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Sisyphe le Pénitent

Puis-je sans contresens aucun introduire dans un mythe grec qui lui est nécessairement étranger, un concept et une démarche chrétienne ? Sans doute, non ! et pourtant.

Rien n'est plus intéressant que ce terme : paenitentia où l'on retrouve paene - presque - signifie d'abord regret, mécontentement et paeniteo c'est mécontenter et par suite causer du regret, du repentir. Le verbe, oui, dit d'abord, ne pas avoir assez de, ne pas être satisfait ?. Le repentir chrétien qui est recherche de salut et donc démarche pour obtenir le pardon (jeûne, mortification, repentir public, aveu de ses fautes ou confessions) entraînera la graphie poenitentia - poena signifiant la peine.

Sisyphe éprouva-t-il jamais regret, repentir ? Sans doute non : trop ambitieux, trop fier ; trop téméraire. Trop humain, je le crains ! En revanche, insatisfait, assurément. Mais n'est-ce pas ici la marque de l'humain ?

Mettre de l'ordre … trouver sa place

Japet (35) épousa Clymène, cette jeune Océanide aux pieds charmants ; tous deux montèrent sur la même couche, et Clymène enfanta le magnanime Atlas (36), l'orgueilleux Ménétius, l'adroit et astucieux Prométhée et l'imprudent Epiméthée, qui dès le principe causa tant de mal aux industrieux habitants de la terre, car c'est lui qui le premier accepta pour épouse une vierge formée par l'ordre de Jupiter. Jupiter à la large vue, furieux contre l'insolent Ménétius, le plongea dans l'Érèbe, après l'avoir frappé de son brillant tonnerre, pour châtier sa méchanceté et son audace sans mesure. Vaincu par la dure nécessité, Atlas, aux bornes de la terre, debout devant les Hespérides à la voix sonore, soutient le vaste ciel de sa tête et de ses mains infatigables. Tel est l'emploi que lui imposa le prudent Jupiter. Quant au rusé Prométhée (37), il l'attacha par des noeuds indissolubles autour d'une colonne ; puis il envoya contre lui un aigle aux ailes étendues qui rongeait son foie immortel ; il en renaissait autant durant la nuit que l'oiseau aux larges ailes en avait dévoré pendant le jour. Mais le courageux rejeton d'Alcmène aux pieds charmants, Hercule tua cet aigle, repoussa un si cruel fléau loin du fils de Japet et le délivra de ses tourments : le puissant monarque du haut Olympe, Jupiter, y avait consenti, afin que la gloire de l'Hercule thébain se répandît plus que jamais sur la terre fertile. Dans cette idée, il honora son illustre enfant et abjura son ancienne colère contre Prométhée, qui avait lutté de ruse avec le puissant fils de Saturne. En effet, lorsque les dieux et les hommes (38) se disputaient dans Mécone, Prométhée, pour tromper la sagesse de Jupiter, exposa à tous les yeux un boeuf énorme qu'il avait divisé à dessein. D'un côté, il renferma dans la peau les chairs, les intestins et les morceaux les plus gras, en les enveloppant du ventre de la victime ; de l'autre, il disposa avec une perfide adresse les os blancs qu'il recouvrit de graisse luisante. Le père des dieux et des hommes lui dit alors : "Fils de Japet, ô le plus illustre de tous les rois (39), ami ! avec quelle inégalité tu as divisé les parts !"
Quand Jupiter, doué d'une sagesse impérissable, lui eut adressé ce reproche, l'astucieux Prométhée répondit en souriant au fond de lui-même (car il n'avait pas oublié sa ruse ingénieuse) : "Glorieux Jupiter ! ô le plus grand des dieux immortels, choisis entre ces deux portions celle que ton coeur préfère."
A ce discours trompeur, Jupiter, doué d'une sagesse impérissable, ne méconnut point l'artifice ; il le devina (40) et dans son esprit forma contre les humains de sinistres projets qui devaient s'accomplir. Bientôt de ses deux mains il écarta la graisse éclatante de blancheur ; il devint furieux, et la colère s'empara de son âme tout entière quand, trompé par un art perfide, il aperçut les os blancs de l'animal. Depuis ce temps, la terre voit les tribus des hommes brûler en l'honneur des dieux les blancs ossements des victimes sur les autels parfumés. Jupiter qui rassemble les nuages, s'écria enflammé d'une violente colère ; "Fils de Japet, ô toi que nul n'égale en adresse, ami ! tu n'as pas oublié tes habiles artifices." Ainsi, dans son courroux, parla Jupiter, doué d'une sagesse impérissable. Dès ce moment, se rappelant sans cesse la ruse de Prométhée, il n'accorda plus le feu inextinguible aux hommes infortunés qui vivent sur la terre. Mais le noble fils de Japet, habile à le tromper, déroba un étincelant rayon de ce feu et le cacha dans la tige d'une férule. Jupiter qui tonne dans les cieux, blessé jusqu'au fond de l'âme, conçut une nouvelle colère lorsqu'il vit parmi les hommes la lueur prolongée de la flamme, et voilà pourquoi il leur suscita soudain une grande infortune. D'après la volonté du fils de Saturne, le boiteux Vulcain, ce dieu illustre, forma avec de la terre une image semblable à une chaste vierge. Minerve aux yeux bleus s'empressa de la parer et de la vêtir d'une blanche tunique. Elle posa sur le sommet de sa tête un voile ingénieusement façonné et admirable à voir ; puis elle orna son front de gracieuses guirlandes tressées de fleurs nouvellement écloses et d'une couronne d'or que le boiteux Vulcain, ce dieu illustre, avait fabriquée de ses propres mains par complaisance pour le puissant Jupiter. Sur cette couronne, ô prodige ! Vulcain avait ciselé les nombreux animaux que le continent et la mer nourrissent dans leur sein ; partout brillait une grâce merveilleuse, et ces diverses figures paraissaient vivantes. Quand il eut formé, au lieu d'un utile ouvrage, ce chef-d'oeuvre funeste, il amena dans l'assemblée des dieux et des hommes cette vierge orgueilleuse des ornements que lui avait donnés la déesse aux yeux bleus, fille d'un père puissant. Une égale admiration transporta les dieux et les hommes dès qu'ils aperçurent cette fatale merveille si terrible aux humains ; car de cette vierge est venue la race des femmes au sein fécond, de ces femmes dangereuses, fléau cruel vivant parmi les hommes et s'attachant non pas à la triste pauvreté, mais au luxe éblouissant. Lorsque, dans leurs ruches couronnées de toits, les abeilles nourrissent les frelons, qui ne participent qu'au mal, depuis le lever du jour jusqu'au soleil couchant, ces actives ouvrières composent leurs blanches cellules, tandis que renfermés au fond de leur demeure, les lâches frelons dévorent le fruit d'un travail étranger : ainsi Jupiter, ce maître de la foudre accorda aux hommes un fatal présent en leur donnant ces femmes complices de toutes les mauvaises actions.
Voici encore un autre mal qu'il leur envoya au lieu d'un bienfait. Celui qui, fuyant l'hymen et l'importune société des femmes, ne veut pas se marier et parvient jusqu'à la triste vieillesse, reste privé de soins ; et s'il ne vit pas dans l'indigence, à sa mort, des parents éloignés se divisent son héritage (41). Si un homme subit la destinée du mariage, quoiqu'il possède une femme pleine de chasteté et de sagesse, pour lui le mal lutte toujours avec le bien. Mais s'il a épousé une femme vicieuse, tant qu'il respire, il porte dans son coeur un chagrin sans bornes, une douleur incurable. On ne peut donc ni tromper la prudence de Jupiter ni échapper à ses arrêts. Le fils de Japet lui-même, l'innocent Prométhée n'évita point sa terrible colère ; mais, vaincu par la nécessité, malgré sa vaste science, il languit enchaîné par un lien cruel.
Hésiode

Je prends très au sérieux le récit qu'Hésiode fait de la naissance de l'humain. Autant que l'interprétation qu'en fit Vernant. Je prends très au sérieux, surtout, la série de révoltes que ces récits dévoilent. L'homme est celui qui, tout simplement, n'a d'abord pas de place, s'efforce de se l'inventer et y parvient non sans ruse, non sans violence, ni parfois charmes. Mais il n'est pas le seul. Les dieux eux-mêmes éprouvèrent quelque difficultés à mettre de l'ordre dans leurs affaires. Faut-il rappeler le premier complot qui fit Cronos renverser son père Ouranos et ce dernier à nouveau par Zeus. Présent durant ces deux révoltes Japet - Ἰαπετός - le père de Prométhée et Epiméthée que certains considèrent comme l'ancêtre de l'humanité. Quelque chose comme un pilier du monde puisqu'à chaque fois il se tient sous les bases du monde, aux extrémités où Terre, Ciel et Mer ont leurs racines. Il est un des acteurs de cet ordre nouveau que veut instituer Zeus, un ordre où les hommes n'ont pas de place parmi les dieux.

Violence mise à part - on ne peut pas dire que ni Ouranos ni Cronos fussent d'aimables et paternelles divinités - on retrouve trace de ces révoltes jusque dans la tradition biblique : sans même évoquer la mystérieuse révolte des anges, on ne comptera pas pour rien celle de Lucifer non plus que celle d'Adam. A chaque fois, un événement, un être qui refuse l'ordre établi et qui, effectivement, finit par le bouleverser. Chez les grecs, le salut des hommes est assuré par la ruse de Prométhée ; dans la tradition biblique par Dieu lui-même en sa miséricorde ou amour : dans les deux cas, l'homme eût été incapable d'assurer seul sa propre survie.

C'est bien ce qu'il y a ici de plus incroyable : qu'à la fois l'homme soit si faible et que sa survie soit sans cesse menacée mais aussi tellement rusé qu'il fût capable de tenir la dragée haute au divin ; qu'en face le divin, en dépit de sa puissance incontestable puisse être défié - et parfois avec succès - par créature aussi ridiculement faible.

C'est ceci qu'incarne Sisyphe : celui qui, n'ayant pas de place, se l'invente, se la prend - se la vole s'il le faut. Dans l'histoire, on ne saura jamais véritablement pourquoi Prométhée prit la défense des hommes et ce au risque d'offenser Zeus dès le début.

Je ne sais rien de plus troublant que cette rencontre de l'humain et du divin dût-elle se produire par prophète interposé ; je ne sais rien de plus incompréhensible, révoltant même, que l'échec d'une telle rencontre. Dans les versets de l'Exode, j'entends encore les bruissements tempétueux des cieux écartant les nuées sombres pour laisser éclater la Parole ; je sens sur ma peau non pas le frisson mais le souffle qui est signe de cette vie qui approche et s'offre. Il n'est pas de culture qui ne l'évoque. L'étonnant de la version biblique est de l'entendre sous le sceau de la Parole mais de la rater nonobstant sous les allures du meurtre. L'intérêt de la version grecque qui ne nie rien de l'ordre du monde en train de se constituer est de poser l'homme non pas au centre de toute préoccupation comme tend spontanément à le faire l'interprétation chrétienne, mais comme un accident, une malencontreuse erreur ; comme un surgeon qu'un sinistre concours de circonstances empêcha d'éradiquer.

Les chrétiens, depuis deux millénaires adorent un dieu mis en croix ; les grecs, mi dubitatifs mi admiratifs regardent leurs deux héros subir identique et éternelle peine : l'un poussant sempiternellement son rocher ; l'autre se faisant dévorer le foie. Enchaînés l'un et l'autre à la pierre.

Pétrifiés.

Refuser sa place - être inhospitalier

Sans doute pourrais-je prendre ceci à la légère … pour échapper tant à l'angoisse qu'à la pesanteur. Je n'y parviens pas même par ironie. Nous ne savons que faire face au divin ; que faire du divin. Alors nous le nions, bravons, biffons ou tuons. Ou le faisons de nous-mêmes ce qui ne vaut pas mieux. Je n'y parviens pas. On n'écarte pas l'être ainsi, d'un simple revers de manche.

A l'extrême, tout en haut, comme une lumière et une voix qui tonne … un souffle comme si elle devait attirer tout ce qui se retourne vers elle. A l'autre bout, au plus lourd, la pierre, dense, noire comme si elle devait tout avaler qui n'est pas elle. Comme un trou noir. C'est une ligne ; une simple ligne que l'on pourrait inverser d'ailleurs où chacun des protagonistes occupe la contraposée de l'autre.

Quelque chose ici d'insondable, d'incompréhensible. Quelque chose d'impardonnable qui se pardonne pourtant ; quelque chose qui n'aurait jamais du avoir lieu mais se produisit pourtant. Ce regard qui se détourne de la lumière et lui préfère l'ombre ; cette poitrine qui détourne la main tendue ; cette alliance qui se termine en guerre. S'il est une différence entre le récit olympien et le récit biblique, elle réside en ce qu'ici c'est Zeus qui entame la guerre tandis que là c'est l'homme, en maltraitant les messagers et crucifiant le Fils. Pour le reste, identique échec. Une rencontre qui fonde le cosmos pour l'éternité mais une rencontre qui échoue, lamentablement.

Hostis/hospitis est un doublet que l'on observe souvent dans le récit que Tite Live fait de la fondation de Rome ; on le retrouve ici. Celui à qui on ne fait pas la guerre est celui que l'on reçoit à sa table et l'on sait l'importance que revêtit l'hospitalité dans toutes les sociétés antiques notamment du bassin méditerranéen : cette rencontre qui n'a pas lieu c'est une table que l'on ne dresse pas au voyageur ; un repas que l'on n'offre pas à l'étranger qui passe. Ovide en narre plusieurs et l'on connaît celui de Philémon et Baucis ; il en est pourtant une autre, séminale, qui enclencha la colère de Zeus et sa volonté d'en finir avec l'humanité :

L'offense faite à Zeus par Lycaon, roi d'Arcadie ne pouvait demeurer sans réponse. Zeus voulant tester a piété des homme se fit annoncer à grands renforts de signes. Rien n'y fit : Lycaon en sa légendaire cruauté fit tuer un enfant du pays - d'aucuns prétendent même que ce fut un de ses fils - et mélangea ses entrailles au repas qu'il lui servit. Zeus le transformera en loup mais estimant que ce fut toute l'humanité qui était gangrenée par la violence et la cruauté, décida d'en finir et déclenchera bientôt le déluge de Deucalion.[1]

La terre était corrompue devant Dieu, la terre était pleine de violence.
Dieu regarda la terre, et voici, elle était corrompue; car toute chair avait corrompu sa voie sur la terre.
Alors Dieu dit à Noé: La fin de toute chair est arrêtée par devers moi; car ils ont rempli la terre de violence; voici, je vais les détruire avec la terre. Gn, 6, 11

Cette colère est la même que celle qui saisit l’Éternel devant les dépravation et violence des hommes, la même qui déclencha le Déluge qui pourtant s'acheva par le sauvetage de quelques uns et l'alliance noachide. Mais, dira-t-on, ici le divin pardonne ; certes, mais là aussi ! pourquoi donc, autrement, Zeus eût-il laissé Deucalion - qui n'est autre que le fils de Prométhée - et son épouse survivre ? Mais surtout redonner naissance à une humanité qu'ils devaient bien espérer nouvelle.

Mais cette colère est celle renouvelée lorsque les Juifs, s’impatientant au pied de la Montagne, se mirent à adorer une idole. Colère, loin d'être feinte, qui se promet d'en finir définitivement cette fois avec l'humanité et que seules les prières de Moïse et le rappel des promesses faites à Abraham, Isaac et Jacob parvinrent à calmer.

L'Éternel dit à Moïse: Va, descends; car ton peuple, que tu as fait sortir du pays d'Égypte, s'est corrompu.
Ils se sont promptement écartés de la voie que je leur avais prescrite; ils se sont fait un veau en fonte, ils se sont prosternés devant lui, ils lui ont offert des sacrifices, et ils ont dit: Israël! voici ton dieu, qui t'a fait sortir du pays d'Égypte.
L'Éternel dit à Moïse: Je vois que ce peuple est un peuple au cou roide.
Maintenant laisse-moi; ma colère va s'enflammer contre eux, et je les consumerai; mais je ferai de toi une grande nation.
 Moïse implora l'Éternel, son Dieu, et dit: Pourquoi, ô Éternel! ta colère s'enflammerait-elle contre ton peuple, que tu as fait sortir du pays d'Égypte par une grande puissance et par une main forte?
 Pourquoi les Égyptiens diraient-ils: C'est pour leur malheur qu'il les a fait sortir, c'est pour les tuer dans les montagnes, et pour les exterminer de dessus la terre? Reviens de l'ardeur de ta colère, et repens-toi du mal que tu veux faire à ton peuple.
 Souviens-toi d'Abraham, d'Isaac et d'Israël, tes serviteurs, auxquels tu as dit, en jurant par toi-même: Je multiplierai votre postérité comme les étoiles du ciel, je donnerai à vos descendants tout ce pays dont j'ai parlé, et ils le posséderont à jamais.
Et l'Éternel se repentit du mal qu'il avait déclaré vouloir faire à son peuple.
Moïse retourna et descendit de la montagne, les deux tables du témoignage dans sa main; les tables étaient écrites des deux côtés, elles étaient écrites de l'un et de l'autre côté.
Les tables étaient l'ouvrage de Dieu, et l'écriture était l'écriture de Dieu, gravée sur les tables.
Ex, 32.7-17
Je ne connais pas de texte plus étrange que celui-ci : un dieu qui en vient à se repentir d'une intention ! Mais la scène est-elle plus étrange que celle d'un Zeus se laissant berner à plusieurs reprises par Prométhée voire même par Sisyphe ? On peut admettre avec Vernant que Zeus ne se fît qu'apparemment berner pour recueillir finalement la meilleure part puisqu'après tout c'est bien le fumet des os qui revient en partage aux dieux, il n'empêche qu'il en tire prétexte pour vengeance, sur les hommes à qui cette fois, il ne promet pas disparition mais malheurs sans cesse renouvelés.

Mais comment comprendre un Dieu créateur qui en viendrait à se repentir d'une destruction pas même entreprise, seulement envisagée ? Comment l'entendre autrement que comme une figure de style - une aimable circonvolution pour signifier le renouvellement de la promesse ; l'Alliance ici nouée - malgré tout.

Pétrifiés oui … une histoire de pierre

Chercherait-on des figures de la pesanteur qu'on en trouverait une ici, assurément, sous la forme de cette pierre :

Sans même évoquer cette pierre sur quoi le Christ bâtira son Eglise !

Curieuse fête que ce lectisterne auquel on procédait à Rome pour conjurer le plus souvent la peste mais rituel qui, grec autant qu'étrusque, semble l'antithèse exacte de l'alliance rejetée et de la rencontre ratée. Voici qu'on ouvre les portes, qu'on dresse les tables au-dehors et que l'on invite les dieux sous la forme conglomérée de leurs statues. Etat de confusion extrême, où plus rien d'individuel ne parvient à subsister : l'hôte est à la fois invitant et invité ; le divin est en même temps étranger ; celui qui s'approche, l'on ne sait même plus s'il est ami ou ennemi ; sain ou malade et enclin à vous contaminer. Je ne sache pas qu'une société puisse se constituer sans différences. Voici donc état pré-social ; pas même état de guerre qui est déjà ordonnancement ; mais état d'extrême violence, potentielle en tout cas, pouvant sourdre de chaque anfractuosité et être le fait du plus proche de son entourage. Les récits médiévaux en donnent quelque idée : il n'est pas de société suffisamment solide pour résister à cette extrême confusion où l'autre, ami comme ennemi peut également être porteur de mort ; où l'antique distinction entre extérieur et intérieur, ami et étranger ne prévaut même plus. Toute distinction explose et l'individualité elle-même dans une horrible contagion où se dissolvent idées comme idéaux, moralité comme espérance …

Commencer une histoire, revient à séparer ; à distinguer ; à mettre de l'ordre. Le divin d'un côté ; l'humain de l'autre puisqu'on ne peut décidément pas l'éliminer. Le dieu juif se maintiendra à suffisante distance et hors de portée du regard humain pour n'encourir jamais le risque d'une quelconque confusion - la mort du Christ soulignera assez combien toute confusion conjuguée en terme de proximité peut vite être désastreuse. Girard peut aider à penser combien cette confusion, ce mélange peut être source de la pire crise qui soit - mimétique - dont d'ordinaire on ne sort que par un sacrifice qui ne dénoue la tension que très provisoirement d'ailleurs … mais fonde les religions.

Prométhée sera un intercesseur entre cette humanité dont il est l'origine - au moins par le truchement de son fils - et le divin dont il participe en tant que Titan sans en être tout à fait. Aux deux bornes, Zeus et Sisyphe qui se toisent et bravent. Moïse, l'ensemble des prophètes, le Fils enfin, seront les intercesseurs entre cette humanité turbulente, violente et le divin. La grande originalité de la tradition biblique est que le divin, au moins à partir de Ex, 32 cesse de toiser l'humanité. La rencontre, quand elle a lieu, l'alliance, quand elle se noue, prennent lieu autour d'une table, celle d'un repas ou d'un sacrifice qu'importe. La pierre peut être une arme - celle par exemple avec laquelle on lapide celles et ceux que la foule impropre à se contenir accuse et veut mettre à mort ; elle peut être ce matériau si essentiel sans quoi il n'est ni édifices, ni maisons, ni temples surtout à la gloire des dieux … Elle est ici de soutènement.

Κἀγὼ δέ σοι λέγω, ὅτι σὺ εἶ Πέτρος, καὶ ἐπὶ ταύτῃ τῇ πέτρᾳ οἰκοδομήσω μου τὴν ἐκκλησίαν, καὶ πύλαι ᾍδου οὐ κατισχύσουσιν αὐτῆς.
Καὶ (N Καὶ δώσω → Δώσω) δώσω σοὶ τὰς κλεῖς (N κλεῖς → κλεῖδας) τῆς βασιλείας τῶν οὐρανῶν: καὶ ὃ ἐὰν δήσῃς ἐπὶ τῆς γῆς, ἔσται δεδεμένον ἐν τοῖς οὐρανοῖς: καὶ ὃ ἐὰν λύσῃς ἐπὶ τῆς γῆς, ἔσται λελυμένον ἐν τοῖς οὐρανοῖς.
Et moi aussi je te dis que tu es Pierre et que sur ce roc-là je bâtirai mon Eglise, et les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle.
Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; et ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux ; et ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux.
Mt, 16, 18

Je ne connais rien de plus étrange ni de plus émouvant en même temps que ces instants où la rencontre enfin semble pouvoir avoir lieu d'avec le divin. Qu'elle ait systématiquement lieu aux moments de crises suggère la propension de l'humain à s'affirmer au point d'avoir cru pouvoir faire des sciences - dures comme douces - des substituts efficaces aux religions. Et sans doute le sont-elles du côté de la connaissance produite limitée sans doute mais assurée et précise. Mais assurément ne le sont-elles pas quand il s'agit de donner un sens à sa présence au monde. La pierre est ainsi la forme que revêt cette rencontre ; pierre sur quoi aura lieu la Cène ; sur quoi le doigt de Dieu écrira la Loi ; à quoi Prométhée est enchaîné à jamais, même libéré, puisqu'il devra porter une bague de fer ciselée à partir de ses chaînes sertie d'un morceau de pierre du Caucase.

La pierre est symbole de cette ecclesia en train de se former et, pour cette raison, dit à la fois la réunion et la distinction ; l'alliance et la rupture toujours possible ; sempiternellement à craindre. Prométhée croyait duper Zeus et il le fit en un certain sens ; néanmoins c'est quand même la part des dieux qui fut réservée à Zeus qui s'élèvera de l'autel des sacrifices jusqu'aux hauteurs olympienne. Prométhée n'est qu'un intermédiaire : il ne peut pas faire que les hommes devinssent des dieux ; il parvient juste à leur préserver un espace de survie, une raison d'exister. Il peut juste faire qu'ils ne disparaissent pas. Ne les crée ni ne les sauve ; les préserve seulement. Ici, à l'écart. La pierre est symbole de cet écart.

C'est pour cela que Sisyphe est incontestablement le doublet - humain - du Titan Prométhée - le Prévoyant. Parce qu'il n'est pas de prévoyance nécessaire sans témérité préalable ; de ruse utile sans outrance perpétrée ; de chemin sans but à atteindre. Aussi bien dans son opposition au divin que dans la pénitence qui lui est infligée, ils se regardent comme des doubles inversés au fil du miroir. Identiquement au récit biblique, le récit grec laisse entendre déluges, rages, volonté de détruire l'humanité puis finalement sinon miséricorde avec Zeus en tout cas tolérance. Il faut dire qu'elle n'est pas sa création directe : il l'a trouvée là au milieu des dieux ne sachant comment la disposer dans l'ordonnancement du cosmos qu'il avait entrepris. Mais pour le reste, identique défiance d'un côté ; identique révolte de l'autre.

L'Eternel répondit: Je ferai passer devant toi toute ma bonté, et je proclamerai devant toi le nom de l'Eternel; je fais grâce à qui je fais grâce, et miséricorde à qui je fais miséricorde. 20L'Eternel dit: Tu ne pourras pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre. 21L'Eternel dit: Voici un lieu près de moi; tu te tiendras sur le rocher.…
Ex, 33,10

Zeus n'avait peut-être pas tort, finalement : divin et humain ne sont pas constitués pour cohabiter. L'Ancien Testament ne dit pas autre chose qui promet l'embrasement mortel à qui voudrait soutenir Dieu du regard. Sans doute faut-il alors prendre pénitence au pied de la lettre : tout n'est ici affaire que de presque - paene - ou de trop - hybris. Comme si nous ne savions qu'osciller entre deux extrêmes, deux excès ; deux abus. L'humanité de l'homme que Sartre eut raison d'entendre comme existence et Serres comme processus - hominescence - est constance oscillation entre ces deux lignes ou bornes : le trop, le pas assez.

Comment comprendre autrement que Zeus finalement laissât Héraclès délivrer Prométhée ?

 

L'essence de la tragédie ou plus simplement le discours de la méthode ?

Camus voit juste ainsi lorsqu'il suppose le plus intéressant non pas que Sisyphe fût condamné à sans cesse pousser son rocher, mais ce moment où, au bas de la pente, il s'en va, presque heureux, reprendre sa tâche. Il est héros tragique parce qu'il sait que son effort est vain ; sinon il serait simplement naïf … ou niais. Cette pierre est ce qui l'arrime au monde ; l'empèse ou l'englue ; ce qui fait de lui un homme - tout le contraire d'un dieu. C'est à l'intérieur de ce cycle que se déploie son existence à l'extérieur de quoi il n'est rien. Derechef, comment ne pas penser à cette orbe fermée de J Bosch que contemple au loin le créateur. Si exister laisse entendre au lointain de ses origines étymologiques quelque chose comme une sortie, on devine bien vite qu'elle est illusoire. Nuages noirâtres, menaçants, eau grisâtre, presque saumâtre, inquiétante en tout cas d'exhaler tant de menace de morts, si peu de promesse de vie …sortons-nous jamais de ce cycle pas même infernal, seulement trivial où les jours de peine succèdent, avec la précision d'un métronome, aux nuits d'angoisse, d'oubli ou de peurs, les chaleurs écrasantes aux gerçures du cœur, et les générations aux générations, de naissances babillardes en agonies médiocres ? Sisyphe au moins le tenta, jusqu'à duper Hadès et revenir du royaume des Enfers et résister tant à d(zccrocher aux plaisirs de la vie qu'il fallut l'aller rechercher …

Descartes, sottement ou bien au contraire avec cette ironie du désespoir qui seule peut vous habiter quand on s'est dénudé de tout et à ce même instant, celui de la solitude radicale où l'on décide de gravir derechef le chemin de la connaissance, Descartes, dis-je, préconisait d'aller tout droit sans jamais rebrousser chemin quand on était perdu. Eh diantre ! d'où pouvait-il savoir, l'animal, que la forêt n'était pas infinie et qu'il y eût un passage par où s'en extirper ? d'où tenait-il, d'ailleurs, la certitude de marcher droit alors que sans repère tout indique que nos chemins vite bifurquent ?

En réalité, il n'est pas de chemin ; non plus donc que de méthode. Un jeu tout au plus d'essais et d'erreurs. Et cette irrésistible envie de recommencer, toujours ; de tenter inlassablement. Pour le plaisir ? Pour la beauté du geste !

Si la descente ainsi se fait certains jours dans la douleur, elle peut se faire aussi dans la joie. Ce mot n'est pas de trop. J'imagine encore Sisyphe revenant vers son rocher, et la douleur était au début. Quand les images de la terre tiennent trop fort au souvenir, quand l'appel du bonheur se fait trop pressant, il arrive que la tristesse se lève au   cœur de l'homme : c'est la victoire du rocher, c'est le rocher lui-même. L'immense détresse est trop lourde à porter. Ce sont nos nuits de Gethsémani. Mais les vérités écrasantes périssent d'être reconnues. Ainsi, Œdipe obéit d'abord au destin sans le savoir. A partir du moment où il sait, sa tragédie commence. Mais dans le même instant, aveugle et désespéré, il reconnaît que le seul lien qui le rattache au monde, c'est la main fraîche d'une jeune fille. Une parole démesurée retentit alors : « Malgré tant d'épreuves, mon âge avancé et la grandeur de mon âme me font juger que tout est bien. » L'Œdipe de Sophocle, comme le Kirilov de Dostoïevsky, donne ainsi la formule de la victoire absurde. La sagesse antique rejoint l'héroïsme moderne. On ne découvre pas l'absurde sans être tenté, d'écrire quelque manuel du bonheur.. « Eh ! quoi, par des voies si étroites... ? » Mais il n'y a qu'un monde. Le bonheur et l'absurde sont deux fils de la même terre. Camus

Nous avons des mots - Descartes - pour donner quelque raideur rectiligne à nos errances si courbes et nos ignorances circulaires. Je ne sais si Camus a raison de présumer Sisyphe heureux, je sais seulement que nos idées sont comme nos rêves, où nos raisonnements les plus roides et froids rejoignent nos poèmes les plus lyriques et romans les plus sombres : des baumes qui, certes, n'ôtent rien à la férocité inepte du monde, mais rendent seulement supportable - presque désirable - la pesanteur qui nous rive au monde.

Non il n'est pas de chemin : la pierre sitôt hissée au sommet, invariablement dévale la pente et tout est à refaire. La tour sitôt hissée, quand même se voulût-elle ode au divin, sera démantelée, rasée ; et l'humanité dispersée. Nous le savons depuis peu, nous qui avons perdu le souvenir médiéval de bâtisses démontées pour en construire d'autres, mais les tours ne s'abattent pas sans fracas tonitruant ni tempête de poussière et de grisailles. Des guerres aux pestes, la ritournelle est pesante et le refrain rarement joyeux qui ponctue les sentiers humains. Non pas de chemin, seulement l'illusion d'une méthode ; pas de chemin, à peine un sentier, ronceux qui sans doute ne mène nulle part ou vous ramène à votre point de départ.

Il y a de la grandeur, de la noblesse peut-être même, à le parcourir nonobstant. De la joie ? je ne sais !

A tout prendre, Sisyphe est plus grand en sa colline de sueurs et d'efforts qu'en sa vie de plaisirs, de mensonges et de petits larcins. Là, pris au piège de son refus de la mort, enfermé en cette immortalité qu'il aura tant désirée, il comprend qu'il n'a pas le choix ou, plutôt, qu'il n'en a plus qu'un seul : consentir, oui, mais avec élégance, distinction ; avec classe.

 

 

Le pari de l'œuvre

Je le tiens de Sartre ; c'est en tout cas de l'avoir autrefois lu que la certitude m'en vint. Si effectivement il y a absurde, alors s'ouvre pour nous la possibilité non pas d'arracher un sens au monde, mais au contraire de lui en donner un ; le nôtre. Ou, plus humblement, d'en donner un à notre chemin, à nos errances ; à notre voix. Au même titre que l'idée du vase ou du coupe-papier est d'abord dans l'esprit de l'artisan avant de l'être dans la chose, ce que je suis est à la fois totalement incrusté dans la pierre, sans doute, et je ne puis me faire autre que ce besogneux poussant son rocher, mais aussi totalement défini par l'idée que je m'en fais. Que je veux m'en former. Dieu n'est pas un artiste, nous le savons depuis cette cinglante vacherie assénée à ce pauvre Mauriac qui ne l'avait sans doute pas vue venir !

Mais Sartre, non plus. Mais nous non plus !

Ce qui ne nous interdit pas d'essayer néanmoins. De le tenter, sur nous au moins, avec cet l'orgueil ou inconscience qui sied si bien à l'humain. Se considérer non pas tant comme un artiste mais comme une œuvre d'art qui ne pût modeler, ciseler, orner ou simplement imaginer à sa guise ou nécessité, à sa folie ou rêve. Parce que l'histoire, pour être écrite d'avance, ne l'est pas personne ; qu'il n'est nulle part, jamais, de définition stricte et définitive qui nous enserre et enferme. Que oui, nous sommes condamnés à être libres même si cette liberté équivaut à consentir ; condamnés à nous inventer nous mêmes parce qu'il n'est nulle signification, nulle part qui s'imposât à nous, autre que celle que nous imaginâmes nous-mêmes, pour nous-mêmes pour peu que nous en prissions la peine … ou l'espérance.

Se sentir, sous le regard des autres comme de soi-même, inachevé, toujours en train d'être ravaudé ou retravaillé. Ou comme ces palimpsestes que l'on gratte pour y écrire un texte nouveau ou simplement mieux écrit : ces toiles sur quoi, avec lenteur mais détermination, on aura eu entrepris de coucher une nouvelle couleur qui recevra un autre motif, plus beau peut-être, plus en résonnance en tout cas avec soi.

Se savoir en chemin.

Bifurquer ici, maintenant ; parce que le désir ou le projet nous en prend. Et qu'importe si cette embardée devait nous ramener néanmoins au point de départ ; au pied de la montagne. Au moins sera-t-elle belle d'être la nôtre.

Parce que, parfois, même du pied de la montagne s'entend tonitruer la Parole qui se lève.

 

 


 


1) Apollodore

III, 8, 1. Mais revenons à Pélasgos qu'Acousilaos dit fils de Zeus et de Niobé, comme je l'ai moi-même affirmé, et qu'Hésiode, pour sa part, soutient né de la terre. De Mélibée, fille d'Océan, ou bien, selon d'autres, de la Nymphe Cyllène, il eut un fils, Lycaon, qui devint roi d'Arcadie, eut de nombreuses épouses, et engendra cinquante fils : Mélénéos, Thesprotos, Hélix, Nyctimos, Peucétios, Caucon, Mécistée, Hoplée, Macarée, Macednos, Horos, Polichos, Acontès, Évémon, Ancyor, Archébatès, Cartéron, Égéon, Pallas, Eumon, Canéthos, Prothoos, Linos, Coréthon, Ménalos, Téléboas, Physios, Phassos, Phthios, Lycios, Haliphéros, Génétor, Bucolion, Socléos, Phinée, Eumétès, Harpalée, Porthéos, Platon, Hémon, Cynéthos, Léon, Harpalycos, Héraéos, Titanas, Mantinoos, Cléitor, Stymphalos, Orchoménos... Nul ne les égalait en orgueil et impiété. Zeus voulut néanmoins les mettre à l'épreuve : il prit l'aspect d'un mendiant et se rendit chez eux. Ils lui accordèrent l'hospitalité, puis ils égorgèrent un enfant du pays, mélangèrent ses entrailles aux viandes du sacrifice, et les lui offrirent sur le conseil de leur frère aîné, Ménalos. Zeus, dégoûté, renversa la table ; à l'endroit même qui aujourd'hui s'appelle Trapézonte, il foudroya Lycaon et ses enfants, excepté Nyctimos, le plus jeune, car Gaia l'arrêta en lui prenant la main et apaisant sa colère.

III, 8, 2. Nyctimos monta sur le trône ; c'est durant son règne que se produisit le déluge de Deucalion. Et certains soutiennent que le déluge fut provoqué en raison même de l'impiété des enfants de Lycaon.

Eumélos, et d'autres encore, disent que Lycaon avait aussi une fille, Callisto ; Hésiode, cependant, affirme que Callisto était une Nymphe ; Asios, qu'elle était la fille de Nyctée, et Phérécyde celle de Cétée. Callisto était la compagne de chasse d'Artémis ; elle portait le même vêtement, et elle lui avait juré de rester vierge. Mais Zeus tomba amoureux d'elle et la viola, après s'être fait passer pour Artémis, selon les uns, pour Apollon, selon les autres. Et pour cacher à Héra ce qui s'était passé, il transforma la jeune fille en ourse. Mais Héra persuada Artémis de la frapper de ses flèches comme si c'était une bête sauvage. Certains disent aussi que la déesse tua la jeune fille parce qu'elle n'avait pas conservé sa virginité. Quand Callisto mourut, Zeus prit l'enfant et le mena en Arcadie pour que Maia l'élève, et il l'appela Arcas ; Callisto fut changée en la constellation de l'Ourse.
Apollodore Bibliothèque, 3, 8, 1

2) au sujet des théoxénies : ce qu'en disent

Théoxénies
S. f. pl. (Antiquité grecque) , fête solennelle des Athéniens où l'on sacrifiait à tous les dieux ensemble. Elle est ainsi nommée, parce qu'on y faisait des préparatifs comme pour recevoir à un festin tous les dieux, . On célébrait aussi la même fête dans d'autres villes de Grèce.
On en attribue l'institution à Castor et à Pollux. Le scholiaste de Pindare rapporte que les dioscures avaient institué les théoxénies, pour célébrer la mémoire de l'honneur que les dieux avaient daigné leur faire, d'assister à un festin qu'ils avaient préparé.
Les poètes, pour inspirer l'hospitalité envers les étrangers, assuraient qu'on pouvait d'autant moins s'en dispenser, que les dieux revêtus de la forme humaine venaient quelquefois visiter la terre, pour y observer les mœurs des hommes. C'est pourquoi Télémaque reçut Minerve dans sa maison sans la connaitre, ce dont il fut bien récompensé. Au contraire Jupiter, humana lustrants sub imagine terras, pour me servir des termes d'Ovide, vint aborder chez Lycaon qui refusa de le recevoir, et il le changea en loup à cause de son inhumanité. En un mot, tout, chez les païens, inspirait cette vertu de bienfaisance. S. Paul, en recommandant d'autres devoirs aux Hébreux, xiij. 2. y joint celui-ci : N'oubliez point l'hospitalité, car quelques-uns ont logé des anges. La loi des peuples de la Lucanie condamnait à l'amende celui qui manquait à cette charité ; on lui intentait l'action d'inhospitalité, et l'amende était au profit de Jupiter hospitalier.
Quand chez les anciens un étranger demandait à être reçu, le maître de la maison se présentait ; il mettait, ainsi que l'étranger, un pied sur le seuil de la porte, et là ils juraient de ne se faire aucun préjudice ; celui qui violait cet engagement, se rendait coupable du plus grand parjure, et était en exécration aux autres hommes ; en un mot, puisque l'hospitalité était une chose sainte et sacrée, voyez -en l'article ; voyez aussi TESSERE d'hospitalité. (D.J.)
Encyclopédie de Diderot