Textes

Jean Duns Scot
Suprême liberté de la volonté de Dieu

 

Dieu veut nécessairement sa bonté d'une nécessité d'immutabilité, mais non de coaction : et tout le reste, hors de lui, il le veut librement (d'une façon contingente). En effet, toute puissance se porte naturellement vers son objet, et surtout la volonté qui tend de soi vers le bien. La volonté de Dieu tend donc naturellement vers le bien. Mais il est impossible qu'elle se porte naturellement vers un bien extérieur, parce qu'alors elle en dépendrait naturellement ; elle tend donc naturellement vers le bien qui est infini. La faculté et son objet propre en effet, sont de même amplitude ; s'il y avait par exemple une couleur qui ne fut pas visible, la faculté visuelle serait imparfaite et cette couleur existerait en vain. Ainsi, puisque la volonté de l'Être Premier est infinie, il faut aussi que son objet par soi soit le bien infini vers lequel elle tend naturellement et auquel elle adhère nécessairement. [9]

Néanmoins, ce n'est pas une nécessité de coaction, dominant la volonté et la réduisant à une nécessité telle qu'elle soit poussée et déterminée à son acte : car alors, la volonté serait en vérité mue à l'acte et non plus active ; mais c'est une nécessité d'immutabilité qui accompagne l'acte, et tombe sous l'action de la volonté, qui, à cause de la force de sa liberté, s'impose à soi-même la nécessité de produire son acte, de persévérer et de se fixer dans son acte, immuablement. Car la nécessité, dans une action très parfaite de la volonté, n'enlève pas, mais plutôt confère ce qui contribue à la perfection, comme est précisément la liberté. Donc, la nécessité par laquelle la volonté de Dieu se porte vers son objet par soi, ne la pousse pas violemment, comme en lui faisant violence, mais plutôt elle découle de sa liberté, d'où vient sa volonté d'adhérer à cet objet d'une façon immobile. Autrement, si elle ne se fixait pas d'une façon immobile en cet objet par son acte, et si elle s'abstenait parfois de l'aimer, elle tomberait dans l'oisiveté ; car elle ne peut aimer rien d'autre comme son objet par soi, et elle aime toutes les autres choses en fonction de sa bonté. [10]