Il y a 100 ans ....
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4 juillet 14

Un mois tout juste sépare cette date de la déclaration allemande de la guerre à la France. Quelques jours seulement après l'assassinat de Sarajévo, plus rien n'en transparaît. Il est assez curieux de constater que l'Humanité place en Une faits divers surtout, la mort de J Chamberlain : tout juste Jaurès consacre-t-il son éditorial à la retraite des mineurs qui entre en vigueur et que d'ultimes manigances du patronat cherchent à retarder.

Il en ira de même les jours suivants où le quotidien n'en finit pas de célébrer sa victoire aux élections et ses cents élus en annonçant puis relatant la fête des cents. La guerre n'apparaît pas directement mais par la bande, notamment par l'ultime constitution du bureau des commissions parlementaires où il veut voir une victoire des défenseurs d'un retour à la loi des 2 ans, mais surtout le 14 juillet par le rapport parlementaire Humbert qui révèle la désorganisation de la défense nationale qui vaudra une volée de bois vert de Clemenceau à la fois inquiet mais ravi à n'en point douter de tailler des croupières à son ennemi intime Poincaré. Très vite pourtant c'est l'ordinaire qui reprend le dessus et notamment le procès Caillaux qui s'ouvre et promet son lot de révélations et de scandales politiques.

Il faudra attendre le 25 et l'ultimatum autrichien à la Serbie pour que subitement la guerre quitte les pages intérieures pour s'afficher à la Une mais sans cesser pour autant de le disputer au procès Caillaux.

Que Jaurès, lui-même soit inquiet ne fait pas de doute et il le manifeste dès le début du mois mais sans l'empêcher pour autant de consacrer l'essentiel de ses éditoriaux aux affaires intérieures comme si cet indécrottable optimiste ne parvenait pas lui-même à croire à ses prévisions de Cassandre.

Il y a quelque chose d'émouvant à parcourir ainsi ces Unes et à lire l'insouciance d'une époque, pourtant au bord du gouffre, en train de vivre ses ultimes illusions et qui ne le sait pas ou ne veut pas y croire. Bien sûr, il ne faut pas lire cette histoire a posteriori avec la connaissance que nous avons de la suite : ce serait trop facile. Mais on ne peut s'empêcher de songer que si certains pressentent combien l'histoire est tragique peu se résolvent à croire l'inéluctable. Paresse intellectuelle, optimisme indéracinable ou présomption intempestive à dominer les situations inextricables ? Sans doute un peu de tout cela ! Cette époque qui n'avait pas connu la guerre depuis deux générations et où seuls les hommes de pouvoir en eurent encore quelques souvenirs le plus souvent enfantins, cette époque qui aura connu des avancées techniques et scientifiques mais aussi des bouleversements économiques tels qu'ils changèrent presque du tout au tout la cité de 1870 qui sembla presque reléguée dans les tréfonds de la préhistoire, et qui en tout cas autorisèrent, même avec difficultés et inévitables réticences, de réels progrès sociaux, à l'instar de cette retraite des mineurs qui entrait en vigueur en cet été 14, cette époque, oui, aura été celle de l'apothéose d'un progrès qui semblait prémunir tout et tous contre la barbarie et l'horreur à condition de n'y pas regarder de trop près, notamment de ce qui se passait du côté des colonies ; celle encore de la République qui, pour la première fois depuis 89 semblait capable de tenir ses promesses de liberté et d'égalité sans trop de heurts autres que parlementaires et s'être imposée aux yeux du monde comme une forme légitime du pouvoir en tout cas bien plus moderne que ces monarchies archaïques qui hantaient encore les capitales européennes.

Demain, en quelques jours tout sera par terre et l'insouciance surtout. Il suffira de ces quelques jours qui séparent l'ultimatum autrichien à la Serbie de la déclaration de guerre allemande à la France, pour que basculent l'histoire collective et les destinées individuelles. Quelques jours de maladresses, d'entêtement, de bravades et d'ambitions. C'est P Valery qui sur la question aura le mot juste :

Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.

Nul à ce moment là ne sait, pas même Jaurès qui vit ses derniers jours inquiets et troublés. Nul ne sait qu'on ne pourra même plus dire nous autres tant ce qui va désormais se présenter sous l'aune de la civilisation, prête mal à s'y reconnaître.

Freud plus tard en donnera des clés mais il y a décidément, ici, quelque chose de l'ordre de l'ivresse du suicide qui laisse interdit...

 


1) L'Humanité en Juillet 14 - Les unes

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2) La crise de l'esprit