'ai besoin de repères moraux que pour les questions qui ouvrent débat, controverse ou laissent des incertitudes.

M'intéresse surtout dans ces propos de Malraux la quasi équivalence qu'il pose entre sainteté, héroïsme et pensée : que ce soit d'un point de vue métaphysique, politique ou intellectuel, l'engagement, il a raison, est double manière : à la fois de récuser que l'état présent du monde soit satisfaisant ou, quand même l'eût-il quand même été , de nier qu'il fût à ce point indépassable qu'il fallût renoncer ; parallèlement, d'affirmer un idéal, un projet ou simplement un modèle qui le rende au moins humain.

Même s'il est faux qu'il prononçât jamais la formule selon qui le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas, il affirme bien ici qu'il n'est pas d'autre manière de dire non que, soit d'envisager une société technicienne fondée sur la science, soit une société fondée sur le religieux.

La chose me paraît évidente à condition qu'on ne confonde pas religion et église ; ni spiritualité avec inféodation à une institution. Ce qui est évident pour tout le monde - A Comte comme F Jacob - c'est qu'il n'y a pas d'acte que nous puissions perpétrer, même apparemment irréfléchi, même contraint, qui ne s'appuie sur une représentation du monde et même une conception du bien, au moins pour soi. La volonté incline spontanément vers le bien, dit Thomas d'Aquin, au point qu'on a pu considérer que le mal était un certain bien. En tout cas, rien sans représentation. Dans l'affaire c'est manifestement la pensée qui entame le dialogue. Toujours.

Derrière ce que Malraux appelle le dire non, sous cette métamorphose qui fait l'œuvre, par ce qu'il nomme destin et où, pour le héros comme pour l'homme ordinaire, il n'est de chemin possible que par cette obsession à transfigurer le monde, je lis, oui, une forme de spiritualité ou de morale ; comme on voudra. Je le répète, pour l'avoir déjà écrit, que m'importent les croyances si elles permettent à l'humain de se magnifier ; les valeurs pour autant qu'elles ne demeurent pas vaines paroles que l'on oppose à l'autre mais qu'elles guident notre action ; que m'importe la foi pourvu qu'elle soit généreuse et ouverte au dialogue.

Est-ce véritablement un hasard que, se demandant ce qu'est un héros, il le devine aisément en Jaurès mieux qu'en Clemenceau qui pourtant fut chef de guerre efficace. Celui-là était faiseur de paix, non pas rêveur, mais inventeur d'un monde ; d'un mythe ; d'un rêve assez noble en tout cas pour mériter qu'on y consacre sa vie. Il ne suffit manifestement pas d'être grand chef de guerre ; il faut une idée, quelque chose qui n'existe pas encore mais qui, d'être envisagé seulement, devient irrésistible.

C'est de ceci dont les dieux sont la personnification ; de ceci dont la foi est le symbole, foi qui, ne l'oublions pas, est confiance accordée mais aussi inspirée et renvoie ainsi à loyauté comme à promesse. Etre à hauteur de ce que l'on croit ou de ce à quoi l'on aspire ; pouvoir sans honte mais avec ardeur regarder en face cela même que l'on veut de ses efforts honorer, c'est bien de ceci dont il s'agit quand on évoque la foi.

Quand on évoque le dire non !

Tout le contraire de ce pragmatisme qu'on nous présente comme la dernière mouture de la modernité qui n'est que le ragoût infâme de la paresse et de la lâcheté.

 

Je ne suis pas certain que soit juste, cette idée, tirée des tréfonds du XIXe siècle et de son progressisme échevelé, selon laquelle science et religion fussent de parfaits antonymes :elles importent en réalité moins que le rapport que l'on entretient avec elles. Que s'y niche foi du charbonnier ou dogmatisme ; que l'on oublie ne serait-ce que quelques secondes que nous ne produirons jamais de connaissances complètes ni définitives … et l'horreur commence. Ainsi le propre d’une théorie scientifique est d’être tout le temps modifiée ou amendée. indique Jacob. Pour autant, textes spirituels et sciences, même si l'on demeure dans la prudence tolérante d'une interprétation qui se saurait pouvoir être fausse, ne prodiguent pas du tout le même genre de connaissance : les uns proposent une manière d'être au monde et avec l'autre qui s'invite à être vécue ; les autres offrent une connaissance du monde. Celles-ci me disent ce qui est ; ceux-là me suggèrent comment je dois être dans ce monde qui est. Ce qu'il rappelle dans ce passage où il affirme son agnosticisme qui est tout le contraire du refus de la transcendance.

Mais la religiosité frelatée se cache parfois en des recoins où on ne l'attendrait point : dans le mythe du progrès, Freud l'avait repéré ; dans certaines idolâtries politiciennes dont le XXe fut gourmand.

Sans doute est-ce ici le plus rare et le plus digne d'éloges en l'art de dire non : dans cette capacité à se méfier même de ses propres refus ; en cet effort à résister à toute paresse qui incline au systématique. Dans ce talent si précieux de l'y pouvoir incruster tant dans la pensée que dans l'acte.

Jaurès fut en ceci un grand : qui sut concilier l'action politique et l'intelligence ; la prudence mais l'engagement total, nonobstant.

Je ne sais si c'est cela que Malraux visait en évoquant la sainteté. Je me méfie de ce concept que l'on attribue à ses propres héros et je ne saurais oublier le commandement qui rappelle la sainteté du nom divin à ne jamais invoquer en vain. Je sais en revanche ce qu'est un martyr : un témoin qui jusque dans sa chair s'il le faut, porte la Parole et la fait vivre.

Alors qu'on ne pinaille pas de cette moue dédaigneuse qui prend la critique pour de la pensée !

Dans le dire non il y a bien une prodigieuse puissance d'affirmation … il suffit de l'aller y chercher. Je crains bien que dans le dire oui il y ait plus de renoncement, de paresse et en réalité de négation de soi.

 

 

 

Sans doute faudrait-il revenir sur cette insondable tristesse, sur ce désarroi infini que ressent, par deux fois, un de Gaulle quand il perçoit que son contrat avec la France est rompu ou perçoit que l'aventure est finie. On est très loin du mépris qu'il affectait de fomenter à l'encontre des français hâtivement taxés de médiocrité ou d'abandons …

Mais c'est une autre histoire : celle de l'acceptation du retrait et de la mort imminente. Assurément, après avril 69, de Gaulle n'avait-il plus qu'à mourir. Non sans ironie Jaurès était mort sous des balles imbéciles. Les héros ne font pas bon s'attarder après l'épreuve : Clemenceau s'acheva en 29 plus bougon que nature …

 

 

 

 

De Gaulle au sujet de la Boisserie où à la fin il retourne … (dernières lignes des Mémoires de Guerre

C'est ma demeure. Dans le tumulte des hommes et des événements, la solitude était ma tentation. Maintenant, elle est mon amie. De quelle autre se contenter quand on a rencontré l'Histoire ? D'ailleurs, cette partie de la Champagne est tout imprégnée de calme : vastes, frustes et tristes horizons ; bois, prés, cultures et friches mélancoliques ; relief d'anciennes montagnes très usées et résignées ; villages tranquilles et peu fortunés, dont rien, depuis des millénaires, n'a changé l'âme, ni la place. Ainsi, du mien. Situé haut sur le plateau, marqué d'une colline boisée, il passe les siècles au centre des terres que cultivent ses habitants. Ceux-ci, bien que je me garde de m'imposer au milieu d'eux, m'entourent d'une amitié discrète. Leurs familles, je les connais, je les estime et je les aime.

Le silence emplit ma maison. De la pièce d'angle où je passe la plupart des heures du jour, je découvre les lointains dans la direction du couchant. Au long de quinze kilomètres, aucune construction n'apparaît. Par-dessus la plaine et les bois, ma vue suit les longues pentes descendant vers la vallée de l'Aube, puis les hauteurs du versant opposé. D'un point élevé du jardin, j'embrasse les fonds sauvages où la forêt enveloppe le site, comme la mer bat le promontoire. Je vois la nuit couvrir le paysage. Ensuite, regardant les étoiles, je me pénètre de l 'insignifiance des choses.

Sans doute les lettres, la radio, les journaux font-ils entrer dans l'ermitage les nouvelles de notre monde. Au cours de brefs passages à Paris, je reçois des visiteurs dont les propos me révèlent quel est le cheminement des âmes. Aux vacances, nos enfants, nos petits-enfants nous entourent de leur jeunesse, à l'exception de notre fille Anne qui a quitté ce monde avant nous. Mais que d'heures s'écoulent, où, lisant, écrivant, rêvant, aucune illusion n'adoucit mon amère sérénité !

Pourtant, dans le petit parc - j'en ai fait quinze mille fois le tour ! -, les arbres que le froid dépouille manquent rarement de reverdir et les fleurs plantées par ma femme renaissent après s'être fanées. Les maisons du bourg sont vétustes ; mais il en sort, tout à coup, nombre de filles et de garçons rieurs. Quand je dirige ma promenade vers l'une des forêts voisines : Les Dhuits, Clairvaux, Le Heu, Blinfeix, La Chapelle, leur sombre profondeur me submerge de nostalgie ; mais, soudain, le chant d'un oiseau, le soleil sur le feuillage ou les bourgeons d'un taillis me rappellent que la vie, depuis qu'elle parut sur la Terre, livre un combat qu'elle n'a jamais perdu. Alors, je me sens traversé par un réconfort secret. Puisque tout recommence toujours, ce que j'ai fait sera, tôt ou tard, une source d'ardeurs nouvelles après que j'aurai disparu.

A mesure que l'âge m'envahit, la nature me devient plus proche. Chaque année, en quatre saisons qui sont autant de leçons, sa sagesse vient me consoler. Elle chante, au printemps : « Quoi qu'il ait pu, jadis, arriver, je suis au commencement ! Tout est clair, malgré les giboulées ; jeune, y compris les arbres rabougris ; beau, même ces champs caillouteux. L'amour fait monter en moi des sèves et des certitudes si radieuses et si puissantes qu'elles ne fmiront jamais ! »

Elle proclame, en été : « Quelle gloire est ma fécondité ! A grand effort, sort de moi tout ce qui nourrit les êtres. Chaque vie dépend de ma chaleur. Ces grains, ces fruits, ces troupeaux, qu'inonde à présent le soleil, ils sont une réussite que rien ne saurait détruire. Désormais, l'avenir m'appartient ! »

En automne, elle soupire : « Ma tâche est près de son terme. J'ai donné mes fleurs, mes moissons, mes fruits. Maintenant, je me recueille. Voyez comme je suis belle encore, dans ma robe de pourpre et d'or, sous la déchirante lumière. Hélas ! Les vents et les frimas viendront bientôt m'arracher ma parure. Mais, un jour, sur mon corps dépouillé, refleurira ma jeunesse ! »

En hiver, elle gémit : « Me voici, stérile et glacée. Combien de plantes, de bêtes, d'oiseaux, que je fis naître et que j'aimais, meurent sur mon sein qui ne peut plus les nourrir ni les réchauffer ! Le destin est-il donc scellé ? Est-ce, pour toujours, la victoire de la mort? Non ! Déjà, sous mon sol inerte, un sourd travail s'accomplit. Immobile au fond des ténèbres, je pressens le merveilleux retour de la lumière et de la vie. »

Vieille Terre, rongée par les âges, rabotée de pluies et de tempêtes, épuisée de végétation, mais prête, indéfiniment, à produire ce qu'il faut pour que se succèdent les vivants ! Vieille France, accablée d'Histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin, mais redressée, de siècle en siècle, par le génie du renouveau! Vieil homme, recru d'épreuves, détaché des entreprises, sentant venir le froid éternel, mais jamais las de guetter dans l'ombre la lueur de l'espérance !