μεταφυσικά
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Gênes ....et pudeurs

Petit intermède en forme de coulpe

S'arrêter un tout petit peu ; prendre le temps de relire ce qui fut écrit et se demander le sens que tout ceci peut avoir. Non que j'eusse crainte d'écrire des sottises : qui écrit doit savoir endurer ce danger-ci où il succombera de toute manière faute de quoi il ne saurait y avoir ni d'écriture sincère ni de pensée engageante. Se demander non pas si la barre est bien tenue et que le projet initial au détour des mots et des digressions n'aurait pas été perdu en cours de route : assurément elle ne l'est pas tant la combinatoire des mots et la cohérence des raisonnements conduisent toujours loin de ce qu'on pouvait initialement imaginer ou extrapoler. Si la pensée - et c'est assurément ici qu'elle ressemble le plus à l'acte de création artistique - veut être vivante et ne pas se contenter de réciter sottement ce qui fut dit écrit et pensé auparavant, invariablement elle s'égarera ; se heurtera à des impasses, des impossibilités, des contradictions et des contrariétés avant que de peut-être, mais sans jamais en avoir l'assurance, entr'apercevoir au loin une clairière. Le programme n'est pas tenu : j'avais écrit vouloir tenter de ne pas m'appuyer sur les textes classiques de la métaphysique ! C'est en réalité impossible !

Non s'arrêter pour la gêne éprouvée depuis longtemps - presque toujours - du fait, par exemple de la fascination exercée par Heidegger en dépit de tout, ses relents d'un conservatisme putride, son nazisme jamais vraiment réprouvé ni même reconnu mais qui suinte pourtant par tous les interstices de sa pensée mais l'impossibilité pourtant de faire l'impasse de cette démarche tant elle semble être la seule à demeurer au XXe siècle à hauteur des Hegel, Kant ou Nietzsche qui le précédèrent. Quand les autres répètent ou commentent, lui invente : comment le tenir pour rien ? Gêne encore devant son millénarisme pompier, ce messianisme qui ne s'avoue pas mais joue sur toutes les cordes de l'angoisse, de l'attente et de l'espérance ; dont tout m'écarte, et l'envie de m'en gausser ainsi que de ce style revêche, de ces traductions impossibles, de ses disciples obséquieux de vénération intempestive mais qui néanmoins m'obsède ; me fascine en tout cas au point d'y toujours revenir comme s'il était ma mauvaise conscience - ou ma part d'ombre.

Fascination mais crainte en même temps : se pourrait-il que les chemins de la métaphysiques me conduisent ainsi inexorablement vers ces ombres venimeuses, ces excès qu'aucune rigueur rationnelle ni aucune démarche scientifique a fortiori ne viennent empêcher ; même pas tempérer ? Que ces chemins ne mènent nulle part n'aurait pas grande importance, mais qu'ils me mènent à tout confondre et à ne pas même reconnaître quand serait franchie la ligne ? J'en ai tellement vu de ces intellectuels - et Heidegger le premier - s'égarer, se prendre au piège de leur propre agilité intellectuelle ...

Se pourrait-il que la métaphysique fût cette pointe extrême de terre écornée et déchiquetée, projetée presque par mégarde au milieu des flots rageurs qu'un vent fouetterait trop violemment pour qu'on n'y perdît point sa raison ? Et si tout cela n'avait aucun sens ? en tout cas pas assez pour qu'on y perdît pas le sien ?

Il m'est une certitude en tout cas : pour autant qu'on dise vrai en affirmant que la philosophie, et à plus forte raison la métaphysique, ne se contentent pas à l'instar des sciences, de vouloir dire l'objet mais s'efforcent au contraire à faire le lien en dessinant le rapport que nous entretenons avec le monde, je devine qu'on ne peut tenter de métaphysique qui n'implique le sujet, ni donc l'écrire sans s'y nicher et risquer ainsi l'impudeur si aisément vulgaire ou triviale du je. Accepter de dire ces doutes avec quoi toute pensée se construit, ses craintes, ses égarements.

L'appel de Dieu

Il y a, dans la Métaphysique de M Conche un chapitre (p139) intitulé La voie certaine vers "Dieu". On pourrait s'attendre qu'il n'y revînt point lui qui, dès les premières pages, avait évacué la question en mettant en évidence qu'elle était aux antipodes de toute métaphysique possible. Et pourtant ... Où il rejoint, même si pour de toutes autres raisons, Heidegger qui voit dans toute théologie l'impasse de la métaphysique. Et pourtant son Geviert ressemble à s'y méprendre non à une transcendance mais en tout cas à un soubassement sacré qui viendrait répondre à la fuite des dieux ...

Nous avions à notre tour fait le projet d'une métaphysique qui fît l'économie de la transcendance gageant que ce fût possible et même souhaitable. Trop imprégné de cette culture républicaine qui eut la sagesse de reléguer le religieux dans la vie privée, et de se contenter en ne reconnaissant que des citoyens de s'appuyer plutôt sur ce qui nous rassemble et ressemble que sur ce qui nous divise, trop effaré par ce retour brutal du religieux qui contourne les règles tellement élémentaires de la civilité qu'on eût pu les croire désormais admises et au coeur de notre patrimoine commun et qui sont désormais bafouées avec la vigueur abrupte de toutes les intolérances, je cherche plus volontiers ailleurs ce qui pourrait définir et fonder l'être au monde de l'humain, même si je ne méconnais ni les fragilités ni les dégâts de l'humanisme triomphant et que j'y puise au contraire les motivations d'une métaphysique ; que je sache encore les dangers de tout anthropocentrisme et devine l'homme n'être jamais qu'un sublime ratage.

Et pourtant !

Même en me réfugiant derrière l'argument culturel - justifié - d'un fait religieux qui aura trop imprégné la culture occidentale pour qu'on puisse l'évacuer sans coup férir, je ne puis pas ne pas soupçonner sous ma plume une référence biblique tellement fréquente qu'elle doit bien un peu calfeutrer la nostalgie d'une piété enfouie ou la fascination - encore - devant l'assurance inquiète qu'autorise la foi.

Sourire ému en lisant Conche reprendre la distinction pascalienne entre le dieu des philosophes et des savants et celui d'Abraham, Isaac et Jacob. C'était là l'antienne de mon vieux père quand il voulait à la fois taquiner mes saillies intellectuelles qu'il respectait sans comprendre et m'y répondre plus qu'y opposer sa foi simple en une présence d'amour. Plus roublard qu'il y paraissait, il se fichait en l'aimable position où je ne pouvais l'atteindre en quittant les rives amères de la démonstration pour les contours de l'émotion. Qu'avais-je alors à lui répondre sinon l'espoir d'un jour sinon nous rejoindre, d'au moins nous scruter en face l'un de l'autre sur des rives qu'un lit rétréci aurait suffisamment rapproché pour que nous puissions nous entendre et peut-être même nous toucher ?

Pascal pointait juste : ce n'était pas seulement parce que le dieu des philosophes ressemblait par trop à une causation froide et presque mécanique ; c'était aussi parce qu'il représentait l'essence même de la fausse réponse : expliquer l'être par un autre Être, plus mystérieux encore, c'était déplacer le problème.

Mais si Dieu n'est pas une réponse il n'en demeure pas moins une question - La question.

Puis-je dire sans travestir que je n'ai jamais ressenti devant moi une présence, ou, au moins en avoir éprouvé le désir ? Je goûte assurément peu la retorse extrapolation qui me ferait calculer l'intérêt à croire et le peu de risque à m'y être trompé ; je ne suis pas plus avide de ces certitudes où je crains plus les torrents d'intolérance que les sources fraîches de la quiétude. Pourtant j'aime cette nuque raide qui tente d'inventer jusqu'à l'obsession et parfois le ridicule un peuple de prêtres paysans, qui scrute le biais par où être fidèle du premier geste matinal jusqu'à l'ultime caresse nocturne ; pourtant je reste interdit devant ceux-là qui surent inventer la cité céleste parfois en s'écartant du siècle, parfois en fouaillant la misère, mais toujours en cherchant à être au service ; pourtant je respecte le froid entêtement de ceux qui, compassés et roides, esquissent une vertu que la prédestination a peut-être déjà sanctionnée.

Quand elle n'est pas feinte, et transperce les entrailles, je l'avoue, la piété m'en impose.

Je sais trop les limites de la raison pour ne pas deviner que demain, tout-à-l'heure le chemin s'arrêtera net, là sur la rive qu'elle ne saura franchir. Je le préfère cependant à celui des fièvres de la certitude. J'ai nourri, comme d'autres, le rêve qu'il y eût une grève où se rejoindraient la parole de la révélation et le discours de la raison ; qu'un pont suffirait à suffisamment se faire rejoindre ce qu'il y a d'engageant dans l'être pour que l'on pût s'entendre.

Peut-être seulement cherché-je à rabibocher les pans écartelées de mon âme, qui regimbe, se moque, s'insurge et pourfend au moindre froissement de soutane, mais devine nonobstant, espère en tout cas, la grandeur discrète de mains jointes. Je sais juste mon indéfectible réticence à l'encontre de toute église qui tôt ou tard s'interpose et brouille la lueur éclose.

Je ne sais ce qu'il faut entendre par être mais s'il se conjugue en présence, cela me va !

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