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Pourquoi Dupond et Dupont tournent en rond

Comme Tolstoï avant lui, Hergé a souscrit à cet adage populaire qui veut que des personnes perdues reviennent sans le savoir sur leurs pas.

LE MONDE du   17.04.2012

Comme Tolstoï avant lui, Hergé a souscrit à cet adage populaire qui veut que des personnes perdues reviennent sans le savoir sur leurs pas.

Dans Tintin au pays de l'or noir, les deux inénarrables policiers Dupond et Dupont partent dans le désert à la recherche de Tintin. Après quelques jours de route, égarés, ils finissent par trouver les traces d'un véhicule et les suivent, sans s'apercevoir qu'il s'agit de celles... de leur propre Jeep. La même mésaventure leur arrive dans On a marché sur la Lune, quand, après avoir gambadé sur notre satellite, ils tombent sur une double série d'empreintes de pas... Tout comme Tolstoï avant lui, qui, dans sa longue nouvelle Maître et serviteur, avait fait tourner en rond son héros pris dans une tempête de neige, Hergé a souscrit à cet adage populaire qui veut que des personnes perdues reviennent sans le savoir sur leurs pas.

En 2009, à l'invitation d'une chaîne de télévision allemande, des chercheurs ont voulu vérifier si cette croyance était fondée, car la littérature scientifique semblait muette sur le sujet. Ils ont donc testé la capacité des humains à avancer en ligne droite sur des terrains inconnus et dans deux environnements différents : une grande forêt allemande et le désert du Sahara. Les participants à ces tests devaient marcher plusieurs heures consécutives en suivant un cap défini au départ par les expérimentateurs. La trajectoire des cobayes était enregistrée grâce à un appareil de positionnement par satellite.

Premier enseignement de cette étude : tant qu'ils peuvent voir le soleil, nos amis Homo sapiens parviennent sans problème à suivre une trajectoire plus ou moins rectiligne. En revanche, si l'astre du jour se cache derrière les nuages ou se couche, le chemin que dessine le promeneur solitaire se tord et se tortille, se courbe et se recoupe. Ainsi, sur les six expériences forestières, les quatre menées par temps couvert ont donné des tracés tourmentés. Trois des cobayes sont même revenus sur leurs pas sans s'en apercevoir. Quant à l'unique courageux qui a marché de nuit dans le Sahara, il a pu s'en tirer tant que la lune était visible. Ensuite, il a réalisé un magnifique et inconscient demi-tour...

Mais qu'est-ce qui nous fait virer de bord quand la boussole solaire disparaît du paysage ? Le deuxième enseignement de cette étude nous dit que les asymétries corporelles (par exemple être droitier ou gaucher du pied ou bien avoir une jambe plus forte ou plus courte que l'autre) n'y sont pour rien. Pour exclure cette possibilité, les auteurs de l'étude se sont livrés à une seconde série d'expériences où les participants devaient, les yeux bandés, marcher droit devant eux pendant cinquante minutes - sur un terrain sans arbres. Au bout de seulement quelques décamètres, la trajectoire de chacun est devenue complètement chaotique, sans qu'une quelconque corrélation puisse être établie entre les boucles que certains traçaient et leurs asymétries corporelles.

Selon les chercheurs, l'hypothèse la plus plausible pour expliquer que l'homme privé d'un fort repère visuel ou sonore se met à tourner en rond lorsqu'il marche est que son système interne de gestion du déplacement est très vite saturé en informations et ne sait plus gérer la situation. Ce n'est cependant qu'une hypothèse et, comme le fait remarquer l'étude, il y a une certaine ironie à voir que, à l'époque où la géolocalisation ultraprécise est partout, dans les avions, les voitures et les téléphones portables, nous en sachions si peu sur la manière dont fonctionne notre propre sens de l'orientation.