Il y a 100 ans ....
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Fête à Guernesey

C'est la fête sur l'ile sans qu'on sache véritablement si dans l'affaire c'est ici Hugo que l'on célèbre véritablement ou bien plutôt l'occasion de ponctuer cette Entente Cordiale si précieuse en ces temps troublés et dont on mesurera tout le prix dans les jours qui viendront, le poids dans les quatre années de guerre à venir.

L'Europe vit ses tout derniers jours de paix et l'actualité, en dépit des orages qui grondent déjà et des armes qui se chargent, semble si ténue que l'Humanité consacre à l'événement pas moins de deux Unes en même temps que la fête de ses cents élus. C'est l'année Hugo dont les publicités annoncent l'édition du cinquantenaire encore qu'à lire le feuilleton que l'Humanité vient juste d'achever - l'Année terrible - on aurait pu la croire celle de Zola !

C'est que Hugo à tout prendre est un monstre : littéraire, bien sûr, dont l'oeuvre est monumentale, mais politique aussi pour l'emblème républicain qu'il représente aux yeux de tous et que son opposition résolue à l'Empire et son exil à Guernesey symboliseront parfaitement. Commun dénominateur de tous les partis, il est, à sa façon, le héraut de cette France moderne qui invente depuis bientôt cinquante ans une nouvelle manière de conjuguer la liberté. Ses funérailles en 1885 furent grandioses que la jeune République voulut exemplaires mais elles furent surtout populaires. La foule, celle qui s'était battue contre Louis-Napoléon, mais celle aussi qui avait lu ses oeuvres - 93, les Misérables - dans les feuilletons de la presse parisienne s'était reconnue dans cet homme qui s'il n'avait pas toujours été républicain et fur même parfois furieusement conservateur, avait toujours su aux moments cruciaux de la liberté en marche choisir les travées du peuple plutôt que les ores du pouvoir. Blum qui assista enfant à ses funérailles en fit un récit émouvant tant elles marquèrent ses temps de formation. Il est la part républicaine de la légende que se raconte la France quand en face l'empire allemand se veut héraut d'une civilisation en péril.

Cette République qui n'a pas même encore un demi-siècle a toujours besoin de se rassurer et de sanctifier ses assises et l'a d'autant plus qu'elle ne trouve face à elle que des monarchie trop souvent absolues qui lui comptent son avenir : à tout prendre le Royaume-Uni, tout monarchique qu'il soit, est quand même allié plus présentable que le si lointain Nicolas II ! En un siècle, la France sut trouver le chemin des anglais après la grande brouille napoléonienne : sa légitimité démocratique en sorti renforcée ; son poids diplomatique aussi.

L'Entente cordiale ce n'était pas seulement la certitude qu'à l'Ouest, la France ne fût plus seule à affronter l'Allemagne ; c'était beaucoup plus. Ce le voulut en tout cas ! C'était réaliser bien sûr le grand rêve de Talleyrand d'une Albion qui ne fût plus perfide ; c'était assurément dans la légende changer d'ennemi héréditaire ; c'était surtout construire les prémisses d'une Europe nouvelle. Nul ne parvint jamais vraiment à arrimer l'ile au continent mais au moins cessa-t-elle alors de jouer contre lui.

Alors oui Hugo valait bien cette messe !

J'aurais rêvé autrefois d'écrire de belles lignes sur cet homme-là mais on n'expédie pas un tel monument en quelques lignes. Celui-là, ce fut son génie incontestable, sut accompagner des générations successives, au delà des différences et des fortunes diverses : il aura été un patrimoine commun. Et c'est déjà énorme.

Je lui dois des émotions inoubliables mais de formidables ennuis aussi.

Au delà , qui fait partie de ces pépites discrètes que le génie sait nicher aux détours tonitruants du style, aussi beau que le C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar de Salambô, aussi troublant que le chat jaune de la vie de Rancé ce

Il se servait de la méditation comme on se sert d'une tenaille

qui dit de cet étonnant rythme binaire qui scande la phrase hugolienne toute la rage entêté mais fervente de son personnage.

En cela, qui est tout : le génie