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1) Achever, accomplir … ou consommer ?

 

1 Que signifie achever ? 2 le presque rien des terminaisons 3 l'épuisement de l'être 4 écouter le chant du monde  

 

Je me demandai il y a peu : Quand tout ceci a-t-il bien pu commencer ?

On se grandit toujours de savoir encore lever les yeux au ciel et d'écouter la complainte des feuillages agités.  Peut-être, demain, les dieux cesseront-ils de détourner leur regard !

En définitive, la bonne question n'eût-elle pas plutôt été : quand ceci a-t-il bien pu s'achever ?

Voici un terme bien fréquemment utilisé : on termine sa journée ; son travail ; ses amours … sa vie. Je ne suis pas certain de ce mot qui trahit de si bien étranges résonnances.

Celui-ci pose son pinceau et contemple le résultat de son labeur, cette toile qu'il n'achève en vérité pas mais à quoi il prête seulement vie : rien ici ne se clôt où se joue l'exception de l'œuvre, où en tout cas l'on aime ou espère l'y considérer qui donne au contraire un peu de cette flamme ou de ce souffle qu'on aime en l'esprit. Parfois, mais n'est-ce pas le miracle des légendes que l'on tisse pour rendre plus aimable ou saisissant le récit, parfois, dis-je, l'homme s'épuise à l'ouvrage et y meurt comme succombaient trop encore autrefois les femmes au sacrifice de l'accouchement. On le dit de Proust … Mauriac aimait en tout cas à le répéter. On aime aussi parfois à en broder le récit s'agissant de Nietzsche qui eût tant frôlé le mystère suprême des choses qu'il en eût perdu la raison … Cette dilection tantôt sottement romantique, tantôt métaphysique à grever de sacré la création traduit notre impuissance à considérer la fin autrement que comme une transition, une traduction, une transaction.

Mais terminer n'est pas seulement accomplir, tant s'en faut.

Pourtant terminer une journée revient bien à clore un épisode qui n'aura plus jamais lieu ; terminer sa vie aussi évidemment ; ou ses amours, même si ceci est moins fatal ; seulement plus pathétique. L'expérience de l'irréversibilité du temps nous est commune, trivialement commune même si nous vivons comme si nous n'y accordions aucune créance. Achever oui, c'est toujours faire disparaître, faire passer de vie à trépas ; escamoter. Ou passer une ligne ; définitivement. Derechef, ce fut bien cette leçon que nous conta le mythe. Par exception, grâce ou insistance, Orphée crut pouvoir passer la ligne à rebours et la faire passer à Eurydice ; mais l'aventure échoua néanmoins lamentablement. Non, décidément, la ligne était bien infranchissable.

Esquives et contournements

Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent, et si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin. Le passé et le présent sont nos moyens, le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.
Pascal

Nous tentons bien des esquives qui n'éblouissent pourtant que nous et si malaisément : vanité suggérait Pascal qui nous fait nous attarder en regrets du passé ou en folles conjectures mais ne jamais véritablement savoir vivre le présent. Les anciens eurent beau nous dire qu'il était vain de vouloir combattre ce qui n'était pas en notre pouvoir ou que la mort n'était pas notre affaire mais seulement celle de nos proches puisque nous n'étions plus pour l'éprouver quand elle surgissait, elle nous épouvante néanmoins quoiqu'on en ait, prétende ou vante. Que ce soit notre signature d'en avoir conscience et qu'ainsi elle structure notre existence pour autant que le temps qu'elle nous mesure est notre aiguillon à mieux agir - ou le moins mal possible - est certes exact mais ne change en rien notre effroi. Nous ne parvenons pas à croire vraiment qu'il n'y ait rien là-bas, de l'autre côté de la ligne. Pris au piège de nos mots ou de nos craintes, qu'importe au fond, nous ne croyons tellement pas au rien, que nous l'esquivons ou en créons suavement des figures éponymes, métaphoriques, parfois esthétiques, parfois brutalement politiques ; souvent religieuses : des enfer et paradis aux frontières ou murs qu'affectionnent tant nos dirigeants.

Que d'emblée nous traduisons en passage. Même retraduite en Enfer, la mort ne saurait être rien rien ; même sous la forme de souffrances, de pénitences ou tortures. Au reste, ce rien n'est pas même pensable dont le rejet construit quasiment la philosophie débutante :

Allons, je vais te dire et tu vas entendre quelles sont les seules voies de recherche ouvertes à l’intelligence; l’une, que l’être est, que le non-être n’est pas, chemin de la certitude, qui accompagne la vérité; [5] l’autre, que 1’être n’est pas: et que le non-être est forcément, route où je te le dis, tu ne dois aucunement te laisser séduire. Tu ne peux avoir connaissance de ce qui n’est pas, tu ne peux le saisir ni l’exprimer ;
Parménide

Ce rien que nous tolérons comme figure de style ou quand un dieu lui arrache la lumière mais qui ne saurait qu'être l'impropre synonyme de recommencement. Rien n'est plus impensable mais plus abstrait alors que cet ex nihilo à partir duquel se serait faite la création ; rien n'est plus rassurant que cette lumière arrachée à l'ombre.