Bloc-Notes 2018
index précédent suivant

Accueil ->bloc-notes->2015

- >2016

-> 2017

Famille et société
(à propos de cette itv de Godelier)

 

Jamais et nulle part la famille n’a été le fondement de la société

J'aime assez cette idée et ne détesterais pas qu'on torde enfin le cou à cette rengaine détestable qui justifie tous les conservatismes sous prétexte que toute modification de sa structure altérerait définitivement le tissu social lui-même et ruinerait nos avenirs.

la société humaine se compose de familles et non d'individus. Selon le principe philosophique posé depuis longtemps, par mon ouvrage fondamental, un système quelconque ne peut être formé que d'éléments semblables à lui et seulement moindres. Une société n'est donc pas plus décomposable en individus qu'une surface géométrique ne l'est en lignes ou une ligne en points.
A Comte, Cours de philosophie positive

Cette idée que la famille - et justement non l'individu, fût la cellule de la société, son atome, et donc ce au-delà de quoi il fût impossible de remonter, est encore défendue par A Comte non seulement parce que tout autre choix serait destructeur mais aussi illogique : l'élément premier d'un objet social ne saurait être lui-même autre chose que social.

C'est assurément cette même conception - selon la thèse développée par Rosanvallon - qui explique que personne en 89 - mais pas plus en 92 - ne défendit le droit de vote des femmes : leur vote ne pourrait que dupliquer celui des hommes puisque faisant partie du même groupe, elles ne pourraient émettre d'autre avis.

On remarquera que, toujours, les idéologies les plus rétrogrades, politiquement surtout, optent pour cette conception : elle autorise effectivement la réduction de l'identité à l'appartenance au groupe et donc justifie tout asservissement à ce dernier. Mise à disposition du corps au groupe qui vaut pour les femmes comme pour les hommes, sacrifice de sa vie que l'on doit être capable de consentir au groupe … Les guerres en sont les sinistres exemples ; les Lebensborn d'insoutenables applications.

Que le giron familial soit le cadre où se constitue lentement sa propre identité ; sans doute ; il en est le premier en tout cas.

C’est le politico-religieux qui fait société et non la famille.

Mais Godelier a raison de noter que ce qui fait la société se former ce sont les rapports entretenus avec l'extérieur, le groupe social ou religieux. Je ne tiens pas pour rien que dans éducation il y ait une conduction hors de. Éduquer c'est faire sortir de ce cocon primitif.

Autrement dit c'est la société qui se constitue elle-même des relations qu'elle autorise, favorise, suscite. Nous sommes donc très loin de l'enracinement, de cette autochtonie qui vous donnerait identité ; on est tout aussi loin de cette appartenance presque ontologique à un peuple. On n'est ni juif, ni grec … tout au plus le devient-on. Parce qu'on le désire et assume le choix.

Reste ceci qui me trouble : la critique que Lévinas avait fait de la conception grecque de la cité. Cette humanité que Deucalion engendre en jetant des pierres derrière lui n'est qu'un entassement d'unités semblables. Or jamais une société ne se constitue sur cette ressemblance ; ce serait bien plutôt ce qui la ferait exploser. En réalité ce qui fait tout à coup corps et bientôt société c'est la reconnaissance de l'autre en l'autre ; cette fraternité qui naît de nos désirs et besoins respectifs et réciproques d'être reconnus.

J'aime assez qu'ainsi une société ne soit jamais un tout toujours déjà constitué mais au contraire un corps sans cesse en mouvement en train de se construire en même temps que se défaire ; un corps vivant.

Ce que, d'ailleurs, j'aurai vécu de la famille me laisse à deviner qu'il y va pareillement. Il n'est pas vrai que l'on n'aime ses parents parce que ce sont ces parents qu'une nature vous eût octroyés ; ni qu'on aime ses enfants parce que nous en serions simplement les géniteurs. Une famille est une rencontre, sans doute favorisée par la nature ou les gènes, mais une rencontre qui doit se nourrir et désirer incessamment du regard et du désir de l'autre. Je n'y vois pas de devoir mais un engagement qui parfois peut s'épuiser.

On n'est ni ceci ni cela ; décidément ! il n'y a que soi face à l'autre ; face aux autres ; face au monde ; devant l’Être. Et, parfois, le courage de tenir ce face à face.

 


 

 

les idéologies