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Face au FN
Une ITV dans Libération de Camus et Lebourg sur ce qu'il conviendrait de faire face au FN ! Un titre prometteur : sortir de la paresse intellectuelle ...
Me rappelle ce petit dictionnaire (1) pour lutter contre l'extrême droite, paru en 1997 qui souligne trois choses :
- combien le paysage politique a changé en 15 ans : le FN semblait alors se résumer aux incartades verbales de JM Le Pen, à sa fonction classique de parti protestataire dont on pouvait, certes, craindre la contagion mais dont l'essentiel de la malignité semblait consister en un indéniable racisme, en une xénophobie avérée qu'il suffirait sans doute de dénoncer. Entre temps, le parti a enflé et le virage, selon moi plus apparent que réel, de la vague bleu-marine aura révélé une ambition politique désormais incontestable - il semble bien que JMLP se fût plutôt satisfait de gérer sa petite boutique de trublion pernicieux que d'accéder réellement au pouvoir. (voir cet extrait)
La stratégie alors adoptée consistait presque toujours à souligner les origines troubles, les accointances avérées, les amitiés inavouables avec des pétainistes impénitents, des collaborateurs avoués ou non et à décliner son discours sur l'immigration comme une forme moderne à peine ripolinée de la xénophobie, du racisme des années 40 - ce qu'illustrent assez bien les extraits ici repérés
Il y a désormais, à côté du discours sécuritaire classique, de l'affirmation de la préférence nationale, et de la xénophobie endémique, un projet politique et économique qui, pour être pernicieux, n'en est pas moins réel. - Le poids et la force d'attraction du FN ne sont plus du tout les mêmes : donné gagnant dans deux à quatre régions ; comptant parmi ses élus quelques députés - ce que l'on a longtemps cru possible seulement au profit d'un scrutin proportionnel comme en 86. Donner accès à la TV dans les années 88 pouvait ne pas encore sembler trop dangereux ; le poids politique que le FN représente désormais le rend inéluctable.
M Le Pen sera ainsi reçue à l’Élysée, à la suite des attentats par un F Hollande à la recherche d'un consensus sur les mesures à prendre (état d'urgence notamment). Sa légitimité politique est devenue un fait - incontournable. Sans doute ses succès électoraux demeurent-ils encore limités aux scrutins locaux, mais la porte du pouvoir est entrouverte comme jamais elle ne le fut. C'est assez dire que l'anathème jeté sur un parti qui ne rassemblerait que les séquelles nostalgiques d'un pétainisme désuet, la dénonciation d'un racisme insoutenable ne suffisent plus pour combattre. Dialoguer ? Aussi ambiguë que demeure sa position - comparer le programme du FN avec celui de l'extrême-gauche ou même celui du Programme Commun de 1973 relève quand même de l'amalgame outrancier et de l'effet de tribune - même le MEDEF en la personne de P Gattaz s'y met ! (3) - Indépendamment de sa tendance toujours réactualisée de faire de l'immigration la source de tous nos maux, compte non tenu du fait que de tels discours, qu'on le veuille ou non, trouvent un écho non négligeable dans l'opinion, le FN s'est défini un programme économique qui a quitté depuis longtemps les délires dirigistes et autarciques pour entonner des refrains libéraux incontestables expliquant en partie l'inefficacité des critiques
Aussi détestable qu'en soit la perspective, sans doute oui, faudra-t-il demain mettre les mains dans le cambouis ...
Que nous proposent de faire ces deux brillants intellectuels ?
- de prendre conscience qu'il y a, dans l'opinion européenne, une véritable demande autoritaire. Que celle-ci n'est pas seulement la réaction passagère à des actes terroristes mais un mouvement de fond à qui ne peuvent répondre ni le pragmatisme libéral de la droite(4) ni la crise idéologique de la gauche.
Cette demande, qui me paraît plus une réaction, qu'une réelle aspiration est en tout cas renforcée par un système politique qui ne marche plus : absence réelle de contre-pouvoirs ; défaillance des partis qui ont cessé depuis longtemps d'être des ateliers à idées, à programme et à projets pour ne plus rester que des machines électorales dépossédées même, via les primaires, de la capacité de désigner eux-mêmes leurs candidats ; vide idéologique sidéral qui se cache derrière le pragmatisme ou l'expertise mais se solde, on l'a déjà suggéré maintes fois, par un déni du politique lui-même de n'appeler plus qu'à l'adaptation aux mutations qui nous échappent. - de cesser de le comprendre et de le combattre à partir des canons du passé. En ceci, ils ont raison. Le FN ne se ramène ni au nazisme ni au pétainisme ; ni peut-être même au fascisme. Que dans son histoire et sa formation, il ait réuni les nostalgiques des années 40, les intégristes catholiques est une évidence mais ne suffit pas à en faire un parti fasciste. Il en a parfois la rhétorique, le discours martial, et la virilité tapageuse mais, les sous-officines clandestines qui se cachent derrière telle ou telle mouvance ou revue mises à part, il n'y a pas, dans la propagande officielle du parti en tout cas, de projet fasciste au sens où il se proposerait de transformer l'homme en le forgeant sous l'égide d'un État fort, d'un guide.
C'est au fond toute la question de la transformation qu'entreprend depuis deux ans Marine Le Pen : qu'il s'agisse d'un simple leurre, d'un subterfuge électoral pour faire paraître son parti plus acceptable, plus présentable, plus républicain en somme, alors la vérité du parti serait à chercher dans ce vieux fonds fasciste que l'on cherche à taire ; qu'il s'agisse au contraire d'une mue idéologique profonde qui expliquerait assez bien la violence incroyable - allant jusqu'au meurtre du père - qui préside à l'élimination des caciques, une mue qui vise à rendre le pouvoir accessible et exerçable à l'appui d'un programme se voulant réaliste, alors oui, on comprend mieux pourquoi la lutte contre lui au nom de son fascisme marche encore moins bien qu'autrefois. Toujours est-il que l'opinion ne perçoit pas le FN comme un parti fasciste mais comme une alternative aux échecs successifs de la droite et de la gauche.
Il est vraisemblable, et les alliances ailleurs en Europe l'ont montré, que l'extrême-droite peut aisément se satisfaire d'un libéralisme bon teint à condition que l'immigration soit maîtrisée dans le sens qui est le sien. Libéralisme ethnicisé, écrivent-ils.
En réalité le FN demeure une réaction comme le furent toutes les mouvances réactionnaires. Le refus de la modernité ne revient plus à un retour à la terre comme en 40 ; sa nostalgie à lui, ce sont les Trente Glorieuses, la société industrielle triomphante - moins les immigrés. Dans la mesure où cette nostalgie est entretenue par les politiques de tous bords, on comprend son audience.
Ce que sous-estiment pourtant ces deux auteurs c'est assurément l'angoisse que sécrètent à la fois les périls environnementaux, la crise indépassable qui fournit son lot de précarité, de misère et d'incertitudes, adjoints aux menaces terroristes.
Ce qu'ils sous-estiment c'est la catastrophe que représente l'incapacité de la gauche à définir, penser et proposer un projet alternatif et rassembleur. Le social-libéralisme qu'on nous sert, comme on octroie une maigre pitance à ses pauvres dans cette vaste soupe populaire qu'est devenu le forum politique, est pire qu'une maladroite copie de l'original ; bien pire qu'une illusion ; une trahison. Tournons et retournons le problème comme on voudra en ses multiples facettes : la gauche n'a rien à dire ni à proposer d'autre qu'une cautère sur une jambe de bois. Elle le paie cher ! Elle a disparu. Elle ne s'est remise ni de l'effondrement du projet communiste ni de son exercice répété du pouvoir.
On prête souvent à Mitterrand le machiavélisme d'avoir soufflé sur les braises du FN en 86 pour empêcher la droite de revenir au pouvoir ; comme on lui avait prêté le projet de ne s'unir au PC que pour mieux l'étouffer. Ce que je constate c'est, en tout cas, qu'à la fin de l’histoire, l'arroseur est bien arrosé. La gauche a disparu.
Le FN représente pourtant une chance historique pour la gauche, que la droite classique ne peut lui offrir. Celle d'être enfin, de nouveau, politique. Face au FN, rien des sages considérations d'experts ne saurait suffire. C'est mot à mot, projet contre projet, idée contre idée qu'il faut se battre.
Idées ! encore faut-il en avoir.
Idées la SFIO en avait encore malgré le départ des communistes à Tours. Et ce qui fut réalisé en 36 ne manquait ni d'élégance, ni de grandeur. Idées, elle en avait encore en 81 avant que de renoncer à tout ou presque pour l"horrible injonction de paraître meilleure gestionnaire que la droite. Idées, il en resta quelques unes encore en 97 pour ce délicieux intermède de la gauche plurielle qui ne sut aller au bout de sa volonté.
Aujourd'hui ?
Pourtant, de la transition écologique à la lutte contre les terrorismes totalitaires ; de l'invention d'une post-modernité encore à concevoir à la promotion d'une République humaniste, il en reste de beaux projets politiques à réaliser, de luttes politiques à mener. Encore faudrait-il se souvenir que l'essence du politique réside dans le refus du réel en ce qu'il peut avoir de brutal et de violent, dans l'invention d'un espace où se réaliser et non dans la simple adaptation servile aux rapports de force ambiants.
Le FN prolifère sur le terrain que la gauche a honteusement abandonné : il serait sot et vain d'attendre de la droite qu'elle mène ce combat ; elle n'en a ni la volonté ni l'outillage théorique. Ce combat c'est à la gauche de le mener ! Qu'elle se réveille ! il est grand temps.
.1) le texte de cette brochure est accessible sur le site de M Fingerhut Ressources documentaires sur le génocide nazi et sa négation
2) seul scrutin législatif sous la Ve, rappelons-le, à s'être fait à la proportionnelle intégrale et qui donna une trentaine d'élus au FN dont JM Le Pen
3) voir Libération ou Le Monde
Pour Pierre Gattaz, ça ne tient pas la route. « Je ne m’exprime pas sur la politique mais sur le programme économique du Front national », précise d’entrée le président du Medef avant de critiquer vertement le parti de Marine Le Pen. A cinq jours des élections législatives, qui s’annoncent favorables à une percée du FN, Pierre Gattaz met en garde contre un programme économique qui est « l’inverse de ce qu’il faut faire pour relancer la croissance économique du pays », dit-il dans un entretien au Parisien paru mardi 1er décembre.
« Là, je dis attention ! Car [le programme économique] me rappelle étrangement le programme commun de la gauche de 1981 », poursuit-il avant de citer les mesures qui l’inquiètent : « retour de la retraite à 60 ans, augmentation de tous les salaires avec notamment une hausse du smic de 200 euros, retour au franc, augmentation des taxes d’importation… ». M. Gattaz redoute de voir le FN remporter deux régions, comme l’annoncent les sondages : « L’économie a besoin de pragmatisme, de lucidité. »
Mélenchon-Le Pen, l’épouvantail qui remplace l’« UMPS »
« Ce n’est pas un programme économique responsable », poursuit le numéro un du Medef. « Il n’est tourné ni vers l’avenir, ni vers la compétitivité. » Pour ce dernier : « On ne peut pas fermer les frontières. Le monde attend la France et ce n’est pas en nous recroquevillant sur nous-mêmes que nous allons y arriver. Il s’agit de ne pas confondre les problèmes sécuritaires avec les problèmes économiques. »
Un programme du FN qui « ressemble à celui de l’extrême gauche » et « je ne suis pas d’accord », assène encore Pierre Gattaz. Il combat aussi l’équipe de Marine Le Pen sur son propre terrain. Alors que le FN vilipende régulièrement l’« UMPS », pour Pierre Gattaz, « extrême droite, extrême gauche, c’est la même chose : Mélenchon-Le Pen, même combat. En 1981, ça nous a mis dans le mur pendant deux ans. Ne recommençons pas. »
Une nouvelle critique qui s’élève hors des rangs politiques, alors que le quotidien régional La Voix du nord s’est prononcé contre le Front national la veille, affichant la couleur dès sa première page
4) quel meilleur signe que l'absence de toute revue théorique chez les Républicains, relevée par les deux auteurs