Bloc-Notes 2016
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Divorce à l'anglaise ou à l'italienne ?

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Quand deux individus se séparent, il est convenu, au moins par prudence ou politesse, de supposer que la responsabilité en incombe au deux.

Il en va de même ici !

Du côté anglais

On pourrait sans aucun risque rappeler que depuis le début le RU aura tenté de jouer sa propre partition et que l'épisode Thatcher - I Want my money back - illustra parfaitement combien cette adhésion ne remplissait pas tout à fait les conditions que de Gaulle y avait mises : l'acceptation totale des règles, droits et devoirs de tout membre. Depuis elle ne cessa de jouer sa propre partition refusant tout ce qui pouvait ressembler à du fédéralisme et ne retenant que ce qui l'y intéressait : une zone de libre-échange. C'est en tout cas avec elle, et le rabais qu'elle obtint, que débuta l'Europe à deux vitesses.

 

Inutile en la matière de fustiger la perfide Albion : voici discours aussi inutile que faux. On peut toujours s'amuser à regretter qu'en la faisant entrer on aura fait fi des réalités géopolitiques - tant économiques, politiques que géographiques - sur lesquelles de Gaulle s'appuya dès 63 et jusqu'au terme de sa présidence en 69. C'était le fameux l'Angleterre est une île et elle le restera qu'il aura prononcé alors même qu'à Bruxelles son ministre Couve de Murville négociait les conditions d'une éventuelle adhésion anglaise.

Inutile parce qu'on la laissa entrer en 1973 - avec le Danemark et l'Irlande - et que cette décision, parce que politique, était légitime et l'était d'autant plus qu'approuvée, en France notamment, par référendum (Avril 72). Que cette décision fut ou non une erreur - et l'on pourrait en dire autant des élargissements successifs et notamment de l'entrée de la Grèce en 1981 - elle participait de l'honneur et de l'essence même du politique : si le politique ne consistait qu'à se plier à l'ordre des choses, il se nommerait gestion.

Inutile encore - et dans cette allocution G Pompidou l'exprime assez clairement - parce que chaque Nation fort logiquement tente d'abord de préserver ses propres intérêts et que donc si les intérêts anglais auront fini par prévaloir c'est aussi parce qu'en face on n'aura pas réussi - ou voulu - maintenir un rapport de force qui le rendît impossible. Ce qui renvoie, c'est le moins que l'on puisse dire, aux divisions internes. On remarquera néanmoins que Pompidou évoque les intérêts économiques. Omet avec superbe toute dimension sociale. Nous aurions du mieux écouter.

Du côté de l'Europe, il y aurait paradoxalement bien plus à dire.

On a pris l'habitude de la voir progresser au fil des crises et il n'est pas faux de dire qu'à sa façon le traité de Maastricht, pour ne prendre que cet exemple fut la réponse du berger à la bergère. Faisons fi du mythe que constitue le couple franco-allemand comme supposé moteur de la Communauté Européenne : je veux bien que la poussée initiale vînt de là et ne pût venir que de là, mais passée l'ère des pionniers qui se prolongea cahin caha jusqu'à Mitterrand/Kohl, qu'en reste-t-il désormais ? et surtout - il n'est pas besoin d'être grand clerc pour le comprendre - on ne met pas en branle un monstre d'une vingtaine de membres comme on faisait bouger un petit groupe de six !

Or, tout au long de son histoire, l'Europe s'est révélée incapable de résoudre ses divisions non plus que ses contradictions. Exemple crucial et à mes yeux le plus honteux : la guerre en ex-Yougoslavie où elle révéla l'abyssale absence de politique étrangère commune mais son impuissance surtout en empêcher un crime contre l'humanité qui se perpétra à sa porte ! Quelques uns tentèrent de sauver l'honneur mais les gestes symboliques font rarement bouger les lignes.

Elle aura en tout cas commis une faute - la plus grave de toutes : elle aura déjugé le peuple. Celui-ci, depuis quelques temps, l'aura déjugée en retour, de manière de plus en plus ferme. Le traité de Lisbonne de 2007 aura été, avec plus ou moins de cynisme, une manière invraisemblable de contourner le refus de la Constitution proposée en 2005 : cas criant en France où on remplacera un non référendaire par un simple vote parlementaire de ratification.

On ne convoque pas le peuple aux urnes pour ne pas l'écouter. Je ne sais pas si l'Europe s'en remettra jamais. Vice caché, congénital, son esprit technocratique se révélait dans toute sa cruauté. L'ironie voudra que, depuis, à mesure que se manifestèrent des poussées euro-sceptiques voire anti-européennes, on se contenta du côté de Bruxelles d'esquisser des moues dédaigneuses et de répudier ces acnés populistes. On n'essaya pas de comprendre ; on alla en sens inverse. C'est bien ici que réside le vice caché de l'Europe : elle va de l'avant, semblant obéir au conatus de Spinoza ( cette tendance pour un être à persévérer dans son être ) en dépit de tout, de tous. Elle n'a pas d'alternative, pas de plan B, mais pas non plus les moyens de se faire approuver ou aimer.

L'Europe a succombé aux sirènes libérales et technocratiques : il faut atteindre la taille critique ! et aura bricolé à la va-vite des institutions invraisemblables auxquelles personne ne comprend rien, où surtout personne ne se reconnaît.

Un monstre de l'histoire ?

Quel prodigieux contresens en tout cas. On entend partout, répété jusqu'à la nausée que l'Europe était le rempart contre la guerre. Qu'on le pût croire dans les années 50, au moment même où se jouait la reconstruction et la réconciliation franco-allemande, je peux l'imaginer. Mais c'est en réalité le contraire : l'Europe est fille de la guerre et l'a toujours été. Je ne sache pas de guerre qui n'eût pour objectif de redessiner la carte du continent ; je ne connais pas de guerre qui ne tentât de se jouer de la Grande-Bretagne pour se ménager quelque hégémonie sur le continent ( programme de guerre de 14, par exemple ) ou avec elle (plan Marshall) …

Ce qui est en tout cas évident tient à l’incapacité de l'Europe de se reconstruire par le haut, c'est-à-dire par un projet politique commun, et au choix dès lors incontournable de la bâtir, pas à pas, par le bas - par les échanges économiques - donc la CECA ne fut que le premier terme. L'échec de la CED signait le premier acte dont celui du référendum de 2005 n'aura été que le dernier en date : l'Europe avança toujours masquée ; elle est en train de le payer cher. Géant économique, nain politique : on l'a souvent duit de l'Allemagne tant qu'elle demeura divisée. On peut l'écrire de l'Europe - qui en réalité le demeure.

Là est la tare originaire dont elle porte purulentes les traces : il faut relire le Mendès de 57 qui s'oppose aux négociations sur ce qui allait donner le Traité de Rome. Il n'y voit que les antiennes mille fois répétées d'un libéralisme désuet du XIXe et craint par dessus tout deux choses qui se révéleront exactes :

Enfin, pour en revenir au fond, le projet de marché commun tel qu’il nous est présenté ou, tout au moins, tel qu’on nous le laisse connaître, est basé sur le libéralisme classique du XIXe siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes.
(...)
L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement « une politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale.
Mendès France

On ne peut pas dire qu'il se soit beaucoup trompé. Au nom de la mondialisation, mais d'abord de la libre circulation des biens et des hommes, c'est bien à un véritable dumping social que l'on aura assisté - qui n'est pas encore achevé, mais qui aura toujours tôt fait de justifier nos difficultés par des salaires trop élevés, des charges trop lourdes, des règles trop rigides…

Quant à la démocratie ! les transferts de plus en plus nombreux de compétences vers Bruxelles, l'oubli aussi du principe de subsidiarité qui avait été au cœur de la promesse de Delors lors du vote du Traité de Maastricht, la création d'instances monétaires indépendantes au nom de l'orthodoxie libérale, les dérégulations successives, tout ceci cumulé aura fini par confier ? non abandonner nos destins entre les mains d'hommes, en fait à des institutions tellement éloignées de nous, où nous peinons à nous reconnaître quand bien même nous le désirerions encore.

Dire cela ce n’est pas être hostile à l’édification de l’Europe, mais c’est ne pas vouloir que l’entreprise se traduise, demain, par une déception terrible pour notre pays, après un grand et bel espoir, par le sentiment qu’il en serait la victime et, tout d’abord, ses éléments déjà les plus défavorisés.
id

Nous y voilà ! Une grande idée ne le reste jamais longtemps. L'Histoire est passée ; impatiente elle a fini par se détourner. Je crains qu'il ne soit trop tard.

Reste la belle comédie d'un divorce à l'Italienne : quand on veut se débarrasser d'un chien on l'accuse de la rage. L'Europe, elle, n'a peut-être même plus besoin d'être assassinée !