Il y a 100 ans ....
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Oxymore

Trouvé cette très belle photo d'un aviateur allemand au repos. Tout y est, ou presque, pour oublier que l'on est en guerre : fenêtre ouverte sur ce qu'on peut supposer être un jardin apaisé, température clémente - printanière ? - qui autorise qu'on y médite. Car, oui, il y a quelque chose de pieux dans cette posture où tout est invite au recueillement : ce piano devant lequel se trouve une chaise écartée qui laisse à supposer qu'on vient d'en jouer ; ce livre ouvert qui semble dévorer toute l'attention de ce qui n'est encore qu'un jeune homme ; ce bureau sagement rangé où l'on imagine qu'il travaillera bientôt. Ce cheveu enfin si soigneusement peigné, plaqué court et raide, la posture droite. Tout pour nous faire oublier la guerre n'étaient cet uniforme et ces gants... Comment si sage jeune homme, si cultivé, si bien de sa personne pourrait-il être demain ce fauve ivre de fureur et de rage ? Voici pourtant rassemblés ici tous les canons non tant de l'élégance bourgeoise que de la dignité aristocratique. C'est que le jeune homme n'est pas biffin mais aviateur qui se vante d'être à la fois pionnier et élite ! Celui-ci ne plange pas dans la fange, ne tue pas de ses mains nues, ne part pas à l'assaut, droit comme un ordre subi ; non, il ruse, contourne - bref s'élève - et c'est à une telle distance que c'est presque comme s'il ne tuait pas. L'aviateur, décidément, ne se salit jamais les mains.

Une photo - pourquoi donc ? - qui me fait penser à cette autre de la Grande Illusion

Les mêmes remugles d'une noblesse qui n'eut de cesse de nous laisser accroire que la guerre fût affaire de gens bien nés, si ce n'est supérieurs en tout cas à la noblesse d'âme si pure qu'elle ne saurait pas même se comparer avec le sordide d'une plèbe avec quoi il faut bien se commettre et battre mais qui n'est bonne qu'à obéir et croupir dans les boues infestées des tranchées. Affaire de chevalerie, presque encore, à quoi le bidasse moyen demeurera irrémédiablement étranger tant les règles qui y prévalent sont à mille lieu de la loi commune.

Légende et propagande mêlées ou rémanence ultime d'un temps qui répugne à passer ?

Oxymore, tout simplement !

Que la violence puise son entêtement dans ce qui sacralise, nous le savons tous et il n'est pas une société qui, tout en réprouvant la guerre, ne l'ensemence nonobstant de ses manigances imbéciles ni ne vénère ceux-là, tellement héroïques, qui surent faire le sacrifice suprême - mais avaient-ils vraiment le choix ? - pour Nation plus grande qu'eux ! Comme pour mieux donner quitus à une tripartition archaïque, ceux-là, Junkers hautains et roides, se crurent les hérauts d'une civilisation dont seuls ils eussent le secret, quand ceux-ci fustigeaient le barbare d'en face en se drapant dans la vertu ensanglantée de la liberté...

Tous se voulurent, mais se veulent encore, héritiers ultimes d'une dignité enfouie que la modernité, le peuple, la démocratie - qu'importe c'est tout un ! - insulteraient

La guerre ce n'est pourtant que cela et je ne connais ni sonate, ni roman qui parvînt jamais à en atténuer l'effroi.