Etonnement

Métaphysique, 981b

 

Il en résulte que la connaissance de toutes choses appartient nécessairement à celui qui possède la science de l’universel, car il connaît, d’une certaine manière, tous les cas particuliers qui tombent sous l’universel. Mais aussi il est extrêmement difficile pour les hommes d’arriver à ces connaissances les plus universelles car elles sont le plus en dehors de la portée des sens. (...) De toutes ces considérations, il résulte que c’est à la même science que s’applique le nom de philosophie: ce doit être, en effet, la science théorétique des premiers principes et des premières causes, car le bien c’est-à-dire la fin, est l’une de ces causes. Qu’elle ne soit pas une science poétique, c’est ce que montre l’histoire des plus anciens philosophes. Ce fut en effet l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, ce furent les difficultés les plus apparentes qui les frappèrent, , puis s’avançant ainsi, peu à peu, ils cherchèrent à résoudre les problèmes les plus importants. (...) Apercevoir et s’étonner, c’est reconnaître sa propre ignorance. Ainsi donc, si ce fut pour échapper à l’ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, il est clair qu’ils poursuivaient la science en vue de connaître et non pour une vue utilitaire. Ce qui s’est passé en réalité en fournit la preuve: presque tous les arts qui s’appliquent aux nécessités, et ceux qui s’intéressent au bien être et à l’agrément de la vie, étaient déjà connus, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre. Il est donc évident que nous n’avons en vue, dans la philosophie, aucun intérêt étranger. Mais, de même que nous appelons homme libre celui qui est à lui-même sa fin et n’est pas la fin d’autrui, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit libre, car seule elle est sa propre fin.
Ainsi est-ce à bon droit qu’on pourrait estimer plus qu’humaine, la possession de la philosophie.