Il y a 100 ans ....
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Photos

Dans le Matin du 9 juillet, cette réclame qui en dit tellement long sur l'époque : la vente à crédit d'un appareil photo révolutionnaire, évidemment.

La photographie entre dans les foyers et cesse d'être le privilège de quelques professionnels ou de journalistes qui commencent à remplacer depuis quelques temps les croquis pour relater les grands événements et orner leurs Unes. Il est décidément loin - et pourtant cela fait à peine un demi-siècle - où des poètes tel Baudelaire durent défendre cet art nouveau qui, loin de n'être qu'une technique qui menacerait la peinture offrirait au contraire à l'esthétique un autre vecteur d'expression.

La photographie entre dans l'évidence de tout le monde : ce le sera, on l'a vu, pour Paris qui dès le début de la guerre commanda un cliché par jour à Lansiaux, ce le fut pour l'armée qui, dès le début, mobilisa ses photographes lors des batailles quitte à les rejouer après qu'elles eurent lieu ; ce fut aussi le cas pour les poilus qui furent nombreux, durant ces longues années, à prendre des photos de leurs camarades de combat, de leurs cantonnements et tranchées, des combats quand ils le purent.

La guerre de 14 ne fut assurément pas la première à être photographiée ; elle est manifestement la première à avoir été aussi massivement couverte par tous les acteurs.

Entre le front et l'arrière le lien ne sera plus jamais rompu : entre eux, il n'y aura plus seulement la presse aux articles souvent caviardés par la censure et qu'on ne prendra jamais vraiment au comptant tant le bourrage de crâne, le mensonge - au moins par omission - seront évidents ; il n'y aura plus seulement ces lettres que les poilus adresseront à leurs familles, lettres où l'on ne peut tout dire, de peur d'inquiéter mais de certitude aussi de n'être pas compris ; il y aura aussi ces photos qu'un journal comme Le Miroir achètera et publiera tout au long de la guerre. Les atrocités allemandes en Belgique, notamment, n'auront aucun secret pour les civils, non plus que l'incendie des villes ou de la cathédrale de Reims qui marqua tant les consciences en ce début de guerre et sur quoi la presse insiste au moins autant que sur le traitement humain que la France fait de ses prisonniers ! La guerre cessa en tout cas de n'être que quelques lignes sèches d'un communiqué officiel ou le témoignage enfiévré ou enthousiaste d'un journaliste ; elle prenait subitement corps et visages. La photographie, définitivement, changera la guerre : autant la manière dont on la conduira que celle dont elle sera perçue. Et quand plus tard, des Genevoix ou des Céline l'écriront, toujours entre leurs lecteurs et leurs lignes s'insinueront ces photos. Elles changeront aussi notre rapport à l'écrit.

En attendant, s'invente aimablement la photo de famille et de plage, la photo de souvenir ... Elle ne quittera plus notre quotidien au point d'accompagner presque tautologiquement nos téléphones portables ....

A bien regarder la photo ci-contre, elle demeure bien encore un peu un sujet d'émerveillement : la petite foule s'assemble encore un peu autour du photographe et l'on pose de cette posture si figée et tellement ampoulée que l'on retrouve dans les portraits de famille qu'en mon enfance on offrait encore alentour et que j'ai retrouvés dans les archives de famille. Mais la chose n'a plus rien d'invraisemblable et les 150 fr que valait l'appareil photo Rêve Idéal ne représentent après tout qu'environ 500 €, ce qui sans être donné, faisait que l'appareil devenait accessible.

Le bond est vertigineux - qui ressemble à cette période : la guerre de 70, et moins encore la Commune, n'offrit que peu de photographies ; désormais elle envahit tout et le cinéma avec lui bientôt.

De quoi ces photos sont-elles le miroir ? de cette guerre furieuse et d'un siècle qui meurt à toutes les espérances ou bien de nous qui les regardons à la fois fascinés par la distance que les années ont nichée entre ces hommes et nous mais en même temps tellement surpris par l'égale inconscience ou légèreté, l'identique aveuglement que ceux que nous sacrifions à notre quotidien. On dit parfois que le monde a plus changé depuis 14 qu'il ne l'avait fait de l'antiquité gréco-romaine à 1914 : sans doute est-ce vrai ne serait ce qu'au regard des prodigieux progrès techniques et médicaux qui ont changé et prolongé nos vies et nous ont précipité dans les villes perdant ainsi jusqu'au souvenir de nos sources terriennes. Mais sous ce tourbillon, avons-nous véritablement changé ?

Je regarde et je cherche !