Bloc-Notes 2017
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Quand Jean-François Sirinelli observe une révolution générationnelle

 

Jean-François Sirinelli voit dans l'élection d'Emmanuel Macron " une révolution générationnelle ". Dans son récent ouvrage, Les Ré-volutions françaises. 1962-2017, l'historien le démontre, chiffres à l'appui : " Macron apparaît bien comme le candidat victorieux d'une France post-baby-boomeurs. Les statistiques viennent confirmer cet état de fait : l'âge médian des Français s'établit en  2017 à 40,4 ans, soit un an de plus que le nouveau président. Une telle concomitance est inédite sous la Ve  République. " " 2017 fut une sorte de chant du cygne pour la génération du baby-boom ", ajoute-t-il.Trois baby-boomeurs crurent pouvoir être élu président de la République : Alain Juppé, né en  1945, longtemps en tête dans les sondages ; François Fillon, né en  1954, également un temps favori ; et Jean-Luc Mélenchon, né en  1951, qui, jusqu'au bout, cru pouvoir accéder au second tour de l'élection.

" Génération prince Charles "

Jean-François Sirinelli rappelle que si les baby-boomeurs se sont distingués sur le devant de la scène politique depuis le début des années 1980, ils ont piétiné avant d'arriver au pouvoir. Les doubles mandats de François Mitter-rand (1981-1995) et de Jacques Chirac (1995-2007) ont différé la consécration politique de  la génération du baby-boom, celles de Nicolas Sarkozy, né en  1955, et de François Hollande, né en  1954. Ainsi, nombre de leurs congénères aux parcours politiques brillants n'ont pas eu droit à leur tour : Laurent Fabius, né en  1946 ; Dominique Strauss-Kahn, né en  1949 ; ou Ségolène Royal, née en  1953. " Macron l'avait prévu ", note Jean-François SirinelliInterrogé par Le Point, en juillet  2008, alors qu'il était jeune inspecteurs des finances, tout juste émoulu de la commission Attali pour la libération de la croissance française, Emmanuel Macron anticipait que les baby-boomeurs lâcheraient " le volant le plus tard possible ", entravant par là même leurs cadets de la génération suivante. " Ceux qui sont nés dans les années 1960 – Manuel Valls, Benoît Hamon et Marine Le Pen –, qu'Emmanuel Macron avait appelés, il y a dix ans, la “génération prince Charles” – celle qui attend le pouvoir sans jamais l'avoir –, sont les victimes expiatoires d'une France en voie de rajeunissement. Incontestablement, Macrona raisonné en termes de générations ", analyse l'historien.

" Le fait que l'épouse du nouveau président soit une baby-boomeuse est rassurant pour une certaine partie de l'électorat ", ajoute-t-il. Jean-François Sirinelli note au passage que le couple formé par Emmanuel et Brigitte Macron est en soi une révolution au niveau des mœurs. " En  1969, Gabrielle Russier, professeure de français de 32 ans, qui avait noué une liaison avec l'un de ses élèves de 2de, se donnait la mort après avoir été inculpée pour enlèvement et détournement de mineur. Un demi-siècle plus tard, Emmanuel Macron affiche en couverture des magazines l'ima-ge heureuse du couple formé avec celle qui fut sa professeure de lycée, sans que cela suscite de remous particuliers ", observe Jean-François Sirinelli.

Pour celui-ci, trois raisons expliquent pourquoi l'élection d'Emmanuel Macron est " un moment essentiel de la Ve  République ". Tout d'abord, la conquête du pouvoir, menée hors du cadre des grands partis, est venue récompenser une ascension aussi fulgurante qu'inédite : Emmanuel Macron est devenu à 39 ans le président le plus jeune de la Ve  République, alors qu'il ne possédait qu'une expérience ministérielle et qu'il n'avait jusque-là jamais brigué de mandat. " D'autres avant lui ont connu destrajectoires apparemment aussi météoriques, note l'historien. Valéry Giscard d'Estaing fut élu président de la République, en  1974, à l'âge de 48 ans. A l'époque, les Français avaient été frappés par sa précocité, mais celui-ci avait fait son entrée en -politique dix-huit ans plus tôt. " Pour ce  spécialiste d'histoire politique et cultu-relle, un second signe indique que le printemps 2017 constitue un moment de bascule de l'histoire de la Ve  République : le parti présidentiel, En marche !, a obtenu la majorité absolue aux élections législatives. " D'autres partis avaient disposé d'une majorité absolue, comme l'Union pour la nouvelle république (UNR) en  1968 ou le Parti socialiste (PS) en  1981, mais il ne s'agissait pas de formations politiques nouvelles. Pour la première fois, plus de trois cents députés venant d'horizons divers, sans culture politique commune clairement identifiée, ont fait leur entrée à l'Assemblée nationale. "

phase belliqueuse

Troisième élément : " Près de 40  % des députés élus sont des femmes, ce qui est  inédit, relève Jean-François Sirinelli. N'oublions pas qu'après la Libération seuls 5  % des députés étaient des -femmes. Il a fallu attendre 1997 pour -qu'elles représentent 10  %, et 2012 pour qu'elles atteignent 25  %. " L'historien rappelle que le président se retrouve à la tête d'un pays qui est entré dans une phase belliqueuse après les attentats de 2015, alors qu'il avait vécu en paix depuis 1962. " Le monarque républicain ne redevient pas thaumaturge, n'ayant pas véritablement le pouvoir de guérir, mais en tant que chef des armées il devient martial dans l'expression et régalien dans l'incarnation. Du régalien au “jupitérien”, il n'y a qu'un pas  supplémentaire, franchi par Macron ", remarque Jean-François Sirinelli.

Pour l'historien, le malaise socio-politique que connaît la France reste profond. En témoigne l'attitude contes-tataire qui grandit depuis le milieu des années 1990. " Pour que ce moment Macron reste sur sa phase ensoleillée –  sans mauvais jeu de mot –, il faudrait que les réformes marchent. Sans cela –  et c'est là qu'arrive mon mauvais jeu de mot –, les Français lui diront :“merci pour ce moment, mais au revoir” – en tout cas en termes de popularité. "

Antoine Flandrin