Textes

Jean Scot Érigène

 

Dieu est Néant [1]

Maître
— Le but et le thème principal de notre Philosophie de la Nature a d'abord consisté à prouver que la Cause incréée et créatrice de tous les existants et de tous les non-existants correspond à l'unique Principe, à l'unique Origine et à l'unique Source de tout ce qui existe, qui ne procède elle-même de rien, alors que tous les existants procèdent d'elle, qui est la Trinité coessentielle en trois Personnes, qui est , c'est-à-dire sans principe en elle-même, mais qui est aussi le Principe et la Fin de tous les existants, l'unique Bonté, l'unique Dieu coessentiel et suressentiel, est une Nature , c'est-à-dire une Nature suressentielle.

Dieu est transcendance et immanence [2]

Maître
— [...] Car l'Écriture sainte déclare : « Dieu dit : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, etc. » (Genèse 1:26) Et cette primauté a été conférée à l'homme, que l'homme eût péché ou que l'homme n'eût pas péché, même si l'homme n'avait pas gouverné le monde, s'il n'avait pas péché, de la même manière qu'il l'a gouverné après avoir commis le péché. Mais afin que tu comprennes cette vérité avec davantage de certitude, crois-tu que l'homme est un animal dans sa composante qui a été créée à l'image de Dieu, ou crois-tu que l'image de Dieu subsiste dans sa composante, selon laquelle il a été produit à partir du limon comme classé parmi les animaux, ou encore crois-tu que ces deux états, à savoir l'état d'image et l'état d'animal, ne peuvent pas coexister véritablement en l'homme ?
Disciple
— En ce qui concerne la dernière hypothèse, je n'ose émettre aucune objection, car la droite raison nous confirme que ces deux états coexistent dans l'homme. Mais en ce qui concerne la première hypothèse, à savoir que l'image de Dieu subsiste dans l'homme animal et que l'homme animal subsiste dans l'image de Dieu, j'inclinerais à répondre catégoriquement par la négative si tes déclarations précédentes ne me rendaient quelque peu perplexe, à savoir que l'homme subsiste intégralement en lui-même comme un tout homogène, ce qui m'incite à comprendre que la totalité de l'image de Dieu subsiste dans la totalité de l'homme animal, et que la totalité de l'homme animal subsiste dans la totalité de l'image de Dieu pour constituer la totalité de l'homme.
Maître
— Je suis surpris de voir que mes hypothèses te rendent perplexe, alors que tu peux constater que c'est précisément dans ce concours que l'on peut reconnaître l'image et la ressemblance de Dieu dans la nature humaine. Car, tout comme Dieu est à la fois transcendant à tous les existants et immanent à tous les existants, car Dieu Lui-même est l'Essence de tous les existants, Lui qui seul existe véritablement et puisque Dieu subsiste totalement dans tous les existants, sans cesser pour autant de subsister totalement hors de tous les existants, en subsistant totalement dans le monde et en subsistant totalement hors du monde, en subsistant totalement dans les créatures sensibles et en subsistant totalement dans les créatures intelligibles, en créant tout l'univers et en devenant créé dans tout l'univers, en subsistant totalement dans la totalité de l'univers et en subsistant totalement dans toutes les parties constitutives de l'univers, car Lui seul est à la fois la totalité de l'univers et chacune des parties constitutives de l'univers, sans être ni la totalité de l'univers ni aucune des parties constitutives de l'univers, de manière analogue, la nature humaine, considérée comme subsistant dans son propre monde, c'est-à-dire considérée dans sa propre subsistance, subsiste totalement dans sa propre totalité et subsiste totalement dans toutes ses composantes sensibles et dans toutes ses composantes intelligibles, elle subsiste totalement dans sa propre totalité et subsiste totalement dans toutes ses composantes, toutes ses composantes subsistent totalement en elles-mêmes et toutes ses composantes subsistent dans leur propre totalité. Car même la composante la plus inférieure et la plus humble de la nature humaine, je veux dire le corps, subsiste totalement dans la totalité de l'homme, conformément à ses lois propres, car le corps, considéré en tant que c'est un corps véritable, subsiste dans ses lois propres, qui ont été créées lors de la première création. Et puisque la nature humaine subsiste ainsi en elle-même, elle excède sa propre totalité. Car la nature humaine n'aurait pas pu adhérer à son Créateur, si elle n'avait préalablement excédé toutes les natures qui lui sont inférieures, et si elle n'avait pas été capable de se dépasser elle-même [...]