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Renaissance mouvementée de la Pologne

Parmi les conséquences de la défaite allemande et du retrait de la Russie depuis le traité de Brest-Litovsk ... la réapparition d'un Etat disparu depuis le troisième Partage de 1795. Cette renaissance fit partie des 14 points de Wilson mais le moins que l'on puisse dire c'est que si le Traité de Versailles la consacre en 1919, elle le fait avec une étonnante légèreté, se contentant de disposer que ses frontières seront fixées ultérieurement !

Il fallu en réalité une guerre pour cela, entre Polonais et Russes , l'interposition des occidentaux dans la guerre civile que les russes menèrent contre les Russes blancs et pas mal d'atermoiements pour parvenir en fin de compte à la paix de Riga en 1923.

L'enjeu était d'importance pourtant qui mettait les grands principes de Wilson en face d'une réalité trop complexe pour qu'un simple coup de crayon (ligne Curzon) pût le régler sans failles ni désastres.

C'est que la renaissance de la Pologne posait plusieurs séries de problèmes :

- politiques d'abord : une fois le principe de l'autodétermination des peuples posé, la question demeurait effectivement de savoir avec qui la négocier. Si les revendications nationales des Polonais étaient évidentes, et que la frontière occidentale de ce futur Etat ne posait pas en principe de gros problèmes s'agissant de la définir au détriment des deux empires centraux défaits - et depuis disparus - en novembre 18 (Empire allemand et austro-hongrois) l'affaire était beaucoup plus délicate pour ce qui concernait la frontière orientale : la Russie soviétique allait se révéler un interlocuteur impossible et incertain ; inacceptable surtout pour les puissances victorieuses. La Russie avait été absente des négociations de Versailles ayant cessé d'être en guerre depuis Brest-Litovsk: les termes mêmes du traité de Versailles remettant à plus tard les frontières Est de la Pologne relevaient sans conteste d'une grande imprudence, d'une réelle pusillanimité. Les occidentaux eurent beau proclamer défendre les droits de la Pologne et fixer même une ligne au moins provisoire où ses droits seraient reconnus, l'attitude de Lénine qui, voulant porter à l'Ouest sa révolution avait besoin d'une Pologne, certes indépendante, mais soumise, rendit la guerre inévitable.

- géopolitiques ensuite : cette frontière, quelle qu'elle fût, serait invariablement celle qui séparerait le monde soviétique du monde qu'on n'appelait pas encore le monde libre - mais il ne s'agira pas d'autre chose. Que les occidentaux cherchassent à établir une frontière sûre qui formât cordon sanitaire entre les deux eût été logique et se révélera l'enjeu des conflits à venir. L'alliance à venir entre Royaume-Uni, France et Pologne qui allait être le prétexte de la seconde guerre mondiale vingt ans plus tard était une nécessité avant d'être une évidence. C'était sans compter, dès 19, sur un changement d'attitude radical de l'URSS qui, avec Lénine qui, croyant que l'heure était venue de l'extension des révolutions prolétariennes en Europe, avait besoin non seulement de revenir sur les concessions territoriales du traité de Brest-Litovsk et donc de récupérer les territoires ukrainiens notamment, mais aussi, sur le mode conflictuel ou pas, de s'allier les territoires polonais pour être mieux au contact de l'Allemagne dont il crut que la révolution spartakiste de 19 fût de bonne augure.

- culturels encore : héritage du multi-culturalisme austro-hongrois pour sa partie Sud et de la politique tsariste pour sa partie centrale, la Pologne ce ne sont pas seulement des populations slaves mais aussi ruthènes et même magyares en Galicie avec un mélange religieux fort puisque, même si la population y est majoritairement catholique, on y trouve aussi une forte minorité juive, poussée là notamment par la politique russe antisémite, des orthodoxes en Ukraine notamment .... Mosaïque de peuples et de cultures, le terme convient assez bien à ces territoires en train, de se former comme il convint en son temps pour le défunt empire austro-hongrois. Une application stricte du principe d'auto-détermination ne pouvait que conduire à un éclatement.

 

En tout état de cause, la bataille de Varsovie, perdue en août 1920 par les soviétiques, mit un terme à l'avancée des Russes et conduisit, après maintes péripéties à la Paix de Riga (mars 21). Plus encore, refusant le cessez le feu proposé par Lord Curzon le long d'une ligne qui porte désormais son nom parce qu'ils crurent vaincre assez facilement les Polonais, ils furent conduits à concéder bien plus de territoires à l'Est qu'initialement proposé en 1920. Le traité de Riga laissa à la Pologne de vastes territoires qui fixèrent la ligne à plus de 200 km de la ligne Curzon.

Les ambitions russes d'un côté, les inévitables préventions anti-soviétiques des occidentaux d'autre part, le nationalisme polonais d'autant plus virulent qu'opprimé depuis plus d'un siècle, enfin, tout cela ne put ainsi conduire ensemble qu'à la naissance d'un Etat à la fois fragile et autoritaire qui abandonnera très vite toute ambition démocratique sous la houlette de Józef Piłsudski, pris en sandwich entre la nécessité occidentale de le rattacher le plus solidement possible à l'Ouest et les prétentions soviétiques. Le pacte germano-soviétique de 39 et le partage cynique de la Pologne qui s'en suivit démontrera à l'envi combien l'Allemagne ne s'était pas résolue à la perte de ses territoires à l'Est ni à la rupture de sa continuité territoriale ; combien l'URSS stalinienne en dépit de la proclamation du socialisme dans un seul pays n'avait pas non plus abandonné l'idée d'une frontière occidentale la plus à l'Ouest possible - ce qu'elle réalisera après Yalta !

L'ironie de l'histoire voudra que cette ligne Curzon qui n'avait finalement été qu'un préalable de discussion et ne servit à rien en 1923, fut finalement utilisée habilement par Staline lorsqu'il s'agira de définir la nouvelle frontière entre Russie et Pologne. Cette dernière vit ainsi son territoire sensiblement déplacé à l'Ouest, l'URSS récupérant, au nom de l'Ukraine, la plus grande partie des territoires concédés à Riga (Galicie orientale comprise). On aura entre temps réglé la question des populations : évacuation massive des prussiens de l'Est vers l'Allemagne ; sans compter évidemment le génocide qui élimina presque complètement les populations juives de Pologne, Biélorussie et Ukraine.

La seconde ironie de l'histoire est que des Polonais ont bien combattu durant la guerre : il s'agit des immigrés le plus souvent mineurs dans le Nord mais aussi des commerçants parisiens et des intellectuels. Du fait de l'alliance avec la Russie tsariste, il était impossible de les reconnaître ex cathedra : ils intégrèrent donc d'abord des régiments ordinaires : 2ème et 3ème Régiments de marche du 1er Régiment étranger. Après la chute de Nicolas II, la chose devenait possible : c'est par un arrêté présidentiel du 4 juin 1917, qu'une armée polonaise a été officiellement créée en France - l'armée bleue ou armée Haller. Ces combattants rejoindront tout de suite après l'armistice le front Est où ils participeront aux combats de la guerre russo-polonaise.

La troisième ironie de l'histoire tient à Józef Piłsudski lui-même : au détour de ses propres contradictions - et de celles de son pays, il fut conduit inéluctablement à créer un régime autoritaire qui ne put survivre qu'en ménageant les deux nations voraces qu'il jouxtait. Pas dupe un instant des traités qu'il noua avec l'Allemagne nazie non plus qu'avec l'URSS, pas toujours clément à l'endroit des minorités - notamment urkrainiennes - il était pourtant contre les politiques d'assimilation ethnique et les menées antisémites de ses opposants. La tragédie allait pourtant se nouer ici, sous la férule des nazis certes, mais avec l'évidente complaisance des populations autochtones - ce qu'elles allaient montrer tant en Pologne, Ukraine et Biélorussie dans les années d'occupation allemande - ce qu'elles allaient sinistrement confirmer après la guerre à Kielce, Cracovie ...

Autre façon de prouver, encore une fois que :

- la revendication d'indépendance nationale est loin d'être toujours ontologiquement légitime qui peut cacher de bien sombres projets

- le nationalisme qui la porte est toujours idéologiquement ambigu mais si évidemment marqué à droite quand il s'appuie sur l'ethnie plutôt que sur l'histoire

- la pusillanimité des politiques est infinie qui s'imaginent toujours pouvoir régler les problèmes d'un trait de crayon, déplacé ici ou là comme si les réalités humaines n'étaient affaire que de frontières à déplacer. En 18 on crut trouver la solution en créant des États adaptés aux peuples ; en 45 on fut moins sourcilleux en se contentant d'adapter, en les déplaçant, les peuples aux États qu'on venait de créer. Rien ne se règle pourtant jamais ainsi : de la Pologne au Moyen-Orient le présent traîne les naïvetés feintes de ces années-là.

Reste une certitude : le crime contre l'humain commence à l'exact instant où l'on croit pouvoir s'accommoder des peuples en les forgeant au gré de ses intérêts ou projets politiques.

 


1) Un État polonais indépendant devrait être créé, qui inclurait les territoires habités par des populations indiscutablement polonaises, auxquelles on devrait assurer un libre accès à la mer, et dont l'indépendance politique et économique ainsi que l'intégrité territoriale devraient être garanties par un accord international.