Bloc-Notes 2017
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Jean-Noël Jeanneney " En définitive, gauche et droite resurgiront " Regards d'intellectuels sur la victoire d'Emmanuel Macron

Ancien secrétaire d'Etat, ancien -président de la BNF et de Radio France, Jean-Noël Jeanneney vient de publier Le Moment -Macron. Pour fouiller le rapport au pouvoir du nouveau chef de l'Etat, ses idées, sa pensée et son -positionnement tactique, de même que le contexte de sa victoire, l'historien analyse ce qui, dans l'histoire de France, rappelle la situation présente et peut éclairer l'avenir.



Emmanuel Macron est arrivé au -pouvoir sans guère de passé politique. Est-ce pour cette raison que vous avez décidé d'aller puiser dans l'Histoire des analogies, des clés, pour comprendre qui il est ?

M. Macron n'a surgi que tout récemment sous notre regard. De surcroît, il n'est visiblement pas une personnalité simple. Dans l'instantanéité des interrogations, il est précieux de réinsérer de la lenteur. C'est la -vocation de l'historien. Je me suis interrogé sur ce que les précédents pouvaient nous dire de ce nouveau pouvoir. Mais aussi sur  l'usage que ce jeune président fait de l'Histoire. Je me suis appuyé sur ses écrits. Il  n'est pas sorti tout nu d'une caverne : il existe déjà tout un corpus macronien.



Vous évoquez le terme " révolution ", du latin " volvere ", qui peut signifier -retour au point de départ, et qui est aussi le titre du livre de campagne de -M. Macron. Ce nouveau monde, dont il prétend être le visage, ne serait-il pas plutôt une forme de restauration ?

Il ne faut jamais exagérer l'inédit, même si cette élection constitue évidemment une  rupture, du point de vue de l'équilibre des forces politiques, de l'émergence d'une -personnalité nouvelle ou encore de la conjoncture internationale. Mais ce " moment -Macron " évoque d'autres périodes historiques, par exemple, entre autres, 1958 ou le gouvernement Waldeck-Rousseau, de  1899 à 1902, qui sont propres à éclairer la  nôtre.



Commençons par 1958 et la naissance de la Ve  République, référence -qu'Emmanuel Macron revendique…

Avec 1958, il y a beaucoup de traits communs : la volonté de retrouver une efficacité, de redonner à la France un rôle d'impulsion en Europe et dans le monde, en -affirmant son indépendance. Il y a aussi la fameuse exclamation de De Gaulle : " C'est pas la gauche, la France, c'est pas la droite, la France ! " En  1958, le Général avait appelé dans son gouvernement trois socialistes, trois démocrates-chrétiens et trois personnalités de droite, mais aussi de nombreux " techniciens ". Comme Macron, il était dans une urgence, obsédé par la -nécessité d'agir vite, quand la glaise était encore molle. Il a utilisé l'équivalent des ordonnances, lui aussi, une délégation de pouvoir qui lui a conféré une liberté d'action pendant six mois, grâce à laquelle il a introduit des réformes majeures. Un -détail : de Gaulle donna son aval à toutes les désignations pour les législatives, une par une, comme on dit qu'Emmanuel -Macron le fit aussi. Et vos confrères de l'époque ne croyaient pas que la toute jeune UNR pût acquérir un poids solide au Palais-Bourbon, ce qui fut pourtant le cas !



Et en quoi M. Macron vous fait-il -penser à Waldeck-Rousseau ?

Pierre Waldeck-Rousseau était une personnalité assez jeune, dotée d'une forte autorité, et qui a assumé un " gouvernement des centres " au service de l'intérêt général. Il a été appelé à un moment où le pays s'enlisait dans des affrontements délétères : on sortait du boulangisme et de l'affaire Dreyfus. Il a fait venir à lui des personnalités des deux bords : Alexandre Millerand, le premier ministre socialiste qui soit entré dans un gouvernement, et le général de Galliffet, " fusilleur de la Commune ". Cela marcha au début. Il y eut des réformes importantes, comme la grande loi sur les associations de 1901. Puis, au bout de trois ans, le pouvoir revint au Bloc des gauches, donc à l'affrontement entre gauche et droite.



La victoire d'Emmanuel Macron -constitue-t-elle un vrai tournant par rapport au clivage droite-gauche ou est-elle une simple parenthèse ?

L'avènement du centre est un vieux rêve, chez beaucoup, en France. Mais il a rarement été durable. Giscard, qui prétendait rassembler " deux Français sur trois ", a été promptement rejeté vers la droite. Bien des permanences, liées à l'Histoire, à  la géographie électorale, aux généalogies personnelles et collectives, ne disparaissent pas. Je crois que l'effacement du clivage ne durera qu'un temps et qu'en définitive gauche et droite resurgiront. Je  continue à penser, avec Alain, que quand quelqu'un dit que la droite et la gauche n'existent pas, c'est qu'il est de droite. La question majeure est celle-ci : que restera-t-il de fécond de la -parenthèse qui s'ouvre ?



Vous comparez également le -macronisme au saint-simonisme.

Le saint-simonisme est un mouvement représentatif du XIXe  siècle, forgé à partir de la conviction qu'il ne fallait pas que le gouvernement se contentât de jouer un rôle régalien, mais qu'il avait aussi vocation à intervenir directement dans la vie économique et sociale. Saint-Simon écrivait qu'il fallait " substituer au gouvernement des hommes l'administration des choses ". Car, ajoutait-il, " une nation n'est autre chose qu'une grande société d'industrie ". Il y avait donc déjà l'idée qu'il fallait que l'Etat intervînt afin de libérer les énergies – mais sans laisser personne au bord de la route : souci capital, dont on espère qu'il prospérera dans le proche avenir. Emmanuel Macron est fils du saint-simonisme.



Quel usage fait, selon vous, M. Macron des symboles historiques ?

Il a beaucoup réfléchi à l'indispensable symbolique du pouvoir. La soirée de sa victoire, au Louvre, est emblématique : la pyramide de Mitterrand et de Pei, l'Ancien Régime avec les Tuileries, mais aussi l'Empire avec la cour Napoléon, et le Carrousel qui évoque Austerlitz…



Emmanuel Macron a étudié Machiavel. En est-il un disciple ?

Machiavel s'est moins soucié de la -conquête du pouvoir que de son exercice et de sa perpétuation. La caricature ne -retient que le mensonge, le cynisme… Mais il y a bien davantage chez lui. Il y a une quête des moyens de travailler ensemble, durablement, dans l'intérêt collectif. La -brigata de Machiavel évoque déjà la -petite -cohorte macronienne. Machiavel a été au pouvoir, puis en a été rejeté. Sa pensée est donc utile à n'importe quel dirigeant.



Vous évoquez, dans votre livre, la -tentation de l'hubris et la vanité du pouvoir. Existent-elles chez M. Macron ?

Je ne peux répondre sérieusement, pour l'heure, car je ne connais personnellement ni le président ni ses proches. Mais la façon dont il a été élu et la nature même de nos institutions créent le risque d'un cercle de courtisans voué à couper le chef de la réalité. Je me pose une question : Emmanuel Macron possède-t-il le sens du cocasse ? Qualité indispensable au recul sur soi-même et sur les choses. Les grands hommes d'Etat l'ont souvent. Voyez Clemenceau. De Gaulle aussi, ou Churchill…

Propos recueillis par Bastien Bonnefous et Solenn de Royer